Européennes: l’austérité et les promesses trahies provoquent une grave crise politique en france
Sébastien Crépel / humanite.fr
L’abstention et le FN sont sortis en tête du scrutin, hier. Un vote de colère sans issue qui traduit le désarroi des électeurs, mais face auquel le premier ministre entend pousser les feux de sa politique, quitte à faire courir un risque mortel à la gauche et au pays.
Crise de l’Europe, crise en France où le PS paie les attentes de gauche déçues, sans que le Front de gauche parvienne à rassembler, ne faisant que maintenir son score de 2009. L’UMP de son côté reconnaît « un choc » après les élections européennes. Le Front national bien évidemment pavoise avec environ 25 %, devant l’UMP à 20 %, le PS à 14 %, le Modem à 10 %, EELV à 9,6 % et le Front de gauche à 6,5 %. Au niveau européen, la bonne nouvelle vient de Grèce où Syriza, la formation d’Alexis Tsipras, également candidat de la gauche européenne, avec près de 28 % des voix est en tête et devance de cinq points la droite de Nouvelle Démocratie.
Le parti fasciste Aube dorée progresse de deux points à 9 % et devance le Pasok (socialiste) à 8 %. La participation légèrement en hausse dans les grands pays reste dans l’ensemble à 43 %, 44 %, témoignant de ce que l’Europe telle qu’elle est ne convainc toujours pas. C’est encore plus évident dans les pays de l’Europe centrale et orientale avec souvent moins de 30 % de votants. Pour revenir aux résultats eux-mêmes, du côté de la Gauche unitaire européenne, on note le score aux Pays-Bas du Parti socialiste (l’équivalent du Front de gauche) qui le ferait passer d’environ 7 % à 10 %. En Irlande, le Sinn Féin, opposé aux politiques d’austérité, passerait de 13 % à 17 %. Du côté de l’extrême droite, on savait déjà aux Pays-Bas que la première place annoncée de la formation PVV se résumait à une quatrième place à 12 %.
En revanche, en Allemagne, le parti AfD, créé il y a tout juste un an, obtiendrait environ 6,5 %, soit un peu plus de deux points par rapport à la précédente élection. Les conservateurs de la CDU/CSU d’Angela Merkel restent en tête avec 36 % devant les sociaux-démocrates qui passent cependant de 20 % à 27 %. On s’attendait également à une progression en Grande-Bretagne du parti d’extrême droite Ukip. En Belgique, les nationalistes flamands passent les 30 % en Flandre, tandis que les socialistes restent en tête dans la partie francophone. En Autriche, le parti FPO, toujours à l’extrême droite, arriverait en troisième position avec plus de 19 %, en hausse de cinq points, mais toujours derrière les chrétiens-démocrates et les sociaux-démocrates au pouvoir. Au Portugal, la coalition de centre droit au pouvoir est devancée par les socialistes, dans l’opposition. D’un point de vue plus général, les discours annonçant que les parlementaires européens choisiraient le président de la Commission volent d’ores et déjà en éclats, Angela Merkel et David Cameron s’y opposant.
L’abstention et le FN sont sortis en tête du scrutin, hier. Un vote de colère sans issue qui traduit le désarroi des électeurs, mais face auquel le premier ministre entend pousser les feux de sa politique, quitte à faire courir un risque mortel à la gauche et au pays.
Avec moins d’un électeur sur deux qui s’est rendu aux urnes et une extrême droite qui finit la course en tête pour la première fois depuis la Libération, le scrutin d’hier prend toutes les dimensions d’un séisme. D’abord par l’ampleur de la désaffection des citoyens, dans la foulée de l’abstention mesurée aux municipales, que le faible regain de participation (+ 0,5 à 3 points) observé par rapport au record établi en 2009 ne vient qu’à peine atténuer. Ensuite par l’ampleur du score du FN, qui réunit un quart des exprimés, du jamais-vu, et de la défaite pour la gauche, mais aussi de la droite. Le constat pour les dirigeants français et européens est accablant : c’est un message de défiance très profonde qu’ont émis les Français à leur intention, hier, visant à la fois la construction européenne telle qu’elle se fait, voire l’idée européenne elle-même, minée par l’austérité et la concurrence, mais aussi les politiques nationales prises dans les mêmes carcans.
Pourtant, bien que le scénario redouté fût en germe dans les municipales, rien n’y a fait : au contraire, au lieu d’entendre le message des urnes, François Hollande a nommé un gouvernement « de combat » pour « accélérer » sa politique rejetée dans les urnes. Après le désastre d’hier, une réunion de crise devrait se tenir aujourd’hui à l’Élysée, mais l’issue en est déjà connue : le score du FN devrait être prétexte à resserrer les rangs autour de la politique gouvernementale présentée comme la seule viable. C’est le refrain entonné dès hier par Manuel Valls, qui a exclu d’emblée tout changement de politique à venir, mais a promis d’« aller plus vite » pour « réformer la France » après le « choc » et le « séisme » des européennes… Bref, « nous ou le chaos » : tel est en substance, la dangereuse stratégie esquissée par le premier ministre, face au vote de colère sans issue exprimé par les électeurs qui se sont laissé prendre dans les filets du FN.
