Fonds vautours et dette souveraine

niale-kaba

Source: BAD

L’existence d’un marché secondaire de la dette constitue un facteur essentiel pour les emprunts et prêts souverains. Lorsque les créanciers peuvent librement échanger la dette sur ce marché secondaire, les prêts aux États souverains présentent moins de risques et les créditeurs sont plus enclins à fournir à ceux-ci les capitaux dont ils ont besoin.

Ces dernières décennies, à la faveur de l’expansion du marché secondaire de la dette, de nouveaux acteurs sont apparus, au point de remettre en question l’opportunité du « modèle de la dette échangeable » en ce qui concerne la dette souveraine. Certains de ces acteurs sont appelés « fonds vautours » – nom donné aux fonds qui rachètent la dette d’entités en difficulté sur le marché secondaire, où elle est échangée largement en dessous de sa valeur nominale, et qui cherchent à en recouvrer le montant intégral, souvent par le biais de procès. Ceux-ci sont possibles pour les créanciers intransigeants, car la plupart des initiatives d’allégement de la dette, notamment pour les PPTE, ne modifient en rien les droits et obligations légales entre les PPTE et leurs créanciers extérieurs. Par conséquent, en attendant que les PPTE débiteurs et leurs créanciers parviennent à des accords juridiques bilatéraux dans le cadre de l’initiative PPTE, les créanciers peuvent légalement recourir aux mécanismes juridiques existants pour recouvrer leurs créances auprès des PPTE. On a observé dans certains cas, qu’avant d’atteindre ce point de décision, les PPTE ont remboursé aux créanciers commerciaux l’intégralité de leur dette, soit en raison du procès, soit sous la menace d’actions en justice, dans le souci d’éviter une rupture des relations commerciales, ou par peur de perdre des biens productifs, lorsque la dette commerciale est garantie par un nantissement.

Les fonds vautours achètent des crédits, souvent à très bas prix, dans le but d’engager des poursuites contre le débiteur pour l’amener à rembourser intégralement sa dette. Leurs taux de recouvrement représentent en moyenne 3 à 20 fois leur investissement, ce qui équivaut à des rendements (nets des frais de justice) de 300 % à 2000 %.7 Le modus operandi est simple : acheter une dette d’une entité en difficulté à un prix dérisoire, refuser de participer à la restructuration, puis recouvrer le montant total de la dette, souvent à la valeur nominale plus les intérêts, arriérés et pénalités, à travers un procès si nécessaire. Les fonds vautours entraînent les pays pauvres dans une suite de procès, une pratique appelée « champerty » qui est généralement inconnue des systèmes juridiques africains. Les procédures judiciaires sont généralement longues et comportent de nombreuses actions en justice dont le « règlement » prend de trois à dix ans. D’après les documents juridiques, la durée moyenne du recouvrement peut raisonnablement être estimée à six années, ce qui permet d’évaluer la moyenne des rendements annuels à 50 % à 333 %.8 Certaines de ces créances sont rachetées à environ 10 % de leur valeur nominale, ce qui donne lieu à des taux de recouvrement exorbitants.9 Si on déduit les frais de justice, souvent remboursés par l’État emprunteur, ces taux de recouvrement sont peut-être les plus élevés du marché de la dette des entités en difficulté.

La volonté et la capacité d’engager des actions en justice semblent essentielles pour la stratégie et la réussite des fonds vautours.10 Dans une affaire récente intentée contre la Zambie, un fonds vautour qui avait racheté une dette de 3 milliards de dollars EU, a poursuivi la Zambie pour 55 millions de dollars EU et s’est vu attribuer 15,5 millions de dollars EU. Les fonds vautours exercent des pressions sur le débiteur souverain, en essayant d’obtenir la saisie des avoirs de l’État à l’étranger. Ces poursuites sont toujours pesantes pour les débiteurs concernés et peuvent compliquer la gestion financière et celle des réserves. En excluant toute possibilité d’allégement de la dette et en dépensant des millions de dollars en frais de justice, les fonds vautours minent le développement des PMR les plus vulnérables.
Le FMI rapporte que dans certaines affaires, les plaintes déposées par les fonds vautours représentent jusqu’à 12 % ou 13 % du produit intérieur brut (PIB) du pays.11 Le FMI rapporte également que onze PPTE ont été entraînés à ce jour dans quarante six procès, et que les plaignants étaient essentiellement concentrés dans trois pays et les actions judiciaires auprès de quelques tribunaux seulement.Certaines auraient également lieu dans des PPTE.

