Par Marc Micael
Chroniqueur politique
Pour tous ceux qui suivent de près l’actualité socio-politique en Côte d’Ivoire, il y a une certitude qui s’impose d’emblée à l’intelligence: la bataille tumultueuse dans laquelle se sont engagés le pouvoir et l’opposition, n’augure pas des lendemains paisibles pour ce pays. Deux éléphants dans un magasin de porcelaine, se livrant un combat au corps à corps. L’image est saisissante, mais elle illustre bien la réalité ivoirienne.
Certes on ne peut pas reprocher à l’opposition de vouloir se repositionner sur l’échiquier politique ni au pouvoir en place de ne pas vouloir « se déculotter complètement ». Cependant il faut se l’avouer, les forces en présence s’avèrent carrément disproportionnées. D’un côté, le régime en place, avec tout l’arsenal du pouvoir. Un arsenal dont il use, très souvent, au-delà même des limites légales. De l’autre, l’opposition qui essaye de renaitre de ses cendres. Une opposition n’a en tout et pour tout, que ses meetings et autres tournées de remobilisation, pour espérer exister.
Dans un tel contexte, les choses ne peuvent qu’être mal parties, surtout, pour un pays en quête de réconciliation ; dans un pays où le sentiment d’une justice sélective alimente les prises de positions parfois radicales.
Il n’est pas utopique de le dire: la réconciliation est à l’épreuve de l’abus de pouvoir en Côte d’Ivoire. C’est l’équation qui s’impose à ce pays. Or, œuvrer pour que ce pays retrouve sa cohésion perdue, est un rôle qui incombe premièrement et avant tout à ceux qui ont souhaité – vaille que vaille – présider à sa destinée. Eux, c’est bien Alassane Ouattara et son clan. Malheureusement, entre réconcilier les ivoiriens et faire en voir de toutes les couleurs à l’opposition, ces derniers ont déjà fait leur choix.
Par exemple: la contre-offensive fulgurante du gouvernement face à ce qui apparait comme le refus du FPI (front populaire ivoirien) de lever son mot d’ordre de boycotte du RGPH (recensement général de la population et de l’habitat).
En visite à Bouaké, Koffi Koffi Paul, ministre en charge de la défense, se montrait menaçant : « On peut se servir de la loi contre celui qui boycotte le recensement ou refuse de se faire recenser. On a arrêté et sanctionné certains chefs de l’administration et des forces de l’ordre qui se sont manifestés négativement et qui ont proféré des menaces ou des critiques sur le recensement. Nous les avons fait arrêter. Donc nous avons la loi avec nous ».
Quelques jours après, le gouvernement joignait l’acte à la parole pour faire payer cash au FPI, notamment à ses responsables, leur entêtement à maintenir le mot d’ordre de boycotte du RGPH. Comme pour rappeler au parti à la rose que c’est bien lui, le gouvernement, qui dicte les règles dans ce pays.
Une nouvelle façon de « se servir de la loi » a donc vu le jour. Une bien curieuse stratégie du gouvernement visiblement pour freiner les activités de l’opposition partout où bon lui semble: les « arrêtés d’interdiction de manifester » ; avec à la manœuvre, certains élus municipaux, proches du pouvoir.
Du côté de l’opposition, on s’est indigné, face cette nouvelle ruse du pouvoir : « Les mairies, structures décentralisées qui visent à donner aux collectivités locales des compétences propres (état-civil, urbanisme et logement, écoles et équipements, activités culturelles, santé et aide sociale, police administrative), distinctes de celles de l’État, jouent maintenant en Côte d’Ivoire le sale rôle politique dévolu au ministère de l’Intérieur et de la Sécurité (…) », clame un proche de l’opposition.
Vent d’interdictions
Après les répressions violentes dont a été victime le FPI lors de plusieurs de ses manifestations, place donc aux arrêtés municipaux d’interdiction, nouvelle trouvaille du gouvernement ivoirien.
En un laps de temps, trois arrêtés municipaux d’interdiction – nous n’en sommes qu’au début – ont stoppé net les manifestations projetées par le FPI dans diverses communes de la Côte d’Ivoire. Les premiers sont l’œuvre des maires d’Adama Tounkara, maire d’Abobo et de Nassénéba Touré, maire de la commune d’Odiénné ; le dernier en date, émane de Gilbert Kafana, maire de la commune de Yopougon, tous élus sous les couleurs du RDR.
Youpougon où, la JFPI (jeunesse du front populaire ivoirien), souhaitait organiser – cette fois – une veillée de prière œcuménique pour « la libération de Laurent Gbagbo ». Souhait auquel le maire a répondu par un arrêté d’interdiction formel : « Je voudrais vous rappeler que le processus de dialogue en cours entre le gouvernement et l’opposition notamment le front populaire d’une part et le motif inconnu de la veillée de prière ne me permettent pas d’accorder un avis favorable à cette requête ».
On a beau lire et relire l’arrêté du maire de Yopougon, les motifs ci-dessus évoqués sont, en eux-mêmes, problématiques : le FPI devrait-il – selon ce maire – suspendre toute manifestation au motif que le dialogue entre le gouvernement et l’opposition est en cours ? D’autre part : une veillée de prière aurait-elle d’autre but que prier Dieu ?
Vent de mauvais signaux
Les manœuvres du gouvernement ne s’arrêtent pas qu’aux arrêtés d’interdiction. Elles vont plus loin et donnent la nette impression qu’une véritable cabale contre les membres de l’opposition est en cours.
Dans la série de manœuvres souterraines contre le FPI, on peut citer le cas Koua Justin. L’ex-secrétaire général par intérim de la JFPI, on peut le dire, n’avait pas la langue dans sa poche pour critiquer le régime d’Alassane Ouattara. Par ailleurs agent des impôts dans l’administration ivoirienne, Koua Justin s’est vu – unilatéralement – muté, à Odienné. Cette ville où l’on se fait l’écho de l’activisme de certains militants RDR, réputés pour leur hostilité contre tout ce qui à rapport à l’opposition. Ce qui fait dire à certaines langues, que la mutation suspecte de Koua, n’est ni plus ni moins, qu’une punition.
Il y a aussi, le cas d’Ahoua Don Mello, ex-ministre de Laurent Gbagbo en exil, arrêté, puis relâché au Cameroun, ne peut que s’inscrire visiblement dans la dynamique de l’offensive menée par le gouvernement ivoirien contre l’opposition, notamment le FPI.
Bien que les charges qui pesaient contre Laurent Gbagbo viennent d’être confirmées, les observateurs avisés de la crise ivoirienne s’accordent à dire que cela n’occulte en rien le fait qu’il demeure un facteur déterminant du processus réconciliation en Côte d’Ivoire. Exit les jubilations de ses ennemis. Sa longue détention pourrait négativement influencer le processus en cours.
Même si le régime d’Alassane Ouattara se refuse à l’accepter, le du mot d’ordre de boycotte du RGPH lancé par le FPI est un franc succès. Les négociations entamées – sur-le-champ – par le gouvernement pour emmener le FPI à lever son mot d’ordre de boycotte, est un autre signal.
En tout état de cause, accordons-nous pour signifier à ce régime qu’il gagnerait – dès maintenant – à en tirer les leçons qui s’imposent, avant que ne se lève la tempête que les plus avertis annoncent pour… 2015.
marcmicael@yahoo.fr
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