La gauche perd dix points
Une stratégie périlleuse en premier lieu pour la gauche tout entière, qui subit un recul sévère par rapport aux précédentes élections européennes de 2009 : elle se situerait en deçà de la barre des 35 % selon les estimations disponibles hier à 22 heures, contre plus de 45 % il y a cinq ans. Avec 14 à 15 % des voix, le PS réalise une contre-performance historique, en dessous de son score de 2009 (il avait obtenu seulement 16,5 % des voix, subissant de plein fouet l’élan des listes d’Europe Écologie-les Verts), voire de celui de la liste de Michel Rocard en 1994 et ses 14,5 %, un plus-bas historique obtenu juste après la débâcle des législatives de 1993 et, surtout, dans un contexte de concurrence de la liste emmenée par Bernard Tapie au nom des radicaux, aujourd’hui alliée au PS… L’engagement quasi total du gouvernement dans les derniers jours du scrutin, censé prendre le contre-pied de la stratégie d’évitement mise en œuvre par l’équipe de Jean-Marc Ayrault, qui n’avait pas permis d’éviter le désastre aux municipales de mars, n’a pas davantage empêché un nouveau revers.
Quant à EELV, ses candidats sont loin de rééditer « l’exploit » de 2009, flirtant avec les 9 %, contre 16,3 % la dernière fois où ils faisaient jeu égal avec le PS… Les écologistes paient aussi un positionnement confus, concrétisé par une désolidarisation gouvernementale tardive, et une candidature à la présidence de la Commission européenne en la personne de José Bové, qui a multiplié les prises de position à contre-courant de l’électorat de gauche (soutien aux traités, opposition à la PMA, etc.).
Au final, dans ce contexte de recul pour la gauche, les seuls à retrouver à peu près leur score de 2009 sont le Front de gauche, avec 6 % à 7 % hier contre 6,17 % des voix en 2009 en métropole (6,45 % dans la France entière), l’extrême gauche (NPA et Lutte ouvrière), voyant quant à elle son score s’effondrer à 1 % ou 2 % (contre 6 % il y a cinq ans). Mais le Front de gauche ne parvient pas à franchir le nouveau seuil qu’il espérait. Dès hier, le secrétaire national du Parti communiste, Pierre Laurent, a appelé « toutes les forces vives du pays, la jeunesse et les salariés à s’unir sans attendre » pour « reconstruire là où la politique du gouvernement a mené au désastre » (lire ci-contre).
La droite n’en profite pas
La droite ne profite pas de ce recul de la gauche comme elle aurait pu l’espérer. Ses listes totaliseraient environ 37 % des voix, contre près de 43 % en 2009. Avec à peine 20 % des exprimés, l’UMP fait certes mieux qu’en 2004 (16,6 % pour la liste conduite à l’époque par Alain Juppé), mais une part de ses électeurs ont préféré les listes UDI-Modem (autour de 10 % hier soir), qui ont capitalisé sur la mauvaise conscience de l’UMP en assumant à sa place l’approfondissement d’une construction européenne avec laquelle une partie des dirigeants de droite, à l’instar d’Henri Guaino ou de Laurent Wauquiez, et même de Nicolas Sarkozy dans sa tribune publiée dans le Point, prennent leurs distances après en avoir poussé les feux quand ils étaient au pouvoir.
Score inédit du FN
Mais c’est surtout le FN qui freine le score de l’UMP, le revirement aux accents souverainistes d’une partie de ses responsables n’ayant pas permis d’endiguer l’ascension des listes d’extrême droite. Celle-ci réalise un score inédit depuis la Libération, en franchissant pour la première fois la barre des 20 % des voix, frôlant même les 25 %. Un résultat à manipuler avec précaution tout de même, puisque le parti de Marine Le Pen reculerait d’environ 2 millions de voix par rapport à la présidentielle (6,4 millions et 17,9 % en 2012). Mais il n’empêche : l’extrême droite a multiplié son score par près de quatre depuis 2009 (6,34 %). D’ores et déjà, sa position dans le scrutin constitue en soi un tournant dans la vie politique française, même si l’on sait d’expérience que les élections européennes ne ressemblent à aucune autre et ne redessinent pas, à elles seules, un paysage politique national. Alain Juppé a reconnu, hier, « une défaite pour la droite et le centre dont il faut qu’(ils) tir (ent) toutes les conséquences ». De son côté, Marine Le Pen a immédiatement demandé une dissolution de l’Assemblée nationale, un vœu rejeté par le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll.
Reste une « très grave crise sociale, politique et démocratique », selon Pierre Laurent. Le fruit de « dix ans de mépris » du « message des électeurs », après la négation de leur « non » au référendum de 2005. « Les électeurs ne veulent pas de l’Europe telle qu’elle se construit, ils veulent des changements profonds (mais ils sont convaincus que) leur vote ne va rien changer », expliquait-il, en prévenant : « Si on ne corrige pas le tir, on va vers une remise en cause de l’Union européenne. » Hier, un pas a été franchi en ce sens.
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