Mouvements sur les espaces universitaires, retour de la Fesci…
Gnelbin Innocent (Ex-Sg de l’Ageeci): “Les autorités doivent prendre leurs responsabilités”
Après quelques périodes d’accalmie, la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire renait de ses cendres et reprend avec les dégâts. Comment parvenir à bout de ce monstre ? Interview avec Innocent Gnelbin, ex-secrétaire général de l’Association générale des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire.
Vous avez été secrétaire général de l’Association générale des étudiants et élèves de Côte d’Ivoire (Ageeci) de 2004 à 2007. Quels ont été les objectifs de la création de cette association?
Le système éducatif de notre pays souffrait depuis quelques décennies d’une grande léthargie. J’ai souvenance que l’action des syndicalistes des années 90 et 99, et la relative écoute des autorités politiques et administratives d’alors aidaient à corriger quelques erreurs, même si cela n’avait pas un impact durable sur le système. Seulement à partir des années 2000 les problèmes socio-académiques se sont aggravés, l’école était en état de ‘‘mort cérébrale’’, et il était malheureusement impossible de le dire, de le dénoncer et donc d’y apporter un début de solution. Cette impossibilité de revendication s’est matérialisée par le refus de la liberté syndicale qu’imposait de force la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci) qui, du reste était soutenue par l’impunité. Mes camarades et moi avons compris que pour résoudre les problèmes du système éducatif, il était nécessaire de lutter pour les libertés dans l’espace universitaire et scolaire. Tel est l’objectif qui nous a guidés à la création de l’Ageeci.
Pensez-vous aujourd’hui, avoir atteint vos objectifs?
L’opinion et l’histoire sont à même de laisser à la postérité le meilleur jugement qui soit de notre action à la tête de l’Ageeci. Toutefois, nous avons apporté notre petite pierre à la construction de la démocratie de notre pays. Il reste évidemment beaucoup à faire dans le milieu éducatif en termes de droit à la différence, de meilleures conditions académiques et sociales des étudiants et élèves.
Que devient l’Ageeci dont on entend à peine parler?
Vous remarquerez que cela fait 7 ans que j’ai quitté la tête de cette organisation, il m’est donc difficile d’avoir une appréciation objective du chemin emprunté par les jeunes frères qui courageusement ont pris le relais.
Nous assistons depuis quelques mois à des vagues de violence sur l’espace estudiantin. Il s’agit de mouvements menés par la Fesci qui avait été éteinte. Comment selon vous, la Fesci a-t-elle pu renaître de ses cendres?
Je pense qu’il ne faudrait pas s’offusquer outre mesure que la Fesci renaisse ou pas de ses cendres. Nous sommes dans un Etat qui se veut démocratique. Qu’un mouvement d’étudiants existe ou pas, soit fort ou pas, là n’est pas le problème. La véritable question, c’est comment l’autorité régule l’espace universitaire dans le but que les syndicats des étudiants restent strictement dans leur champ d’action et dans les limites que leur permet la loi. Malheureusement il faut le reconnaître, la violence s’est généralisée entre syndicats étudiants, comme moyen d’expression et d’hégémonie. Certains pensent que leur heure a sonné tandis que d’autres veulent maintenir leur prétendue seigneurie. Je voudrais simplement vous affirmer que cette violence n’est pas une fatalité. Tant que les difficultés et les inégalités existeront dans le système éducatif, les syndicats existeront. Il faut simplement bien les encadrer et responsabiliser leurs différents bureaux. Je pense que c’est l’essentiel.
Vous parlez d’inégalité ….
Nous sommes dans un pays où les inégalités sociales sont avérées. Le dernier séminaire du gouvernement le dit et surtout traite de la nécessité de transformer la croissance en une réalité quotidienne pour tous les citoyens. Le système éducatif n’est pas en reste. L’égalité dans l’éducation n’est pas encore une réalité. Des élèves et étudiants méritant la bourse et les logements universitaires, parce qu’issus de familles pauvres, se retrouvent souvent lésés. Les inégalités sont aussi académiques, les étudiantes, les élèves de sexe féminin, obligées parfois même quand elles sont brillantes de céder a de honteux chantages sexuels. Les syndicats non plus ne sont pas traités à la même enseigne par l’autorité. D’ailleurs beaucoup l’ont critiqué: le Mouvement des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (Meeci), choyé par le Pdci au détriment des autres ; la Fesci, choyée par le FPI au détriment des autres. Voici quelques inégalités entre autres qui doivent disparaître au profit d’une égalité de chance entre apprenants afin d’assurer de meilleures conditions sociales et académiques. Le système éducatif ivoirien en a besoin.
Comment peut-on alors restaurer l’accalmie au sein de l’espace universitaire?
Je ne parlerais pas d’accalmie. Il y a des termes qui confortent certaines situations mauvaises. Il faut tout simplement que la violence n’existe plus dans le milieu universitaire, le milieu du savoir par excellence. La violence n’a pas de place dans ce milieu. S’il est vrai que la gestion démocratique de nos universités impose une liberté d’association, il est aussi vrai que le syndicalisme est régi par les lois de la République. S’il est vrai que les associations d’étudiants ont droit à la grève, aux arrêts de cours, il est aussi de droit que les étudiants soient libres de s’y associer ou pas. S’il est de droit que ces syndicats participent à la gestion démocratique de nos universités, il l’est aussi qu’ils fassent le choix de leurs représentants dans les instances de décision. S’il est enfin du devoir des étudiants de respecter les lois de la République et d’éviter tout acte de violence, il est aussi du devoir des autorités d’appliquer sans complaisance et sans exclusive toute la rigueur de la loi en cas de violation de celle-ci. Je vous rassure que tout en faisant ces affirmations, je reste très lucide quant à la complexité de ce milieu. Complexité faite de réalités endogènes et exogènes. Nos étudiants sont les cadres et politiques de demain. Nous devons les aider en toute responsabilité à s’exercer à la chose démocratique. C’est important pour l’avenir de notre pays. Les étudiants ont des droits et des devoirs, comme tout bon citoyen ; il appartient aux autorités de leur permettre de compter dans les décisions les concernant tout en les responsabilisant vis-à-vis de la loi.
