Côte d’Ivoire – La tentation du défaitisme et le devoir de résistance (Par Marcel Amondji)

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Marcel Amondji réagit à l’article « Le FPI et La France », de Sylvain N’Guessan, 22 juillet 2014.

Dans notre courte histoire nationale débutée vers 1890 sous la férule des conquérants français, nous avons connu bien des moments où l’emprise du défaitisme sur un seul ou sur quelques-uns a triomphé de la volonté de lutte et de résistance de la majorité. C’est ce qui s’est passé vers 1910, notamment, avec un certain Kouassi Ngo, qui le paya de sa vie, ou vers 1950 lors de ce qu’Houphouët, son neveu, nous annonça d’abord comme un simple « repli tactique », simple manière de reculer pour mieux sauter, avant d’en faire sa conduite constante tout au long d’un règne durant lequel, tenant entre ses mains tous les pouvoirs et protégé par la France, il se laissa continuellement gouverner par et pour elle… Après soixante-dix ans de colonialisme et plus d’un demi-siècle de néocolonialisme, aujourd’hui chacun peut contempler les belles conséquences de l’emprise absolue d’un pays puissant sur un autre pays qui lui est soumis de toutes les façons possibles et imaginables. La Côte d’Ivoire et la France, ce n’est pas demain ou après-demain que ça se passe, c’est maintenant, sous nos yeux… Quant à la question de savoir comment sortir de cette situation qu’on pourrait dire ubuesque si elle n’était pas si dramatique, ce n’est pas d’aujourd’hui qu’elle se pose ou que des Ivoiriens se la posent ; on n’exagère pas en disant que cela fait plus d’un siècle que nous lui cherchons une réponse, avec plus ou moins de détermination selon les époques, mais en vérité sans la moindre tentation d’abandonner cette quête du Graal.

On nous dira : « Cela fait plus d’un siècle et vous ne l’avez toujours pas trouvée, cette réponse ! » Oui. Seulement, voilà, il n’y a rien d’autre à faire, sinon continuer de chercher ; sinon résister ! Qui a dit : « Ce sont ceux qui luttent qui vivent » ? Quand on est d’un pays comme le nôtre, vivre c’est lutter, et lutter c’est vivre. Il n’y a pas trente-six manières honorables de vivre cette vie-là, il n’y en a qu’une seule : c’est en étant debout, et armés de la ferme volonté de reconquérir un à un tous nos droits spoliés. Prométhée – dont, soit dit en passant, le « planteur ivoirien » qui a signé cet article aurait dû revisiter le mythe, afin de s’éviter d’en faire celui à qui on dérobe le feu – n’aurait pas ce renom s’il était resté assis ou couché à attendre que de lui-même, étincelle après étincelle, tison après tison, le feu tant désiré descende de l’Olympe pour se mettre à sa disposition ! Or à quoi cet auteur nous invite-t-il tout au long de son article ? C’est ni plus ni moins un appel à cesser toute résistance et à nous soumettre une fois pour toutes à la loi du plus fort sous laquelle nous vivons depuis que la France a envahi les terres des peuples dont nous descendons, les a annexés à son empire colonial et, avec la complicité active du traitre héréditaire Houphouët, a pratiquement fini par faire de nous des étrangers dans notre propre patrie.

Au lendemain de la grande tuerie de 1914-1918, le poète français Paul Valéry constatait (je cite de mémoire) : « Nous autres, civilisations, désormais nous savons que nous sommes mortelles ». Tout comme les civilisations, les nations aussi sont mortelles. Songez à tous ces peuples dont on nous apprend l’histoire à l’école et dont aujourd’hui ne restent que leurs noms… Il se peut qu’un jour notre peuple, le peuple de Côte d’Ivoire, c’est-à-dire cette société politique (ou civile) constituée en majorité par les descendants authentiques des peuples que les Français emprisonnèrent dans les frontières de leur colonie de ce nom, désormais notre patrie ; il se peut qu’un jour ce peuple aussi cessera d’exister… Et ce ne sera pas parce qu’il aura démérité en quoi que ce soit de continuer d’exister, mais parce que c’est l’intérêt de la France ! Or personne, fût-il l’ambassadeur de France, un général français ou le président de la République française en personne, n’est légitime à décider du sort de notre peuple en dehors des organes de souveraineté émanés de nos propres choix. Personne ne devrait donc prétendre en décider sans que ce soit pour nous, immédiatement, une raison impérative de nous lever pour dire : « Basta ! »

Certains diront, en pensant au 6 février 1949, au « complot du chat noir » (1959), aux « faux complots » de 1963-1964, au putsch du général Guéi et à l’épilogue tragique de la crise postélectorale de 2011 : « Des gens ont déjà essayé plusieurs fois, et on a vu comment ça s’est terminé… » Et alors ? La leçon de ces échecs, ce n’est certainement pas qu’il faut que nous arrêtions de résister. Au contraire ! Le seul véritable enseignement de toutes ces péripéties de notre jeune histoire, c’est que notre Côte d’Ivoire est une terre de résistance, un pays où malgré toutes ses violences, l’occupant n’a jamais vraiment réussi à plier les naturels pour les mettre à son service.

