« L’ambassadeur de Suisse dit ses vérités », c’est le titre qui barrait la une d’un quotidien ivoirien indépendant de la place. De quelles vérités peut-il bien s’agir, dans un pays en crise et où tout est en perpétuel questionnement ? Dans les colonnes du quotidien, on découvre Son excellence monsieur David Vogelsanger – puisque c’est de lui qu’il s’agit – ambassadeur de la Suisse en Côte d’Ivoire, bientôt en fin de mission, dans un entretien qui s’est voulut à cœur ouvert.
Pourquoi le diplomate a-t-il choisi de donner – pratiquement à dix jours de son départ – un entretien exclusif loin des média gouvernementaux ? Avait-il le sentiment que là-bas, on ne lui poserait pas les questions qu’il faut ; celles auxquelles il brûle d’envie de répondre ; celles qui pourraient fâcher le régime en place? On pourrait répondre par l’affirmative, car devançant son interviewer, il plante d’entrée le décor: « Je suis prêt à répondre à toutes vos questions ». Puis il ajoute : « même les plus embarrassantes». On constate que pour « dire sa part de vérité », l’ambassadeur Suisse n’a pas sacrifié à la tradition diplomatique. Celle qui voudrait qu’il utilise exclusivement une langue de coton et surtout les canaux qui lui sont d’habitude réservés. En tout cas, il a évité les canaux ordinaires de l’Etat, renvoyant du coup à l’opinion publique, un message subliminal : les médias d’Etat ne sont pas le lieu indiqué pour dire des vérités embarrassantes pour le régime en place. En quelques mots, ces médias ne sont pas libres. Notons qu’il n’est pas le seul. Nombreux sont les ivoiriens qui n’accordent plus aucun crédit à ces organes d’Etat passés maître dans la propagande à outrance du régime d’Alassane Ouattara.
Loin donc des caméras de la RTI, de la radio télévision nationale, ou encore de Fraternité Matin, quotidien gouvernemental…, David Vogelsanger, celui qui se décrit comme « le dernier ambassadeur qui a présenté ses lettres de créance à l’ex- président Laurent Gbagbo. (…) le dernier ambassadeur occidental sous Gbagbo, encore présent en Côte d’Ivoire », se lâche. Comme s’il avait souhaité se vider avant de partir ; se laver de toute la moisissure qui a envahit la Côte d’Ivoire depuis avril 2011. Il faut voir dans le geste de l’ambassadeur sortant de la Suisse en Côte d’Ivoire, un homme qui voudrait s’acquitter d’un devoir de vérité envers les ivoiriens, envers ce pays dans lequel lui-même dit avoir « laissé son cœur ». A-t-il réussi ?
Lorsque le journaliste lui pose la question : « Le processus de réconciliation, tel qu’il se déroule, répond-il aux attentes de votre pays ? ». C’est le tournant de l’interview.
Voici sa réponse: «La question préoccupe tous les ambassadeurs accrédités ici. La Côte d’Ivoire est un pays en paix certes, mais tous les problèmes ne sont pas résolus. Il y a toujours des désaccords politiques majeurs, notamment sur la manière d’organiser les prochaines élections, la Commission électorale indépendante, la question du recensement de la population, la question des documents d’identité. Malgré tout, la Côte d’Ivoire que je quitte dans quelques jours, est bien différente de celle que j’ai trouvée à mon arrivée. Le pays est aujourd’hui en paix. Il y a encore, certes de temps en temps des violences, quelques incursions d’assaillants venus de l’extérieur des frontières, mais par rapport à ce que nous avons vécu, ce n’est vraiment rien. La paix règne aujourd’hui en Côte d’Ivoire et la situation est bien meilleure ici que dans bien d’autres pays africains. Tous les problèmes ne sont pas pour autant résolus, il y a le problème de la justice. Pendant la récente crise, mais bien avant cela, pendant les quinze dernières années, d’horribles crimes ont été commis et les coupables ne sont pas tous d’un seul côté. C’est un problème qui doit être résolu pour arriver à une réconciliation nationale. Je constate que le gouvernement dialogue avec l’opposition, il n’y a toujours pas d’accord. Vous avez mentionné la Cei, c’est un dossier difficile qu’il faut, à mon avis, résoudre assez rapidement, parce qu’en 2015, il y aura élections. C’est le grand défi. Après une précédente élection chaotique en 2000 et une présidentielle controversée qui a fini dans une catastrophe en 2010, il faut parvenir en 2015 à des élections comme cela se fait dans tous les pays démocratiques du monde ».