Votre organisation, on le sait, avait en son temps donné des sueurs froides à la Fesci. Quelles sont selon vous, les solutions pour que l’on n’entende plus parler de dommages causés par cette fédération?
Je ne parlerais pas de sueurs froide, mais de recul des actes de violence. C’est le lieu de rendre encore une fois hommage à Habib Dodo assassiné froidement et dont le tueur court toujours. Nous rendons aussi hommage à tous ces camarades qui gardent jusqu’à ce jour les séquelles des tortures. Toutes ces personnes et bien d’autres ont mené un combat héroïque dans un contexte socio-politique à hauts risques. Moi je n’étais que le secrétaire général. Pour les solutions contre les dommages créés, il est bon de dire qu’en ce moment, ce serait une solution pour bien d’autres associations aussi. Il faut réguler ce milieu et permettre aux étudiants de se reconnaître dans le syndicat de leur choix. Cette approche, loin d’être trop libérale, si elle est correctement ficelée permettra de responsabiliser les syndicalistes et de créer un cadre intelligible et sain entre différents syndicats, entre syndiqués et enfin entre syndicats et autorités.
Pensez-vous que la Renaissance étudiante et scolaire (Rets) créée le mois dernier pourra être une solution alternative ?
Je ne sais pas beaucoup de cette organisation. J’ai entendu parler d’elle. Ce n’est pas mauvais d’avoir plusieurs organisations estudiantines mais c’est mieux quand elles toutes travaillent réellement et profondément pour un meilleur devenir de nos étudiants. Il importe surtout que nos autorités régulent l’espace associatif estudiantin pour un meilleur épanouissement de nos étudiants et de nos universités. Sinon quelque soit le nombre et la qualité des associations, les tragédies passées se répéteront.
Votre réaction sur la position du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique qui affirmait récemment : «Le temps du syndicalisme est terminé»
Plusieurs ministres se sont succédé à la tête du ministère de l’Enseignement supérieur. Aujourd’hui c’est l’ère du ministre Niamien Konan. Il faut le reconnaître, ce monsieur est un bosseur. On l’a vu à l’œuvre à la douane et aussi à la Fonction publique et aux reformes administratives. Il a abattu un très gros travail, il a modernisé ces secteurs. Je lui souhaite de continuer dans cette attitude de travailleur au niveau de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Les secteurs sont différents et ont des réalités différentes. Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique est très complexe mais pas impossible à reformer et moderniser. Toutefois, dans sa reforme et dans sa modernisation, il faut tenir compte du fait que dire que le temps du syndicalisme est terminé peut être mal compris et mal interprété. Même dans les pays occidentaux et américains qui sont nos modèles en reforme et en modernisation, les organisations syndicales estudiantines existent. Seulement les étudiants sont plus encadrés, responsabilisés et participent effectivement dans la prise des décisions qui les concernent.
Vous êtes dans l’événementiel et donc dans la culture, votre impression sur la culture en général et sur le Masa en particulier ?
Nous avons une très grande richesse culturelle et je pense que nos artistes dans tous les domaines le démontrent par la qualité de leurs œuvres. Qualité reconnue bien au-delà de nos frontières. Il faut pour notre pays, une industrie du cinéma et de la musique, qui je vous assure boostera notre croissance économique car la valeur ajoutée que peut apporter ce secteur à notre économie est énorme. Concernant le Masa, ça a été un gros challenge de relever ce marché et j’ai été très heureux du défilé de plusieurs nationalités sur nos podiums à l’occasion de ce festival. C’est très bon pour la Côte d’Ivoire.
Vous vous êtes essayé en politique…
J’ai été candidat aux élections municipales à Katiola avec pour volonté d’amener nos cadres trop longtemps divisés à se réunir autour de notre commune malade. Je suis heureux de voir qu’il y a de bonnes choses qui se font sur place.
Un commentaire sur les grands chantiers du président Ouattara?
J’ai suivi il y a peu la conférence de presse du Premier ministre qui franchement m’épate par le volume et la qualité du travail qu’il abat. Le point des grands chantiers du Président fait par le Premier ministre m’a impressionné. Dans l’histoire d’une nation, il faut à un moment donné savoir regarder les enjeux, savoir déterminer ce qui est primordial. Notre pays revient de loin et souffrait de l’absence de tous les fondamentaux d’un Etat moderne. Je pense qu’il nous appartient à juste titre d’apprécier le travail qui est fait par le président de la République et son gouvernement. Il est vrai que la cherté de la vie est une réalité, mais depuis peu j’observe l’approche stratégique du ministère du Commerce à travers notamment le dernier séminaire du gouvernement et j’ai bon espoir qu’une solution durable est en voie de se concrétiser. Pour le chômage, je reste sur ma faim et je pense que le gouvernement peut mieux faire.
Réalisée par Touré Yelly
L’Expression
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