Par LIDER News | 12 juin 2014
Depuis son arrivée au pouvoir, le président Ouattara travaille à l’emploi. Il avait promis pendant sa campagne électorale en 2010 de créer 200 000 emplois par an. Les populations n’ont vu arriver que chômage et sous-emploi. En fin d’année 2013, il promet aux ex combattants, tous devenus entre temps des coupeurs de route, selon les propres mots du président, de leur créer des emplois pour bientôt. Il continue de promettre aux jeunes de créer un million d’emplois par an alors que le chômage ne fait qu’augmenter et touche aujourd’hui près de dix millions de nos compatriotes.
Ouattara est économiste, titulaire en 1972 d’un doctorat de l’université de Philadelphie, en Pennsylvanie aux Etats Unis d’Amérique. Lorsqu’il parle et promet des emplois mais offre plutôt du chômage, nous sommes obligés de nous demander quelle est sa conception du terme «emploi». N’y a-t-il pas de malentendu entre ce qu’il dit vouloir et ce qu’il offre vraiment ?
Il dit vouloir offrir de l’emploi, mais ce sont des travaux de construction de routes, de ponts et d’infrastructures de travaux publics que nous voyons. Il y a comme un marché de dupes car dans le fond ce que Ouattara fait ne relève-t-il pas aussi de l’emploi ?
L’emploi, c’est du travail pour ceux qui en cherchent
L’emploi peut être interprété de deux façons différentes. Pour beaucoup d’entre nous, vouloir créer de l’emploi, c’est trouver du travail pour ceux qui n’en ont pas et qui sont à la recherche d’un employeur qui accepterait de leur donner du travail à faire. Ainsi, vouloir créer de l’emploi, c’est rechercher et agir sur les déterminants de l’emploi entendu au sens de «travail» à donner aux gens qui le souhaitent. Ces déterminants sont nombreux et complexes, mais on sait qu’ils sont classifiés en trois catégories : L’offre d’emploi, la demande d’emploi et l’équilibre sur le marché de l’emploi. Pour créer des emplois, il faut agir avec précaution sur les déterminants de ces trois catégories d’influences.
L’offre d’emploi émane des personnes qui sont à la recherche de travailleurs pour leurs unités de productions, leurs entreprises, leurs firmes, leurs sociétés, leurs plantations, leurs affaires. Ces personnes que nous pouvons désigner sous l’appellation générique «d’entreprises» sont des nœuds de contrats dans lesquels des personnes qui ont des capitaux, des usines, des infrastructures de production rencontrent celles qui ont du travail à vendre. L’entrepreneur offre des emplois à ceux qui cherchent du travail à faire. Le travailleur, lui, cherche à être employé par quelqu’un. L’entreprise fixe ses besoins d’employés, leurs qualifications, les postes de travail, les propositions de salaire qu’elle est prête à accorder aux différentes occupations qu’elle offre et les exigences qui vont avec. Donc quand on parle de créer des emplois, il y a nécessairement l’entreprise qui crée ces emplois et les offre aux populations qui cherchent des emplois. Est-ce-que notre chef de l’Etat comprend les choses de cette façon ?
Encourager la création d’emploi
Pour que l’entreprise puisse créer des emplois il faut que son environnement soit propice à cela. La corruption tue l’entreprise. La mauvaise justice assassine l’entreprise. La fiscalité hasardeuse étouffe l’entreprise. Le non respect de la propriété privée décourage l’entreprise. Le manque d’infrastructure démotive l’entreprise. Or si les entreprises se découragent, elles ne créent pas d’emplois et n’offrent donc pas de travail à ceux qui en cherchent. En face de l’offre d’emploi par les entreprises, il y a la demande d’emploi exprimée par ceux qui cherchent du travail. Il s’agit des travailleurs, des chômeurs, des jeunes à la recherche d’un premier emploi. La demande d’emploi correspond à l’offre de travail par ceux qui cherchent un «job».
Comprendre le chômage
En Côte d’Ivoire, si l’on compte les chômeurs officiels, c’est-à-dire les gens qui disent avoir déjà travaillé et avoir perdu leur travail et seraient à la recherche d’un nouvel emploi, et si nous y ajoutons les personnes diplômées qui n’ont jamais travaillé et seraient à la recherche d’un premier emploi, si nous prenons en compte les personnes que l’on classe comme des chômeurs déguisés c’est-à-dire qui exercent un emploi dans lequel elles ont une productivité faible et largement en dessous de celles que leur auraient donné l’emploi dans lequel elles ont une réelle compétence ou une formation compatible, on peut estimer l’offre de travail non satisfaite, c’est-à-dire le chômage. Ces personnes ont un moyen de production qui est le travail qu’elles offrent sur le marché avec l’espoir que des entreprises puissent s’intéresser à elles et accepter de les embaucher.
