Fallait-il tuer Kadhafi ?
Par Jean Ping
Source: Le Monde-diplomatique.fr
L’élimination de Mouammar Kadhafi, le 20 octobre 2011, a signifié la fin de son régime despotique, mais pas celle du chaos en Libye. Les dégâts collatéraux des raids aériens occidentaux affectent aujourd’hui tous les riverains du Sahara. Afin d’éviter un tel désastre, l’Union africaine avait proposé une solution politique, en passe d’aboutir au moment de l’intervention étrangère ; ce dont témoigne un acteur de premier plan.
En 2011, en l’espace de seize jours, deux incursions militaires étrangères lourdes ont eu lieu dans l’espace souverain de l’Afrique, sans que l’Union africaine. considérée comme quantité négligeable, ait été consultée. Entre le 4 et le 7 avril, les troupes françaises intervenaient en Côte d’Ivoire. Quelques jours plus tôt, à partir du 19 mars, les forces de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), principalement françaises et britanniques, avaient commencé à bombarder la Libye. Pour l’ancien président sud-africain Thabo Mbeki, ces événements ont illustré « l’impuissance de l’Union africaine à faire valoir les droits des peuples africains face à la communauté internationale ». Pourtant, fait ignoré par les médias, dans ces deux conflits, l’organisation dont j’ai présidé la Commission de 2008 à 2013 avait formulé des solutions pacifiques concrètes, que les Occidentaux et leurs alliés ont écartées d’autorité.
Dès les premiers jours de l’année 2011, tout avait basculé en Afrique du Nord. Le 14 janvier, le président tunisien Zine El-Abidine Ben Ali prenait la fuite. Médusée, l’Europe n’intervint pas. Le 10 février, en Egypte, M. Hosni Moubarak démissionnait. Le 12 février, la contestation gagnait la Libye voisine. Pour les Occidentaux, ce dernier soulèvement fut une aubaine : il leur permit de jouer à bon compte les héros humanitaires et de faire oublier leur soutien aux autres régimes dictatoriaux. Avec le vote de la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU), le 17 mars, ils pensaient avoir obtenu un feu vert pour entamer une danse macabre autour du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi.
«Afghanistan de proximité»
Parmi les protagonistes de ce conflit figuraient en premier lieu le Conseil national de transition (CNT) et ses révolutionnaires hétéroclites, qui avaient pour seul objectif commun de se débarrasser du tyran. Pour y parvenir, un soutien extérieur leur était indispensable.
En second lieu intervenaient la coalition occidentale et son bras armé, (…)
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En Libye, le naufrage de la révolution
LE MONDE | 30.07.2014
Editorial du «Monde». Les bandes armées qui mettent ces jours-ci la Libye à feu et à sang hurlent le même slogan : « Le sang des martyrs n’aura pas été versé en vain ! » Rien n’est moins sûr.
Le pays sombre dans le chaos, et nombre de Libyens disent regretter le temps de Mouammar Kadhafi – le dictateur que les « martyrs » de la révolution de 2011 ont contribué à renverser… Mais au profit de quoi ?
La Libye se décompose. Les rares structures politico-administratives mises en place après 2011 s’effondrent. La vie économique est à l’arrêt. L’une après l’autre, les grandes missions diplomatiques s’en vont, de même que l’ONU et nombre d’ONG. Tripoli, la capitale, et Benghazi et les grandes villes, celles qui hébergent la moitié d’une population de quelque 7 millions d’habitants, sont le théâtre d’affrontements entre bandes armées rivales. Depuis deux semaines, les combats ont gagné en intensité.
On se bat à l’arme lourde, en ville, et, plus encore, sur les deux grands aéroports, ceux de Tripoli et de Benghazi, que les tirs ont rendu inutilisables. Partiellement incendié, un gigantesque dépôt de gaz et de carburant menace d’exploser non loin de la capitale. Mardi 29 juillet, des djihadistes se sont emparés de la principale base militaire de Benghazi – et d’une immense réserve d’armements les plus divers.
LE RÈGNE DES MILICES SUCCÈDE À LA DICTATURE FÉROCE
Au milieu de micro-affrontements ici et là, la bataille principale semble opposer deux camps irréductibles. D’un côté, les forces d’un général à la retraite, Khalifa Haftar, regroupées dans le mouvement « Dignité », appuyées par des éléments de l’ancien régime et des milices de la région de Zintan, à l’ouest du pays. De l’autre, un rassemblement de Frères musulmans, de groupes islamistes et de djihadistes, disposant du soutien des milices de l’est de la Libye.
Enlèvements, assassinats, mélange fréquent de grand banditisme et de règlements de comptes politiques, le tout entrecoupé de bombardements d’artillerie : les Libyens vivent dans une insécurité croissante. Le rêve d’une Libye tolérante s’est dissipé. A la dictature féroce, tribale, prédatrice qu’était le régime de Kadhafi a succédé le règne des milices – elles aussi prédatrices, tribales et parfaitement étrangères à l’idée même d’un Etat de droit.
Impossible de ne pas poser la question de la pertinence de l’intervention des Etats-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne à l’appui de la rébellion de 2011 – intervention que Le Monde a approuvée sans réserve à l’époque. Washington, Paris et Londres ont-ils eu raison de mener cette campagne de bombardements aériens qui a permis aux rebelles de l’emporter sur Kadhafi ?
Questions faciles à soulever a posteriori : la décision politique de l’intervention se prend parfois dans l’urgence, souvent pour des raisons humanitaires. Mais questions auxquelles, au regard du chaos qui emporte la Libye, il est difficile d’échapper aujourd’hui.
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