Lycéennes enlèvées: entre indignation mondiale « hypocrite » tardive et géopolitique (néo-coloniale)

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Enlèvement de lycéennes au Nigeria : une indignation mondiale mais tardive

Le Monde.fr par Amandine Sanial

Manifestation à Abuja, capitale du Nigeria, le 30 avril pour la libération des lycéennes détenues par la secte islamiste Boko Haram depuis la mi-avril. Manifestation à Abuja, capitale du Nigeria, le 30 avril pour la libération des lycéennes détenues par la secte islamiste Boko Haram depuis la mi-avril. | REUTERS/AFOLABI SOTUNDE
Il aura fallu plus de deux semaines pour que l’opinion internationale se réveille. Mais depuis le début du mois de mai, le sort des 223 lycéennes nigérianes enlevées le 14 avril par le groupe islamiste Boko Haram est devenu « la » cause à soutenir.

Le rapt avait d’abord laissé indifférents la plupart des médias, tous tournés vers le naufrage du ferry en Corée du Sud ou les recherches du vol MH370. Jusqu’à ce que la campagne de soutien devienne virale sur Internet, forçant la communauté internationale à réagir.

Grâce aux réseaux sociaux, ce qui n’était au départ que des manifestations réunissant plusieurs centaines de personnes à Lagos et Abuja, la capitale du Nigeria, s’est en quelques jours transformé en un phénomène planétaire. Dans un premier temps, la mobilisation n’a eu que très peu d’impact à l’international comme au sein du gouvernement nigérian. Jusqu’à ce que les manifestants et les familles des victimes s’emparent de Twitter pour se faire entendre, avec un seul signe de ralliement : #BringBackOurGirls (« rendez-nous nos filles »).

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Le hashtag – à l’origine un slogan employé par l’ancienne vice-présidente de la Banque mondiale pour l’Afrique, Obiageli Ezekwesili, lors d’un discours prononcé le 23 avril à Port Harcourt (Nigeria) – a rapidement conquis la Toile et a été tweeté près de 2 millions de fois depuis le 1er mai, avec une moyenne de 2 500 mentions à l’heure. Les internautes, et très vite les personnalités, se sont alors subitement senties concernées par le rapt orchestré par Boko Haram. Du rappeur Chris Brown à la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, en passant par l’actrice Angelina Jolie ou la starlette Kim Kardashian, désormais chacun y va de son message.

Même Michelle Obama, l’épouse du président des Etats-Unis, a rejoint la campagne de soutien, s’affichant elle aussi sur Twitter, pancarte à la main, provoquant une pluie de retweets. Quelques heures auparavant, la mannequin britannique Alexa Chung avait cru bon de gribouiller au rouge à lèvres le slogan sur le miroir de sa salle de bains.

EN FRANCE AUSSI, LES POLITIQUES S’EN MÊLENT

Partout dans le monde, on est désormais choqué, outré par l’enlèvement des lycéennes. Et la France n’est pas en reste : les politiques aussi s’en donnent à cœur joie sur les réseaux sociaux. Avec plus ou moins de tact.

Sur Twitter, quand la ministre des droits des femmes, Najat Vallaut-Belkacem, affirme que la France « ne les laissera pas tomber », la garde des sceaux, Christiane Taubira, brandit à son tour la petite pancarte contre les « obscurantistes ».

De son côté, le député UMP Thierry Mariani avait osé, le 7 mai, une comparaison douteuse entre l’enlèvement des jeunes adolescentes et l’histoire de l’esclavage. Un tweet que le président de l’UMP, Jean-François Copé, s’est empressé de condamner.

Après Twitter, c’est la Toile tout entière qui s’enflamme : le mouvement dispose maintenant de sa propre page Facebook, ainsi que d’un Tumblr créé par Amnesty International, qui propose aux internautes de poster leur propre photo en soutien aux familles des otages nigérianes. Une pétition, visant à pousser le gouvernement nigérian et la communauté internationale à mobiliser des moyens pour retrouver les jeunes filles, a déjà recueilli près de 800 000 signatures.

DE LA MOBILISATION VIRALE À L’ACTION INTERNATIONALE

Si les autoportraits qui inondent Twitter et Instagram ne sont pas les seules causes d’une prise de conscience généralisée, ils ont au moins eu le mérite d’attirer l’attention des médias et de la communauté internationale sur cet enlèvement, jusque-là passé sous silence.

Deux semaines après le rapt, le mouvement avait pris une telle ampleur sur les réseaux sociaux que les médias ne pouvaient que relayer l’information. Très vite, ce fut au tour des politiques du monde entier de réagir à la mobilisation. Depuis, quatre pays ont déjà proposé leur aide au gouvernement nigérian, pratiquement tous en même temps : une équipe d’experts américains est désormais au Nigéria pour aider aux recherches, après que Barack Obama a appelé à la mobilisation de « la communauté internationale tout entière ». Le Royaume-Uni a également envoyé des diplomates, ainsi que des experts du ministère de la défense pour « trouver des solutions antiterroristes à long terme » en plus de l’aide aux recherches.

François Hollande a quant à lui promis que la France « ferait tout pour aider le Nigeria à pourchasser ce groupe et à retrouver les otages », annonçant la mise à disposition d’une équipe spécialisée pour aider aux recherches par le biais du ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, pour qui « l’indignation ne suffit pas ». Même la Chine s’est engagée à transmettre au Nigeria toutes les informations utiles dont disposent ses services de renseignement.

Sur place, le gouvernement nigérian, vivement critiqué par les citoyens compte tenu de l’absence de résultats des forces armées du pays après plusieurs jours de recherches, a fini par réagir en offrant 215 000 euros aux personnes disposant d’informations pour retrouver les adolescentes. Des mesures apparemment encore insuffisantes, puisque 223 lycéennes sont encore introuvables.

UN NÉO-COLONIALISME VIRTUEL ?

Si une telle mobilisation autour de l’enlèvement semble faire un peu avancer les choses, certains n’hésitent pas à dénoncer le sentimentalisme dont fait soudainement preuve l’Occident et les conséquences désastreuses qu’il pourrait avoir sur la démocratie au Nigeria.

Pour Jumoke Balogun, la cofondatrice du site d’information et de débat participatif Compare Afrique, la pression sur la communauté internationale ne ferait qu’accélérer une intervention militaire au Nigeria, en particulier de la part des Etats-Unis. Sur son site, elle rappelle les séquelles d’interventions passées, comme le maintien des troupes de combats américaines à l’origine envoyées pour capturer Joseph Kony, le chef de l’Armée de résistance du seigneur, présentes depuis 2012 en Ouganda, au Soudan du Sud ou encore au Congo.

S’il part d’un bon sentiment, le soutien virtuel commence peu à peu à inquiéter une partie des Nigérians, qui craint l’envoi de conseillers militaires et de drones un peu partout dans le pays.

Amandine Sanial

LeMonde.fr

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