Ces groupes d’offreurs d’emploi (entreprises) et de demandeurs d’emploi (travailleurs) se retrouvent sur le marché du travail où ils échangent. Si la technologie de production, la disponibilité des capitaux financiers sont déterminantes pour les entreprises, les capitaux humains, intangibles sont primordiaux pour que l’offre et la demande d’emplois se stimulent mutuellement en vue de réduire le chômage et le sous-emploi. Les capitaux intangibles sont les qualifications, les formations, les niveaux d’éducation, de santé des travailleurs et des populations en général, mais surtout les cadres institutionnels dans lesquels vont évoluer et les travailleurs et les entreprises elles-mêmes.
Lorsqu’après trois ans de pouvoir exécutif direct le Président Ouattara se retrouve avec sept à dix millions de chômeurs dans un pays de 23 à 24 millions d’habitants, ne faut-il pas se demander pourquoi sa politique économique n’est pas capable de résorber le chômage ? A cette question deux types de réponses sont à envisager.
L’erreur d’appréciation du marché du travail
La première réponse est que le président n’a pas touché aux fondamentaux de transformation du marché du travail. Il n’admet même pas qu’il y ait un marché du travail en Côte d’Ivoire. Comme avec le cacao dont il fixe le prix par décret, le chef de l’Etat considère que c’est à lui de fixer par décret le salaire de base que les travailleurs doivent accepter avant de donner leur accord à une entreprise qui leur offre un job. Ouattara estime que tous ceux qui, en Côte d’Ivoire, cherchent un travail ne doivent l’accepter que si leurs potentiels employeurs sont prêts à leur payer au minimum 60.000 fcfa. Ce minimum qui, par le passé, avait été fixé également par des décrets des prédécesseurs de Ouattara à 35.000 fcfa environ, au moment où il est dit que 50% de la population vit avec moins de 500 fcfa par jour, soit 15.000 fcfa par mois. Ces millions de personnes pauvres qui n’ont pas 500 fcfa par jour pour vivre et qui ne savent pas comment faire pour avoir ce montant ne doivent maintenant accepter de travailler que si les employeurs leur offraient au moins 2.000 fcfa par jour. Cette méconnaissance du marché du travail dans notre pays est la première raison des difficultés que rencontre le président à créer des emplois avec des décrets.
Ce type de mesure, au lieu d’entrainer une hausse de l’emploi le réduit plutôt, dans un pays où il y a un réservoir chronique de sans emploi et de chômeurs. Cette méconnaissance est aggravée par le fait que le M. Ouattara et son clan s’ingèrent dans la gestion quotidienne des entreprises, à travers le racket, le déni de justice, la criminalisation de l’Etat, le patrimonialisme, la corruption, rendant ainsi la possibilité de faire des affaires encore plus illusoire dans notre pays. Pour ces différentes raisons, il ne peut créer les emplois attendus par des populations, à moins d’un miracle.
Les emplois créés qui ne se voient que par les aveugles ?
En fait, pour l’économiste Ouattara, il y a une autre conception de l’emploi qui n’est pas directement liée à celle du marché du travail, même si elle l’influence. L’emploi est utilisé au sens comptable du terme. L’emploi, c’est l’utilisation que l’on fait des ressources. Les comptes de la nation se présentent comme un tableau à double entrée, comme l’enseigne la comptabilité, avec d’un côté les ressources, c’est-à-dire les moyens, l’argent, les fonds, les finances et de l’autre l’emploi, c’est-à-dire ce à quoi doivent servir les ressources. L’emploi entendu comme affectation des ressources est celui dont parle Ouattara. Les ressources, ce sont les recettes des régies financières de l’Etat que sont les dettes, les impôts, la douane et le trésor. L’emploi, c’est l’ensemble les dépenses que le président effectue. Les ressources peuvent être domestiques ou extérieures. Les ressources domestiques, à causes des politiques hasardeuses du gouvernement, ne sont pas suffisantes pour l’emploi qu’il en fait. Le gouvernement augmente les impôts, les droits de douanes et ne paye pas les fournisseurs de l’Etat pour la simple raison qu’il doit pouvoir dégager des moyens supplémentaires pour l’emploi. Une partie de ses ressources se trouve dans les prélèvements obligatoires et une autre dans l’emprunt qu’il effectue auprès du système bancaire et financier local et international. Il rafle ainsi les ressources liquides des banques et assurances, évinçant du même coup du système du crédit les entreprises privées et les particuliers. Il accède de façon privilégiée à l’épargne des ménages et des entreprises après leur avoir demandé de payer des impôts et taxes de plus en plus élevés.
L’éviction par la dette
L’éviction rapporte des ressources supplémentaires aux conditions fixées par le gouvernement mais qui s’avèrent aussi insuffisantes. Il va sur le marché international de l’aide publique au développement pour s’y endetter et il y obtient des fonds à des conditions privilégiées. La dette extérieure vient grossir ses ressources. Dans la comptabilité nationale, les ressources sont mesurées par l’équivalent monétaire de la production nationale, c’est-à-dire le revenu national que par commodité l’on considère comme étant le produit national brut (Pnb), un avatar du produit intérieur brut (Pib), auquel on aurait déduit la part de la production intérieure attribuable aux étrangers et auquel on aurait ajouté la part de la production mondiale attribuable aux nationaux ivoiriens qui sont hors du pays. En principe, le Pnb est la somme du Pib et du solde des flux de revenus primaires avec le reste du monde et il évolue comme le Pib. Telle est la ressource nationale. Et Ouattara fait comme si cette ressource nationale était la propriété de l’Etat, alors qu’il s’agit des ressources de la nation entière.