Certes, ce pays est aussi celui qui a produit un Houphouët, et où depuis 1950 les Français font et défont ce qu’ils veulent. Mais observez bien qu’ils l’ont toujours fait sans nous… Jusqu’à 1993, ils faisaient tout par eux-mêmes, directement, à travers des personnages comme Guy Nairay, Alain Belkiri, Antoine Césaréo, et aucun Ivoirien, pas même Houphouët, n’avait réellement voix au chapitre. La Côte d’Ivoire de ces temps-là, c’était un pays où tous les autochtones sans exception étaient comme frappés d’incapacité politique et, de ce fait, placés sous la tutelle de la France. Ce que corrobore cette confidence d’un ancien chargé de mission de la présidence, qu’un collaborateur de Notre Voie, Didier Dépry, a rapportée dans ce journal le 10 septembre 2011 : « Le véritable Président de la Côte d’Ivoire, de 1960 jusqu’à la mort d’Houphouët, se nommait Jacques Foccart. Houphouët n’était qu’un vice-président. C’est Foccart qui décidait de tout, en réalité, dans notre pays. Il pouvait dénommer un ministre ou refuser qu’un cadre ivoirien X ou Y soit nommé ministre. C’était lui, le manitou en Côte d’Ivoire. Ses visites étaient régulières à Abidjan et bien souvent Georges Ouégnin (le directeur du protocole) lui cédait son bureau pour recevoir les personnalités dont il voulait tirer les oreilles ».

Après la mort d’Houphouët, certains ont cru que cela suffirait pour que notre patrie nous soit rendue. Ce fut en particulier l’erreur de Bédié, avec son discours de ce fatal 22 décembre 1999 dans lequel, en notre nom à tous, il proclamait : « Nos aînés n’ont pas lutté pour l’indépendance pour que nous acceptions aujourd’hui de nouvelles soumissions. La nationalité, la citoyenneté, la démocratie et la souveraineté nationale sont les quatre côtés d’un carré magique qu’il nous faut défendre avec calme et détermination devant ces ingérences inacceptables. C’est aux Ivoiriens de décider par eux-mêmes, pour eux-mêmes, et de choisir librement l’un d’entre eux pour conduire le destin de la Nation en refusant les aventures hasardeuses et l’imposture insupportable ».

J’écris « l’erreur de Bédié » pour me mettre par hypothèse dans l’état d’esprit qui doit être le sien aujourd’hui qu’il est devenu un protagoniste apparemment décomplexé de ces « aventures hasardeuses » et le marchepied de « l’imposture insupportable »… Mais sa posture ubuesque actuelle ne doit pas faire oublier que c’est pratiquement le lendemain de ce discours qu’il fut renversé, puis transféré en France où sans doute il fut travaillé au corps jusqu’à ce qu’il comprenne… ce qu’Houphouët avait compris dès 1950. Car cette triste aventure a au moins l’intérêt de dévoiler un grand mystère : comment un nationaliste sourcilleux vilipendé par presque toute la presse française peut en un tour de main se transformer en une potiche françafricaine adulée et comblée d’honneurs… Qui veut comprendre quel rôle Houphouët jouait entre la Côte d’Ivoire et la France n’a qu’à contempler Bédié dans sa fonction actuelle de faire-valoir d’Alassane Ouattara.

Ce fut aussi, mutatis mutandis, l’erreur de Laurent Gbagbo, notamment quand il a cru qu’il pouvait se fier à ceux qui le poussaient à négocier le fameux compromis appelé « Accord politique de Ouagadougou » (APO). La suite, on la connaît.

Dans « Noir silence », François-Xavier Verschave constate : « La logique de la Françafrique est assez simple : c’est le double langage, le dualisme de l’officiel et du réel, de l’émergé et de l’immergé, du légal et de l’illégal (…). En 1960, De Gaulle a compris qu’il n’échapperait pas à une mutation radicale du droit international régissant les relations entre la France et ses colonies d’Afrique Noire. Il a admis une légalité : l’indépendance. En même temps, il chargeait jacques Foccart de satelliser ces nouveaux Etats, d’organiser leur dépendance politique, économique, financière, militaire. La Ve République y est parvenue, en éliminant les opposants et promouvant les collaborateurs (…). La dépendance réelle a donc été masquée par toutes sortes de déguisements, coutumiers des services secrets : vraies-fausses entreprises, vrais-faux mercenaires, sociétés-écrans, coopération bidon ou alibi, flux financiers parallèles ».

Cinquante-quatre ans que ça dure… Et le 11 avril 2011 a bien fait la démonstration qu’ils n’ont aucune envie d’arrêter. Et ce ne sont pas les actuelles rumeurs à propos d’un possible retournement de veste ou « repli tactique » d’Affi N’Guessan et consort qui l’infirmeront. Alors, citoyen Sylvain N’Guessan, ne nous berçons pas d’illusions : aucun compromis ne nous délivrera de cette dépendance ; elle ne finira que du jour où nous serons en mesure de prendre nous-mêmes notre destin en main sans attendre la permission de quiconque, sans marchandages, et sans faux « facilitateur » cachant dans son dos la « cinquième colonne » de nos opiniâtres prédateurs.

Marcel Amondji

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