Par Le Nouvel Observateur
L’heure de la contre-offensive médiatique a sonné pour l’ancien Président de la République. Au lendemain de sa garde à vue, Nicolas Sarkozy s’est rendu sur TF1 et Europe 1 pour présenter sa défense devant les Français. Lui qui est désormais mis en examen pour corruption active et trafic d’influence présumés a joué la carte de la victimisation. Quitte à prendre des libertés avec les faits…
1. « Est-il normal que je sois écouté ? » > OUI
Ce que dit Nicolas Sarkozy : « Est-il normal que je sois écouté dans mes conversations les plus intimes (…) que les conversations qui sont les miennes, avec mon avocat, soient écoutées et diffusées en violation de tout secret de l’instruction par des journalistes, des médias. »
– OUI. La contestation des écoutes de Nicolas Sarkozy et de son avocat Thierry Herzog est le principal angle de défense des intéressés. Le dossier repose sur ces écoutes, qui ont révélé un trafic d’influence supposé : Nicolas Sarkozy aurait tenté d’obtenir des informations sur le dossier Bettencourt auprès du haut magistrat Gilbert Azibert, qui aurait réclamé en échange un poste à Monaco.
Les écoutes judiciaires sont soumises à des règles précises, détaillées sur le site du ministère de l’Intérieur. Pour l’avocat de Nicolas Sarkozy, « les conversations entre un avocat et son client ne peuvent être écoutées, pire enregistrées et retranscrites pour fonder l’ouverture d’une information ». Ce n’est pas l’avis de la Cour de cassation : « La conversation [entre un avocat et son client] ne peut être transcrite et versée au dossier de la procédure que s’il apparaît que son contenu est de nature à faire présumer la participation de cet avocat à une infraction ». Or, dans cette affaire, c’est justement le cas, puisque Me Herzog est également mis en examen.
– Quant à la diffusion de ces écoutes dans les médias, la jurisprudence française et européenne tend à reconnaître une liberté d’expression presque illimitée en cas de « questions d’intérêt général ». Ce qui est le cas ici, puisque Nicolas Sarkozy est un ancien président, une personnalité publique. La violation du secret de l’instruction (par les personnes qui ont fait « fuiter » le contenu des écoutes) est, elle, répréhensible.
2. Les juges ont « l’obsession de me détruire » > Vraiment ?
Ce que dit Nicolas Sarkozy : « Est-il normal qu’on choisisse pour instruire une affaire, où mon nom est cité, un magistrat qui appartient au Syndicat de la magistrature », « dont l’obsession politique est de détruire ? »
– PROCES D’INTENTION. La juge Claire Thépaut est effectivement engagée au Syndicat de la magistrature (SM), marqué à gauche. Elle a été déléguée syndicale pour la région parisienne jusqu’en 2012. Cependant, l’appartenance à un syndicat est tout à fait légale. C’est même une liberté constitutionnelle. En outre, la magistrate n’agit pas seule, mais en binôme avec la juge Patricia Simon. Toutes leurs décisions sont susceptibles d’un recours devant la chambre de l’instruction.
Et contrairement à ce qu’affirment les sarkozystes, Claire Thépaut n’a pas signé de tribune anti-Sarkozy sur Mediapart. La juge n’apparaît que dans un article, dans lequel elle livre un témoignage sur le manque d’effectifs au tribunal de Bobigny.
3. « Il y a une volonté de m’humilier » > FAUX
Ce que dit Nicolas Sarkozy : « Est-il normal que je sois placé en garde à vue pendant 15 heures ? (…) Monsieur Cahuzac (…) n’a pas fait une seconde de garde à vue. »
– OUI, MAIS… Jérôme Cahuzac n’a pas fait de garde à vue car l’ancien ministre socialiste du Budget avait d’ores-et-déjà avoué sa fraude fiscale. Longtemps, l’usage voulait que les responsables politiques bénéficient d’un régime d’exception. Ni Jacques Chirac, ni Alain Juppé, ni Charles Pasqua n’ont connu de garde à vue. Les temps ont changé. Nombreux sont les responsables politiques entendus sous le régime de la garde à vue : Jean-Noël Guérini, Claude Guéant, Dominique Strauss-Kahn, Dominique de Villepin…
Ce que dit Nicolas Sarkozy : « Le statut de la garde à vue n’est pas un statut normal. »
– FAUX. Les juges auraient pu entendre Nicolas Sarkozy dans le cadre d’une audition libre, mais alors la durée n’aurait pas pu dépasser quatre heures. Les 15 heures de la garde à vue de Nicolas Sarkozy n’ont en soi rien de choquant. Il est même « exceptionnel » que l’on reparte aussi vite, souligne Julia Katlama, avocate pénaliste au Barreau de Paris, sur Slate.
Ce que dit Nicolas Sarkozy : Les juges « m’ont signifié, sans même me poser une question, trois motifs de mise en examen, avant même d’avoir répondu à quoi que ce soit. »
– NORMAL. Les juges ont appliqué l’article 116 du code de procédure pénale : « Le juge d’instruction constate l’identité de la personne et lui fait connaître expressément, en précisant leur qualification juridique, chacun des faits dont il est saisi et pour lesquels la mise en examen est envisagée. »
4. « Il y a une instrumentalisation de la justice » > Vraiment ?