En général, les fonds vautours ont gagné leurs procès. Vingt cinq jugements en leur faveur ont rapporté jusqu’à présent près de 1 milliard de dollars EU. Sur ce montant, 72 % concernent des PMR. Fait révélateur, le nombre d’affaire en cours contre des pays débiteurs a doublé depuis 2004.En moyenne, huit nouveaux procès sont intentés chaque année. Ce chiffre comprend les procès intentés au cours de l’année 2006 et une partie de 2007. On peut s’attendre à ce que le taux de succès des précédents litiges en génère encore davantage contre les PPTE. Des plaintes importantes pourraient être déposées contre au moins trois PMR, à savoir le Libéria, la Côte d’Ivoire et le Soudan, même si les plaignants ne sont pas encore clairement identifiés.

Les procès coûtent cher aux pays débiteurs et empêchent les autorités financières et autres de s’occuper des problèmes politiques importants. Ces actions en justice menacent les objectifs de base de l’initiative PPTE. Elles réduisent effectivement l’impact de l’allègement de la dette des PPTE et entraînent une répartition inéquitable des charges entre les créanciers. Le FMI prévoit, dans les pays créanciers affectés, un risque de réaction des contribuables lorsque ceux-ci réaliseront que leurs impôts sont utilisés pour payer les litiges avec les fonds vautours. Le problème des fonds vautours accentue l’opacité de la gestion financière dans la mesure où les PPTE inventent des moyens de protéger ou de cacher leurs biens des créanciers agressifs.

La principale critique formulée à l’égard des fonds vautours est la suivante : en achetant une dette d’une entité en difficulté à un prix réduit, en refusant de participer à la restructuration volontaire et en cherchant à recouvrer la valeur intégrale de la dette par le truchement de procès, ils font leur proie des autres créanciers et des pays endettés eux-mêmes. Les pays dont la dette est échangée à bas prix sont, presque par définition, confrontés à de graves difficultés financières et nombre d’entre eux sont pauvres. L’attitude inflexible des fonds vautours rend la restructuration plus lente, difficile et incertaine. Les débiteurs pâtissent de l’importante incertitude qu’ils doivent affronter et du fait de devoir reverser aux créanciers individuels des montants bien supérieurs à ceux prévus dans les accords négociés avec les autres créanciers.

Au moins vingt pays pauvres très endettés ont été menacés ou ont fait l’objet d’actions en justice de créanciers commerciaux et de fonds vautours depuis 1999,15 dont la Sierra Leone par Greganti Secondo et ARCADE, la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso par Industrie Biscoti. D’autres PMR ont été visés, comme l’Angola, le Cameroun, le Congo, la République démocratique du Congo, l’Éthiopie, le Liberia, Madagascar, le Mozambique, le Niger, São Tomé-et-Principe, la Tanzanie et l’Ouganda.
Une étude conjointe du FMI et de la Banque mondiale17 a mis en évidence que, malgré les nombreux cas où les débiteurs n’ont pas effectué de remboursement suite aux décisions de justice obtenues par les créanciers, les débiteurs ont, dans certains cas, effectué des paiements allant bien au-delà des paramètres PPTE. L’étude observe également que les litiges en instance et les jugements pendants peuvent également empêcher les PPTE de régulariser leurs relations financières avec la communauté bancaire internationale. Selon la Banque mondiale, plus d’un tiers des pays éligibles à l’allégement de leur dette à son égard ont été la cible d’actions en justice de la part d’au moins 38 créanciers, avec des jugements totalisant, pour 26 de ces cas, 1 milliard de dollars EU.

Le Club de Paris a exprimé sa préoccupation par rapport aux litiges avec les fonds vautours. En considérant les conséquences préjudiciables de ces litiges pour les PPTE et conformément à son principe de comparabilité du traitement, il a pris en mai 2007 la résolution d’éviter la vente de ses créances sur les PPTE à d’autres créanciers non disposés à consentir un allègement de la dette au titre de l’initiative PPTE. Le Club de Paris exhorte les autres créanciers à faire de même. En collaboration avec les institutions internationales concernées, les créanciers du Club de Paris ont convenu d’intensifier leur réflexion sur cette question, afin d’identifier des mesures concrètes pour s’attaquer à ce problème.18 Dans une déclaration d’avant sommet faite à Essen en Allemagne le 19 mai 2007, les ministres des Finances du G8 ont exprimé leur préoccupation à propos des actions de certains créanciers à l’encontre des PPTE et ont convenu de travailler ensemble à l’identification de mesures pour résoudre ce problème, sur la base du travail du Club de Paris.19 Le 12 décembre 2007, les experts de la dette du G7 ont invité le FMI, la Banque mondiale et la Banque à une réunion à Paris présidée par le Secrétaire général du Club de Paris, pour discuter de l’impact des fonds vautours sur l’allègement de la dette, et des mesures qui pourraient être prises pour en minimiser l’effet négatif sur le développement économique des PPTE.

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