Auteur: Obadias Ndaba
Source: libreafrique.org
La Banque africaine de développement (BAD) a organisé ses réunions annuelles à Kigali, au Rwanda, du 19 à 23 mai dernier. L’ambiance était optimiste et le pressentiment d’un essor économique imminent était palpable, du moins pour l’avenir. La banque a publié ses perspectives économiques pour l’Afrique avec des projections de croissance de 4,8% du PIB global cette année, et 5,8% pour l’Afrique sub-saharienne. Hors Afrique du Sud, dont le contexte économique est actuellement morose, le rapport prévoit pour l’économie subsaharienne une croissance de 6,8% cette année. Excitant, non? Pas vraiment.
En effet, le rapport reproche à l’Afrique de ne pas ajouter de valeur à ses ressources, avec 50% de ses exportations « transformées ailleurs, obtenant donc leur valeur ajoutée à l’étranger ». Seulement 3,5% des exportations mondiales proviennent de l’Afrique. Selon Kunle Elebute de l’important cabinet d’audit KPMG Nigeria, « L’Afrique exporte environ 6 milliards de dollars de café, qui est traité, emballé et étiqueté ailleurs, pour être revendu à 100 milliards de dollars. Résultat: l’Afrique obtient seulement 6 milliards de dollars, le reste du monde gagne 94 milliards de dollars ». M. Elebute conclut que « le gain réel n’est pas dans la culture des grains de café, mais dans la création de la valeur. La même chose peut être dite pour toute autre marchandise : en exportant des bijoux, l’Italie gagne plus que l’Afrique du Sud qui exporte de l’or ».
Pas étonnant que le présent ne soit pas optimiste par rapport à l’avenir. Le présent tel qu’il est et son avenir tel qu’il est prévu semblent évoluer sur des univers parallèles.
Bien sûr, la croissance économique a repris et la croissance future semble encore plus prometteuse. Mais comme Donald Kaberuka, président de la Banque africaine de développement, l’a déclaré: « vous ne pouvez pas manger de la croissance économique ». Selon le rapport sur le développement humain de l’année dernière, l’insécurité alimentaire touche 30% des personnes en Afrique sub-saharienne, ce qui signifie environ 239 millions qui souffrent de la faim chronique et de malnutrition. Le chômage des jeunes dépasse 20% et cela sans inclure le sous-emploi ou ceux qui sont coincés dans les secteurs informels.
Les opportunités économiques sont si rares que Mo Ibrahim, le milliardaire de Soudan Telecom, créateur de la fondation portant son nom, plaisantait en disant que si Obama était kenyan, il serait un conducteur de bus (matatu). Le pessimisme sur l’état actuel des choses en Afrique se mélange facilement avec l’optimisme sur son potentiel futur.
Une partie du blâme va, bien sûr aux élites de l’Afrique qui sont responsables de la lenteur des changements dans au moins un certain nombre de domaines. Beaucoup de ce qui doit être fait pour l’intégration, les politiques économiques destinées à la valorisation des ressources et le commerce intérieur, exige une volonté politique et des mesures audacieuses par les décideurs. Le discours est toujours agréable et inspirant, mais les actes et la tenue des promesses ont été rares dans le passé.
Les réunions de la BAD ont été un miroir de l’évolution du paysage politique en Afrique. La franchise et la sincérité avec laquelle les dirigeants africains débattent des différents problèmes et avec laquelle ils font face aux questions difficiles sont remarquables. Cela n’aurait pas été possible il y a quelques décennies. Mo Ibrahim, évoquant le rôle de plus en plus fort de la société civile et des entreprises, exigeait une action de contestation sur le manque de données statistiques fiables: « Comment pouvez-vous diriger un pays sans information ? » Cela fait suite à la déclaration de Mthuli Ncube, économiste en chef et vice-président de la Banque africaine de développement, qui a franchement signifié à son auditoire que « 30% du PIB en Afrique n’est pas mesuré correctement ».
Combien de temps avons-nous parlé d’intégration? Comme le Financial Times l’a rapporté : un Africain, en moyenne, a besoin de visas pour visiter les deux tiers des pays africains voisins. Et nous savons bien que le commerce intra-africain représente la clé de la prospérité future, car il facilite l’investissement et la croissance des entreprises. Mais on n’a pas assez fait pour réduire les principaux obstacles au commerce entre les pays et au sein même des pays.
Le présent est encore fragile et l’avenir sera vulnérable à cause de cette fragilité. Ce qui est plus inquiétant, c’est que nous connaissons bien les solutions, mais nous tardons à les mettre en œuvre. Regardez les vidéos des réunions et vous vous rendrez compte que la connaissance de ce qui doit être fait est presque parfaite. Dans cinq nous pourrions nous retrouver en train de parler de « ce qui doit se faire » en matière de commerce intra-africain, d’intégration, de création de valeur ajoutée et ainsi de suite.
Pour finir sur une note positive sur l’avenir, selon Callisto Madavo, co-auteur d’un nouveau livre « Afrique 2050: réaliser le plein potentiel du continent » portant une vision du continent, les aspirations pour 2050 sont très hautes : une multiplication par six du revenu par habitant, une augmentation de 1,4 milliard de la classe moyenne, une division du nombre de pauvres par dix, et un triplement de la part de l’Afrique dans le PIB mondial.
L’écart entre le présent et l’avenir fait peur. Cette vision est possible, mais assurément pas garantie. Il s’agit seulement de l’un des nombreux scénarios possibles Il ne semble y avoir actuellement aucun pont pour relier le présent à ce futur radieux. L’avenir construira-t-il ce pont?
Obadias Ndaba analyste pour LibreAfrique.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique
[Facebook_Comments_Widget title= » » appId= »331162078124″ href= » » numPosts= »5″ width= »470″ color= »light » code= »html5″]
Commentaires Facebook