Par M’Bah Aboubakar source: l’Expression
Sur ce terrain, généralement, les intellectuels du Front populaire ivoirien (Fpi) sont plus alertes que ceux du Rassemblement des républicains (Rdr), le parti au pouvoir. Quand il s’agit de mener la réflexion sur un sujet d’intérêt national qui, de surcroît touche à l’histoire contemporaine du pays, les têtes pensantes de la refondation remuent ciel et terre pour faire connaître leurs idées. Jamais à court d’imagination, ils trouvent toujours les moyens et les espaces pour distiller leurs idées dans la société. Une question qui doit intéresser aujourd’hui les dialecticiens du Rdr : le livre que l’ancien président, Laurent Gbagbo, a coécrit avec le français François Mattei et qui est intitulé «Pour la vérité et la justice – Côte d’Ivoire : Révélations sur un scandale français». Un ouvrage de 320 pages et contenant 33 chapitres dans lequel l’ex-chef de l’exécutif ivoirien se laisse aller à des confidences pour le moins renversantes. Sur le premier tour de l’élection présidentielle de 2010, l’époux de Simone Ehivet fait de graves révélations. Faut-il le rappeler, le fondateur du Fpi avait fini premier avec 38% devant Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié. Pour Laurent Gbagbo, l’actuel président n’a jamais fini deuxième, c’est plutôt Bédié qui devait aller au second tour avec lui. Morceaux – éloquents – choisis : «C’est Bédié qui est arrivé deuxième au premier tour de la présidentielle de 2010. J’ai moimême changé tous les résultats pour me retrouver au second tour avec Ouattara», écrit-il dans son livre. Avant de justifier sa forfaiture en ces termes : «Parce que les militants du Rassemblement des républicains (Rdr) auraient voté à 100% pour Bédié sans réfléchir. J’aurais eu un mal fou à expliquer que c’est moi qui ai gagné face à Bédié». Cette révélation ouvre la réflexion sur la responsabilité de Laurent Gbagbo dans la survenue de la crise postélectorale qui a balafré la Côte d’Ivoire et endeuillé des milliers de familles. Curieusement, sur cet aveu, les intellectuels du Rdr restent cois. Alors que cette confession appelle des réactions appropriées. Le Fpi n’aurait pas craché sur une aubaine de cette nature pour salir Ouattara si les rôles étaient inversés. D’ailleurs, le parti à la rose a une habitude éprouvée de ce genre de démonstrations. Ils l’ont fait avec Henri Konan Bédié quand ce dernier, encore au pouvoir, a publié, aux éditions Plon, son livre-entretien avec le journaliste Eric Laurent, intitulé « Les Chemins de ma vie». A la veille des échéances présidentielles de 2000, publier cette œuvre était pour le successeur de Félix Houphouët-Boigny une manière de lever un coin du voile sur ses réflexions politiques pour la Côte d’Ivoire. A la sortie du livre, les exégètes du Fpi sont entrés dans une transe collective. Au travers de tribunes mises spécialement en place, ils se sont efforcés de détruire l’écrit, de le décrédibiliser, sans épargner son auteur. Tous leurs intellectuels se sont jetés dans la mêlée, pour démonter le livre. La suite, on la connaît. In fine, «Les Chemins de ma vie» a été présenté par le Fpi comme un ouvrage sans boussole, écrit par un Henri Konan Bédié, loin des réalités des Ivoiriens. Aujourd’hui, face aux énormités secrétées dans le livre de Gbagbo, les intellectuels du Rdr doivent se réveiller pour donner la réplique à ces révélations. Tout se passe comme si, grisés par leur accession au pouvoir, les penseurs du Rdr avaient tout oublié de l’art de la rhétorique, se contentant de jouir, sans arrêt, des charmes mielleux du pouvoir. Une vieille maxime dit que lorsque l’on engage des pas de danse endiablés en compagnie d’un aveugle, il est bon, de temps à autre, de lui décocher des coups de pied furtifs pour lui rappeler qu’il n’est pas le roi de la piste de danse. Le Rdr devrait faire sien cet adage et riposter, énergiquement, sur le terrain de la réflexion, à cette sortie puisqu’en la matière, ce ne sont pas les intelligences qui manquent.
L’Expression
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