Côte d’Ivoire identités et objectifs des assaillants Ce qui s’est vraiment passé à Fêtai

Fetai

Par SAINT-TRA BI correspondant régional de Fraternité Matin

Très tôt à l’aube du jeudi 16 mai 2014, des individus armés d’armes de guerre et d’armes blanches ont attaqué le village de Fêtai dans la commune de Grabo pour la deuxième fois en moins de deux mois. Faisant 14 morts (onze civils et trois soldats des Frci) et plusieurs blessés et disparus. Les victimes civiles sont de nationalité burkinabè, guinéenne et togolaise. Depuis, la peur s’est emparée de ce village situé à la frontière avec le Liberia. Seuls quelques habitants intrépides restent accrochés à leurs ruines. Les autres ont quitté les lieux pour se mettre à l’abri dans la ville de Grabo, à 9 km.

Au lendemain de l’attaque, nous nous sommes rendu dans cette bourgade pour constater l’étendue des dégâts. L’odeur de la mort était perceptible partout, des cases, greniers, boutiques, des garde-manger, des cuisines et même des arbres continuaient de brûler, malgré la pluie tombée la veille, comme pour témoigner de la violence de l’attaque. Seuls les animaux abandonnés dans le village erraient, cherchant désespérément leurs propriétaires partis à la suite de l’attaque. Non loin de la base des militaires, des parents de victimes enterraient leurs morts, non pas au cimetière mais à l’endroit où ils avaient été tués. Des morts ont été enterrés dans des fosses communes. Il fallait faire vite : des tirs continuaient dans les environs, les Frci passant au peigne fin les alentours du village. Au dire des populations rencontrées sur place, c’est au petit matin que l’attaque a été lancée: «Aux alentours de 5h du matin, nous avons entendu des coups de feu en provenance de la base des Frci, puis à l’entrée du village, accompagnés de chants. Nous avons compris qu’il s’agissait d’une nouvelle attaque. Mais il était trop tard car le village avait été encerclé par les assaillants», raconte Fousseni Ziba. Certaines populations, explique-t-il, ont tout de même eu le temps d’aller se réfugier en brousse. Ce sont celles qui n’ont pas pu s’échapper qui ont fait les frais des indésirables : « Les plus chanceux se sont vus dépouillés de leur argent. Ceux qui n’ont pas eu cette chance ont été non seulement dépossédés de leur argent mais aussi abattus ou brûlés vifs devant femmes et enfants. Même ceux qui ont aidé les assaillants à transporter leurs butins de force jusqu’aux rives du fleuve Cavally, ont été ligotés et brûlés vifs. Les assaillants, avant de partir, ont mis le feu à tout ce qu’ils ne pouvaient emporter », racontent deux parents du vieux Diallo Mory qui a perdu la vie dans l’attaque la tête tranchée. Pour retarder la riposte des Frci et dépouiller les populations, les assaillants et leurs guides ont détruit le pont en bois situé entre les villages de Soto et Fêtai.

Identité des assaillants

Sur l’identité des assaillants, pas de doute. Ce sont des fils du village aidés par des mercenaires venus du Liberia : « Ce sont des fils d’ici (des enfants d’allogènes et d’autochtones). Ils parlaient français et anglais. Nous en avons identifiés avec qui nous vivons depuis plus de 20 ans », affirme Sawadogo Adama, un rescapé de l’attaque. Selon lui, les nommés, Diallo Madou, Kadjolo Cavally, Youba Alain, Kapet Augustin et Jacques Kouya font partie des natifs du village qui dirigeaient l’expédition. Un autre rescapé qui a souhaité garder l’anonymat, battu et laissé pour mort, affirme ceci : «On nous a fait sortir de nos maisons. J’étais avec deux agents recenseurs qui ont été dépossédés de tout leur matériel de travail. Ils m’ont demandé 100 000 Fcfa pour avoir la vie sauve. Ensuite, ils ont demandé aux deux agents recenseurs de l’Ins d’égorger le vieux Diallo Mory. Comme les deux agents n’y arrivaient pas, Diallo Madou, le propre fils de Diallo Mory, et membre de l’expédition, a, sous l’effet de la drogue, égorgé son père pour montrer la voie à suivre aux autres. Il a déclaré ensuite que les autres devaient être sans pitié comme lui avec son traitre de père.»