L’ambassadeur peut parler de paix, mais y croit-il vraiment ? Certes, en le faisant, il ne fait que caricaturer son rôle de diplomate. Mais la paix, ce n’est pas que l’absence de bruits d’armes lourdes. C’est aussi l’absence de querelles et de troubles. Or en Côte d’Ivoire on se regarde en chien de faïence ; la division est très profonde. Les ivoiriens ne sont pas les seuls à s’inquiéter de l’incertitude qui plane sur leur pays pour les jours à venir. Lui-même avoue que la situation de la Côte d’Ivoire « préoccupe tous les ambassadeurs accrédités ». Sur quels fondements donc peut reposer une « rhétorique » de la paix en Côte d’Ivoire si, comme il le dit « tous les problèmes ne sont pas résolus ? S’il reconnait qu’il ya «toujours des désaccords politiques majeurs », en somme, que des problèmes de fonds demeurent ? « Désaccords politiques majeurs, (…) manière d’organiser les prochaines élections, Commission électorale indépendante, question du recensement de la population, question des documents d’identité ». N’est-ce pas les mêmes causes qui produisent les mêmes effets ?
Il faut dire les choses telles qu’elles sont. « La paix » dont il s’agit aujourd’hui en Côte d’Ivoire, n’est qu’une apparence trompeuse. Que valent des constructions pharaoniques pour un peuple qui n’a pas la paix du cœur ? Tout le tapage médiatique orchestré par le régime en place n’est en fait qu’une façade qui cache des réalités susceptibles de conduire le pays vers un nouveau chaos.
Au-delà des affirmations de monsieur David Vogelsanger, le moins que l’on puisse dire, c’est que nous sommes en face d’un constat d’échec, à seulement quelques mois de la future présidentielle en Côte d’Ivoire. L’échec d’un homme : Alassane Ouattara. L’échec d’un régime installé à coups de bombes, au prix du sang des ivoiriens ; l’échec d’un système mafieux et impérialiste, piloté en sous-mains par des puissances occidentales, dont la France en première ligne.
Le processus de réconciliation national en Côte d’Ivoire, confié à Charles Konan Banny avait-il les chances d’aboutir dès lors que le pouvoir politique détenu par Alassane Ouattara ne fait que malmener les individus d’un seul camp dans une Côte d’Ivoire où l’on édifie l’enrichissement illicite, la corruption, la mise sous tutelle de la justice par l’exécutif ? Face à cela, l’ambassadeur Suisse ne peut que se plaindre : « il y a trop d’arbitraire dans les décisions de justice ». Arbitraire, un mot qui illustre – à juste titre – le règne d’un homme sur la Côte d’Ivoire : Alassane Ouattara.
Sous son ère, on peut, à la suite de certains observateurs de la scène politique ivoirienne, déclarer que la Côte d’Ivoire n’est plus qu’une simple « poudrière identitaire », mais plutôt un « volcan génocidaire ». C’est aussi et sans doute la sonnette d’alarme qu’a voulut tirer l’ambassadeur David Vogelsanger à l’endroit des nouvelles autorités ivoiriennes, des ivoiriens mais aussi de à la communauté internationale toute entière (dans laquelle figure la Suisse) ; une communauté qui a la fâcheuse tendance à venir jouer les médecins après la mort.
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