Ce que dit Nicolas Sarkozy : « La situation [est] suffisamment grave pour que je dise aux Français ce qu’il en [est] de l’instrumentalisation politique d’une partie de la justice aujourd’hui. […] Il y a une instrumentalisation de la justice, les choses sont claires. »
THEORIE DU COMPLOT. Nicolas Sarkozy et ses proches tentent depuis des mois de distiller l’idée que l’exécutif, de François Hollande à Christiane Taubira, serait le responsable des déboires judiciaires de l’ancien président. Tout est instrumentalisé : du lapsus à la petite phrase non sourcée.
Taubira, la cible privilégiée
Ce que dit Nicolas Sarkozy : « Madame Taubira, garde des Sceaux, sur le plateau de monsieur Bouleau, a été convaincue de mensonge lorsqu’elle a dit : ‘Je n’ai jamais eu connaissance des écoutes des conversations de monsieur Sarkozy’. »
Christiane Taubira a elle-même tendu le bâton pour se faire battre. Sur TF1, la Garde des Sceaux a assuré qu’elle « n’avait pas l’information » sur les écoutes de Nicolas Sarkozy avant leur divulgation dans la presse. Mais elle a ensuite brandi, avec un amateurisme certain, un courrier prouvant que son cabinet était au courant depuis quelques jours. Finalement, sa directrice de cabinet affirmera ne pas lui avoir transmis le courrier dans les temps. En tout état de cause, la ministre assure n’avoir jamais été informée du contenu des écoutes.
Valls et les « faits supposés »
Ce que dit Nicolas Sarkozy : « Monsieur Valls a menti lorsqu’il était ministre de l’Intérieur. »
– Lors de la révélation des écoutes, Manuel Valls a affirmé avoir été informé par la presse. Ce dont doutent notamment d’anciens ministres de l’Intérieur, qui assurent que ce genre d’affaires sensibles remontent jusqu’au ministre.
Ce que dit Nicolas Sarkozy : « Ce matin même, monsieur Valls dit : ‘Les faits qui sont reprochés à Nicolas Sarkozy sont très graves.’ Mais qu’en sait-il ? (…) Il aurait dû dire ‘Les faits supposés, reprochés à monsieur Sarkozy’. »
– Dans un respect scrupuleux de la présomption d’innocence, Manuel Valls aurait en effet dû dire « les faits supposés », sur BFMTV, mercredi matin, au lieu de : « Les faits sont graves, vous venez de rappeler la mise en cause. » Néanmoins la critique de Nicolas Sarkozy peut surprendre venant d’un ancien président qui avait évoqué « les coupables » de l’affaire Clearstream… avant même ledit procès.
Sapin et son lapsus
Ce que dit Nicolas Sarkozy : « Monsieur Sapin, ministre des Finances, a déclaré dans une interview récente, stupéfiante de sincérité : ‘Sarkozy, mais on va s’en occuper !' »
LAPSUS. Il s’agit d’un lapsus du ministre, en mars 2014. Michel Sapin souhaitait recentrer son propos sur le sujet du jour : « Au début il y des enquêtes contre Nicolas Sarkozy, à la fin il y a des enquêtes sur Nicolas Sarkozy. Et on va s’occuper des enquêtes de Nicolas Sarkozy… Enfin, les juges vont continuer à s’occuper des enquêtes de Nicolas Sarkozy. »
5. Avec Bygmalion, « il n’y a jamais eu de double facturation » > FAUX
Ce que dit Nicolas Sarkozy : « En ce qui concerne ma campagne, je le dis à tous ceux qui m’ont soutenu, il n’y a jamais eu le moindre système de double facturation. »
FAUX. Les aveux de Jérôme Lavrilleux montrent le contraire. Le directeur adjoint de la campagne de Nicolas Sarkozy a admis le 26 mai que des meetings de la présidentielle ont été indument facturés à l’UMP : « une partie » du coût des meetings « a été intégrée dans le compte de campagne », « une autre absorbée par l’UMP ». L’avocat de Bygmalion le reconnaît également.
Une double-comptabilité a bien été mise en place. Le site Mediapart a dévoilé que 58 fausses factures, pour un montant de 15 millions d’euros, ont été adressées à l’UMP par Event & Cie, la filiale événementielle de Bygmalion. Les frais de campagne de Nicolas Sarkozy ont ainsi atteint 39 millions, alors qu’un candidat ne peut dépasser 22,5 millions, selon la loi. Soit, pour 44 meetings de Sarkozy, autant de fraudes.
Ce que dit Nicolas Sarkozy : « Ma campagne n’a pas coûté un centime au contribuable !
FAUX. S’il est vrai que les comtes de campagne de Nicolas Sarkozy pour la présidentielle de 2012 n’ont pas été remboursés – en raison du dépassement de 466.118 euros découvert par le Conseil constitutionnel – le contribuable a bel et bien mis la main au portefeuille. Endettée, l’UMP a fait appel à ses sympathisants pour récolter 11 millions d’euros. Tous les donateurs de ce « Sarkothon » ont eu droit à une déduction fiscale de 66% du montant versé. Ainsi, un militant qui versait 100 euros a payé en réalité 34 euros de sa poche, tandis que l’Etat lui a reversé 66 euros en réduction d’impôts.
Renaud Février et Baptiste Legrand – Le Nouvel Observateur
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