Salif Bonkoungou, membre de la communauté burkinabè ainsi que des habitants, sont unanimes sur les agissements de Diallo Madou dont la mère est originaire du Liberia. Ils révèlent qu’en février dernier, lors de la première attaque, c’est ce dernier, alors cuisinier des Frci à Fêtai, qui a mis du somnifère dans une boisson à base de cacao. Il l’a ensuite offerte aux militaires, avant de faire appel à ses complices qui sont alors venus du Liberia. Ces derniers ont, alors, tué les soldats endormis et attaqué le village. « Depuis cette attaque, il est parti au Liberia avec ses amis. Il avait appelé son papa la semaine dernière pour lui demander de partir du village parce qu’une attaque était imminente. Le vieux, par solidarité, en avait informé la communauté ainsi que les militaires. Mais ils ne sont pas arrivés à la date indiquée, sans doute informés qu’ils étaient attendus par les Frci », raconte Salif Bonkoungou. Il ajoute que Madou a un autre ami, fils d’un allogène, Moussa Kadjolo. En complicité avec les jeunes autochtones cités plus haut, ils seraient les guides des bandits qui pillent et tuent les innocents. « Madou et Kadjolo sont des enfants maudits. Aucune maison dans le quartier autochtone n’a été brûlée, aucun autochtone n’a perdu la vie. Pourquoi tant de mal à leurs propres parents ? », s’interroge-t-il. Avant de dire avec amertume qu’il regrette de n’avoir pas dénoncé très tôt Madou aux militaires.

Birra Issiaka, le chef de la communauté de burkinabè explique ce qui s’est passé.
Birra Issiaka, le chef de la communauté de burkinabè explique ce qui s’est passé.

L’objectif des agresseurs

G. P. Un jeune autochtone de Fêtai rencontré à Grabo pense que l’objectif des agresseurs est d’opposer les communautés qui ont toujours vécu en harmonie. Il explique que c’est le même groupe de criminels
transfrontalier qui sévissait dans la sous-préfecture de Taï en 2011-2012. « Après l’assassinat des casques bleus, en juin 2012, leur chef Gneezy Bawe, (un chien de guerre de la promotion que Sam Bockarie alias Mosquito, ndlr) a été arrêté au Liberia. Le reste du groupe a déménagé de Ziastown au Liberia pour trouver refuge sur une bande de terre de plusieurs hectares entre le fleuve Cavally et un de ses affluents non loin du village de Gnimané. Ils ont réussi à convaincre des jeunes de ce village à intégrer leur groupe. Ce sont ces jeunes qui les guident et les appellent quand ils apprennent que des villageois ont vendu leurs récoltes. Ils sont dirigés par Alexis Taridit, Ivoirien d’origine. Ces hommes sont impliqués dans la contrebande et le trafic en tous genres. Ils gèrent aussi des mines clandestines dans des forêts libériennes. Ils harcèlent les populations et les poussent à l’affrontement », raconte G.P. qui dit avoir été luimême contacté par ces bandits pour les rejoindre. Il révèle que le 21 avril dernier, le vieux Ouattara Dramane les a surpris dans son champ, non loin de Fêtai, en train de récolter ses ignames. Ce nez-à-nez a été fatal au vieil homme qui a été décapité. « Nous ne sommes pas du tout en sécurité ici. On ne veut pas se rendre dans les champs de peur de tomber sur eux. A cause de cette situation, depuis un moment, nos produits pourrissent dans nos plantations », déplorent des habitants déplacés au foyer de Grabo.

Malgré toutes ces difficultés et la méfiance qui règne entre les communautés, le chef de la communauté Burkinabé pense que les populations sont condamnées à vivre ensemble malgré les dégâts subis. « Nous cherchons toujours les voies menant à la réconciliation. Nous ne pouvons vivre dans le village sans nos tuteurs et viceversa. Il faut qu’on dénonce les mauvaises graines qui sont parmi nous et qui conduisent la mort dans la famille », a-t-il indiqué lorsque nous l’avons rencontré. Sa seule préoccupation est le renforcement de la sécurité. Il soutient que même les semences sont parties en fumée. « Comment allonsnous faire pour ne pas rater la saison agricole alors que c’est le moment de semer ? », s’interroge-t-il. Le sort des personnes prises en otages et transférées au Liberia est également évoqué par le vieil homme qui craint que le pire ne leur arrive. Un instituteur, M. Soro, le chef du village (Kouya Roger) et plusieurs femmes manquent, en effet, à l’appel depuis l’attaque.

SAINT-TRA BI
CORRESPONDANT RÉGIONAL

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