Par André Silver Konan
Ma lettre ouverte aux Eléphants : « Vous avez le choix entre vous ridiculiser une fois de plus ou essayer d’entrer dans l’histoire »
Très chers Eléphants,
C’est avec un petit dépit que je choisis de vous envoyer cette lettre. C’est la première fois que je m’adresse directement à vous, et vous devinez que je ne le fais pas parce que j’ai envie de jouer.
Je vous le dis très calmement : je n’attends pas grand-chose de vous, pendant ce Mondial, j’attends juste que vous nous prouviez que nous n’avons pas eu tort de croire indéfiniment en vous, au cours de cette décennie footballistique, qui aurait pu être différente, si vous aviez voulu écrire les pages de votre (que dis-je de notre histoire) avec des lettres de gloire ; les occasions n’ayant pas manqué.
Votre problème, je ne vous apprends rien, ce n’est ni le fait que vous soyez une génération maudite, ni votre incompétence. Votre problème, ce sont vos egos surdimensionnés et votre manque de solidarité, auxquels j’ajoute très volontairement votre manque de respect pour vos supporteurs que nous sommes et surtout votre manque de patriotisme.
Je n’invente rien et vous le savez très bien. Je commence par les propos d’Emmanuel Adebayor : « Je n’ai jamais cru en eux. C’est le pays qui va toujours vous décevoir. Ils ont eu le meilleur attaquant d’Europe avec Didier Drogba. Ils ont actuellement le meilleur milieu de terrain avec Yaya Touré, mais aussi un des meilleurs attaquants d’Angleterre avec Wilfried Bony. Mais il n’y a pas de solidarité. Ils vont parler, rire et s’amuser ensemble, mais, le moment venu, ils oublieront de faire leur travail. Comment se fait-il que lors des quatre ou cinq dernières années ils n’ont pas gagné la Coupe d’Afrique des Nations ? Tout le monde veut passer pour le héros et c’est ce qui est en train de tuer la Côte d’Ivoire. »
Il est vrai que le Togolais est très mal placé pour donner des leçons d’humilité à qui que ce soit, mais il pose un problème de fond. Quelques jours après Adébayor, c’est Samuel Eto’o (mégalo devant l’Eternel, qui ne demeure pas moins brillant et patriote sur un terrain de foot) qui a dénoncé en termes voilés, votre manque collectif d’enthousiasme sur un terrain de football: « La Côte d’Ivoire est la meilleure équipe sur papier, mais en même temps, je pense qu’il est temps pour les Eléphants de montrer qu’ils sont les meilleurs ».
Très chers Eléphants,
Vous me direz que ce sont des joueurs étrangers au groupe, qui vous jalousent. Certes. Je vais donc vous prendre au mot. Voici ce que disait, il y a quelques mois, Max Gradel, après votre sortie honteuse de la CAN : « Une fois de plus, la Côte d’Ivoire n’a pas su saisir sa chance. J’espère qu’avec la nouvelle génération de joueurs, on saura changer la donne ». Gradel, l’un des joueurs de la jeune génération, faisait clairement allusion, sans les nommer, au peu d’entrain des anciens de l’équipe que sont Drogba, les frères Touré, Maestro, Tiéné et autres.
Il y a juste quelques jours, c’est Gervinho, un autre joueur de la jeune génération, qui en remettait une couche, en invitant très nettement tout le monde à abandonner le chemin de la tricherie : « Je pense qu’avec la qualité de notre effectif, nous aurons notre mot à dire si chacun d’entre nous se met au service de l’équipe ». Vous avez bien lu, il a dit : « si chacun d’entre nous se met au service de l’équipe », langage diplomatique pour dénoncer le manque de solidarité au sein du groupe.
Ce manque de solidarité qui n’échappe à aucun journaliste sportif (hier, sur une chaîne cryptée, des journalistes se sont ouvertement moqués de vos histoires d’égo), même pour les non connaisseurs comme moi, Didier Drogba lui-même le reconnaît. Voici ce que le capitaine a dit à votre propos, lui y compris : « On a joué deux finales de CAN qu’on a perdues aux tirs au but. Il nous a manqué aussi de la rigueur à certains moments. Et à beaucoup d’autres moments, il nous a également manqué l’union au sein de l’équipe. Le sport d’équipe en général et le football en particulier sont compliqués. Ils ne laissent pas de place au manque de solidarité. S’il n’y a pas de solidarité, il est difficile d’aller loin, même avec le talent « .
Très chers Eléphants,
Vous connaissez donc votre problème, arrêtez d’être hypocrites. Si vous refusez de le régler et que vous nous servez une compétition pitoyable, je peux vous assurer que vous ne m’y prendrez plus. Savez-vous pourquoi ? Parce que je vous appliquerai la même méthode que j’ai appliquée aux équipes ivoiriennes, c’est la méthode de l’indifférence vis-à-vis de la fille aimée qui ne vous le rend pas. Quand j’étais adolescent, je supportais tantôt l’Asec, tantôt l’Africa, surtout quand ces équipes étaient engagées dans des compétitions internationales. Après que ces équipes nous ont servis, sur plusieurs années, des jeux pathétiques et des victoires qui ne venaient pas, j’ai décidé de ne plus m’intéresser à elles. Cela a marché, à ma grande honte, certes. Aujourd’hui, je ne connais aucun nom d’un seul joueur de l’Asec et de l’Africa et je n’en suis pas fier, mais je vis mieux. Alors, je vais vous dire ce qui se passera avec vous, si vous refusez de mettre le pied. Personnellement, vous ne m’aurez plus comme supporteur, encore moins « supporteur maso ». Et tant que votre génération abusivement qualifiée de dorée (c’est-à-dire, la génération Drogba / Touré, je ne parle pas des plus jeunes) jouera encore au football, je ne m’intéresserai plus à votre actualité. Je le dis vraiment par dépit, n’y allez voir aucune manifestation de colère.
C’est donc à vous de voir. Vous avez le choix entre vous ridiculiser une fois de plus aux yeux du monde, ou essayer d’entrer dans l’histoire du football, en vous hissant, au moins jusqu’en demi-finale, parce que vous en êtes capables. La balle est dans votre camp. Bonne chance à vous !
André Silver Konan
Journaliste-écrivain, supporteur (désabusé, jusque-là) des Eléphants
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