Robben, le tour de vice
Bien des étoiles attendues pour briller dans cette Coupe du monde – de celles qui figurent au casting des publicités hollywoodiennes pour les équipementiers – se sont déjà éteintes au tournant de ces huitièmes de finale, quand d’autres peinent à scintiller avec leur lustre présumé. Dans la galaxie des astres noirs, plus difficiles à assumer dans le monde disneylandesque des spots mondialisés, Luis Suarez a poussé sa propre légende jusqu’à l’absurde en obéissant à ses pulsions cannibales. Arjen Robben, autre footballeur qu’on aime détester et qui semble aimer se faire détester (y compris, à l’occasion, par ses coéquipiers), a lui aussi alimenté la chronique, mais de façon plus utile pour son équipe puisqu’au lieu de l’abandonner, il a contribué à la propulser en quart de finale lors des ultimes minutes de Pays-Bas-Mexique.
TROIS CHUTES ET UN PENALTY
Il n’y est pas parvenu avec sa seule classe, ni à la première tentative, puisque c’est à sa troisième chute dans la surface qu’il a obtenu le penalty si ardemment sollicité auprès de l’arbitre. Sans trop de vergogne (ou avec une certaine honnêteté), l’attaquant du Bayern a, après le match et auprès d’une télévision néerlandaise, avoué le forfait de simulation sur la deuxième d’entre elles, à la 68e minute: « Je dois m’excuser car j’ai plongé et je n’aurais pas dû faire ça. C’était stupide, mais parfois vous vous attendez à être taclé et ils [les adversaires] retirent leur jambe à la dernière seconde » (cité par francetvsports). Les défenseurs sont fourbes, à escamoter ainsi le geste attendu. Robben estime en revanche, à juste titre, que l’arbitre aurait tout à fait pu lui accorder un penalty pour une double intervention illicite des défenseurs mexicains, en fin de première période.
Le dernier épisode de la série s’inscrit à mi-chemin des deux premiers. L’intervention de Rafael Marquez est fautive dans la mesure où, en retard, il accroche bien le pied du Néerlandais. Ce dernier aurait toutefois pu rester debout et poursuivre au lieu d’accentuer la faute en se jetant avec le même allant que son compatriote Pieter van den Hoogenband depuis le plot de départ d’un cent mètres olympique de natation. Cela aurait été exiger de Robben une sportivité que bien peu de ses confrères manifestent, alors de lui… Si la décision de l’arbitre portugais Pedro Proença a semé désolation et indignation au Mexique, elle n’apparaît pas scandaleuse, l’amplification de la faute n’annulant pas celle-ci. On peut ainsi se ranger à l’opinion du journaliste américain Grant Wahl, selon lequel le penalty aurait pu s’accompagner d’un carton jaune pour Robben – mais une telle option n’aurait pas été plus facile à expliquer.
L’ILLUSION DE LA JUSTICE
Cette action, ambivalente et qui suscite des appréciations très contradictoires – signifiant que deux décisions arbitrales pourtant opposées se valent quasiment autant l’une que l’autre – rappelle la nécessité pour l’arbitre d’interpréter et de trancher. Soyons sûr que s’il n’avait pas sifflé de penalty, la polémique aurait changé de localisation géographique, pas d’intensité. À tout prendre en pareil cas, il vaut bien mieux que ce soit l’arbitre de champ qui se détermine, à chaud et avec le ressenti que sa proximité avec le jeu favorise, plutôt qu’un éventuel arbitre vidéo, à froid et avec les mêmes images que des centaines de millions de téléspectateurs… Attendre qu’une justice pure et satisfaisante s’exerce est en tout cas une tragique illusion. Pourtant, une façon efficace de lutter contre les simulations consisterait à les prévenir en sanctionnant rétroactivement et avec suffisamment de sévérité leurs auteurs, afin de les dissuader de recourir à ce genre d’artifices – aussi intimement liés soient le vice et la ruse avec le football, ce sport si cruellement aléatoire et si souvent injuste.
Pour prendre de la distance avec l’image arrêtée, il convient aussi de replacer l’action du litige dans une perspective un peu élargie. D’une part, Robben n’a pas été parachuté à cet endroit de la surface de réparation: il y est parvenu au terme d’une action qui a pris la défense mexicaine à défaut et qui l’a vu déborder les coéquipiers de Marquez, contraignant ce dernier à une prise de risque qui s’est avérée inconsidérée. D’autre part, si le Mexique a cédé deux fois en toute fin de match, c’est aussi parce qu’il a reculé et laissé déferler les vagues oranges sur son but, croyant pouvoir préserver son avantage.
Attribuer ce dénouement au seul arbitre est donc complètement abusif. En créditer Robben, auteur d’un excellent match, est beaucoup plus justifié, et pas seulement pour sa très opportune chute: retors, égoïste, souvent insupportable, c’est aussi un footballeur exceptionnel, capable de faire la différence pour son équipe. Balle au pied ou le nez dans le gazon.
Par Jérôme Latta
http://latta.blog.lemonde.fr/2014/06/30/robben-le-tour-de-vice/
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