L’avocate franco-camerounaise Lucie Bourthoumieux a été condamnée en 2010 par la Cour de cassation de Paris à rembourser 215 000 euros à la République de Côte d’Ivoire qui la poursuivait pour un travail de lobbying non exécuté.
La révélation de la décision des juges français devrait susciter de nombreuses interrogations dans les rangs des fidèles de l’ex-président Laurent Gbagbo. L’avocate Lucie Bourthoumieux, 46 ans, n’étant pas une inconnue dans la galaxie de l’ancien régime ivoirien.
En effet, Me Bourthoumieux est liée à Justin Koné Katinan, ancien ministre délégué au Budget, dont elle est l’avocate. C’est une proche de Bernard Houdin, un ancien conseiller de Gbagbo chargé de l’environnement et ex-membre du mouvement néo-nazi le Groupe Union Défense (GUD), une organisation étudiante d’extrême droite réputée pour son activisme violent et xénophobe – depuis dissoute par les autorités françaises.
La juriste, souvent aperçue aux côtés de Koné Katinan au Ghana et au Cameroun, faisait partie, avec ses confrères Jacques Vergès, Roland Dumas et Marcel Ceccaldi, du collectif des avocats internationaux constitué lors de la crise post-électorale pour défendre les intérêts de la présidence ivoirienne sous Laurent Gbagbo.
En fait, l’affaire portée devant les juges français remonte à l’année 2005, au lendemain des bombardements français de novembre 2004.
Le 5 mars 2005, Mme Lucie Nyangwa Gacha-Tawa, épouse Bourthoumieux, dirigeante de la SELARL Bourthoumieux créée en septembre 2004, signe une convention d’honoraires avec l’Etat ivoirien, représenté par Mamadou Koulibaly, alors président de l’Assemblée nationale.
Selon les termes de l’accord dont Politico a eu copie, Me Bourthoumieux s’engageait à « défendre, assister, et représenter la République de Côte d’Ivoire devant les juridictions françaises et internationales » et à « alimenter la réflexion des décideurs politiques et des relais d’opinion sur les enjeux constitutionnels juridiques, politiques, sociaux et économiques de la crise ivoirienne au regard du peuple ivoirien. »
L’avocate devait « assurer une liaison permanente entre le client et les représentants de ces pouvoirs ». Elle se proposait également de tenir « au moins une fois par mois des réunions restreintes entre le client et les décideurs politiques, financiers et relais d’opinion », notamment en France et l’étranger. La convention de lobbying prévoyait que Me Lucie Bourthoumieux « communique au client un rapport écrit trimestriel d’activités. »
En contrepartie de cette action de lobbying, la République de Côte d’Ivoire s’est engagée à lui verser, dès la signature, la somme de 115 000 euros à titre d’honoraires pour toute la durée de la mission auxquels s’ajoutaient 100 000 euros pour les frais. Soit la coquette somme de 215 000 euros.
Mais le 4 novembre 2005, soit huit mois après la signature de la convention, la République de Côte d’Ivoire décide de mettre fin au deal. Motif invoqué : « Aucune prestation n’avait été accomplie » par Me Bourthoumieux à qui son client demande le remboursement intégral des sommes versées, c’est-à-dire 215 000 euros.
« Bien qu’il n’y ait eu aucune contrepartie au versement de cet argent, l’avocate a refusé de rembourser la République de Côte d’Ivoire », lit-on en substance dans le jugement de la Cour de cassation consulté par Politico.
C’est ainsi que l’ancien numéro deux de Laurent Gbagbo, Mamadou Koulibaly, saisit le Bâtonnier du Barreau de Paris pour exiger le remboursement par Me Lucie Bourthoumieux de l’argent qu’elle aurait « indûment » reçu.
Le Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris a alors estimé que Me Bourthoumieux ne pouvait prétendre à aucun honoraire et qu’elle devait restituer à l’Etat ivoirien la somme de 215 000 euros, faute pour elle de pouvoir justifier des diligences accomplies.
L’avocate fait aussitôt appel de la décision qui sera confirmée par la Cour d’appel de Paris. Refusant toujours de rembourser la somme due aux autorités ivoiriennes, elle se pourvoit devant la Cour de cassation de Paris.
Dans un arrêt en date du 7 octobre 2010, la Cour de cassation a constaté que « Maître Bourthoumieux ne justifiait d’aucune diligence ni de frais qui auraient pu justifier qu’elle garde une telle somme », et a donc confirmé la décision selon laquelle l’avocate devait rembourser la somme de 215 000 euros à la République de Côte d’Ivoire.
L’arrêt de la Cour de Cassation qui condamne Me Lucie Bourthoumieux :
Arret Bourthoumieux (1) by POLITICOMAG
En raison sans doute du désordre généré par le conflit post-électoral, Me Lucie Bourthoumieux n’aurait pas remboursé la somme indûment perçue. Pour mémoire, entre novembre 2010 et avril 2011, l’avocate va subitement réapparaître aux côtés des défenseurs de l’ancien président Laurent Gbagbo. Le 16 septembre 2011, elle le rencontrera même lors de sa détention à Korhogo en compagnie des avocats français Jacques Vergès, Roland Dumas et Marcel Ceccaldi.
Politico a tenté d’obtenir la réaction de Me Bouthoumieux. Malheureusement, l’avocate n’était plus joignable à ses numéros habituels à Paris. Quelques recherches effectuées sur internet ont permis de découvrir son profil LinkedIn. Elle s’y présente tantôt comme « travailleur indépendant du secteur cabinet d’avocats » tantôt comme correspondant à Paris du cabinet canadien Heenan Blaikie – qui a fait faillite. En outre, la juriste figure dans l’équipe du cabinet londonien Chaplin, Benedicte & Co. (CBC), « spécialisé dans les montages juridiques et la planification fiscale offshore ».
Le site linguee.fr nous apprend que l’avocate, qui a visiblement plusieurs cordes à son arc, est une « experte des relations commerciales internationales, notamment avec l’Afrique », où elle aurait « participé à plusieurs importants projets de développement ».
Enfin, côté gestion, le bilan annuel 2013 de la SELARL Bourthoumieux n’était pas encore disponible sur le site spécialisé societe.com. Sa seconde entreprise, Bourthoumieux Lucie née Gacha – connue sous le nom commercial d’Osmotik Multiservices -, née il y a 17 ans et spécialisée dans le secteur du commerce de gros de biens de consommation, n’a pas déposé de comptes annuels depuis plusieurs exercices.
La révélation de cette condamnation par Politico conduira-t-elle l’actuel régime ivoirien à réclamer les 215 000 euros à l’ancienne lobbyste de l’ex-président Laurent Gbagbo… au nom de « la continuité de l’Etat » ? That’s the question…
© POLITICO – Sonia Cohen, avec Ehud Jonathan – See more at: http://www.politicomag.com/article.php?item=2365&cat=0&exclusif.-une-ex-avocate-de-gbagbo-condamnee-par-la-justice-fran%C3%A7aise-a-rembourser-215-000-euros-a-l-etat-ivoirien#sthash.i8vvGsci.dpuf
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