En face de ces ressources, il y a des emplois qui sont composés aussi de plusieurs postes. Il y a d’abord l’emploi comme consommation des ménages. Ces dépenses de consommation des ménages sont un poste important d’emploi des ressources. Se vêtir, se loger, s’alimenter, épargner, se soigner, éduquer les enfants etc., sont différents emplois du revenu des ménages. Mais dans le système de Ouattara cela importe peu car, comme l’Etat a besoin de ressources pour ces propres emplois, alors il faut taxer le plus possible les consommations des ménages pour que les ressources fiscales et parafiscales soient les plus élevées possibles. Ce sont ces ménages qui sont frappés directement par les impôts et les taxes sur leur consommation de riz, de carburant, d’électricité, d’eau et autres. Une des taxes à la consommation est la taxe sur la valeur ajoutée (Tva). Par exemple, si les ménages payent sur leurs revenus des parts importantes pour constituer les ressources de l’Etat, alors l’Etat devient riche, son budget augmente au moment où les revenus après impôts des ménages baissent. Ou bien encore les revenus de l’Etat augmentent plus vite que ceux des ménages. La vie devient dure, le coût de la vie s’élève pour les ménages parce que l’Etat prévoit un meilleur emploi de leurs ressources.
Il faut cotiser pour les dépenses de Ouattara
Ensuite, comme emploi, il y a l’investissement des entreprises. Cet emploi devrait coïncider avec les demandes d’emploi des entreprises. Mais ici aussi, Ouattara peux avoir meilleur usage des ressources des entreprises. Il faut qu’elles les lui prêtent pour qu’il les emploie au mieux des intérêts de l’Etat de Côte d’Ivoire. Pour cela, les entreprises sont invitées, en plus des prélèvements obligatoires sur le chiffre d’affaires, sur le bénéfice, sur la valeur ajoutée, à acheter des emprunts obligatoires de l’Etat à des taux d’intérêt que Ouattara fixe par décret. En plus, il leur demande de payer des avances sur impôts. Il leur demande de fixer des prix qu’il contrôle et administre. Etant donné que lui, Etat, aurait besoin de l’argent des ménages, il ne faudrait pas que les entreprises fixent des prix trop élevés de leurs marchandises pour éviter que le coût de la vie ne s’élève. Il leur demande de ne pas embaucher des travailleurs à un prix autre que celui qu’il a homologué et de ne pas les licencier à des conditions autres que celles qu’il a admises d’avance. Le contrat de travail n’a pas d’importance à ses yeux. Le respect de la propriété privée n’a pas d’importance pour lui. Seul compte l’emploi que lui veut faire des revenus des autres, qui doivent cotiser pour lui.
L’emploi en tant que dépense publique
Un troisième emploi, et c’est le plus important pour le président, est la dépense publique. C’est le point focal de l’emploi au sens de Ouattara. Le budget de l’Etat est adopté en équilibre entre les emplois et les ressources. Les sommes qu’il aura collectées par le commerce extérieur et par la fiscalité interne sont rassemblées et l’emploi qu’il en fait c’est la construction de ponts et d’échangeur à Cocody, de voie express et l’acquisition de biens de consommations durables. Donc l’emploi de Ouattara se crée, mais il ne s’agit pas d’emploi au sens de création de job pour les travailleurs. Il s’agit d’utilisation de ressources que l’Etat collecte dans les poches des autres agents économiques locaux et étrangers.
En conclusion, si le chômage augmente, Ouattara pourra toujours dire «j’ai créé de l’emploi», entendu au sens d’utilisation de l’argent public et de la dette pour faire des constructions d’infrastructures publiques. Il s’agit bien d’emploi et il aura raison de parler ainsi. Si le chômage diminue par miracle, comme le gouvernement l’espère, Ouattara dira c’est moi qui ai créé l’emploi au sens de jobs pour les travailleurs. Le président de la république gagne à tous les coups. Mais qu’en est-il des chômeurs et de ceux qui sont à la recherche d’un emploi? Pour Ouattara, le jeu de pile ou face est simple. Il lance la pièce qui tombe « pile »; le chômage baisse Ouattara gagne. La pièce tombe « face »; le chômage continue d’augmenter, mais il y a l’emploi du revenu national sous forme de ponts et de routes. Ouattara ne perd pas. Pas mal comme jeu non? Pile, il gagne ; face, il ne perd pas. N’allez surtout pas dire que le jeu est pipé. Ouattara a toutes les cartes en main et le pays est gouverné. N’est-ce-pas?
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Tags: Chômage, Emploi, LIDER
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