Par le Cercle Victor Biaka Boda
Nous dédions ce post tout spécialement au citoyen Irodon Bahadan, de l’INSET Abidjan, pour son commentaire de l’article de notre collaborateur Marcel Amondji intitulé « Une république de faux et usage de faux ».
«Voilà, commence-t-il, ce qu’il convient d’appeler une production intellectuelle bien conçue et bien rendue, à valeur universitaire certaine, mais totalement limitée du point de vue politique à cause de son manque de réalisme. D’ailleurs, s’il est si bien conçu, c’est que M. Amondji et tous ceux de sa génération qui critiquent l’approche du Président Houphouët dans l’obtention de l’indépendance, ont reçu leur formation de maitres blancs. Ce qui leur confère cette aptitude en rhétorique et les rend si forts en thème. A l’indépendance, en 1960, selon un chiffre rapporté par le premier polytechnicien ivoirien, Tidiane Thiam, la Côte d’Ivoire comptait environ 150 diplômés de l’université et de poursuivre : « Vous gérez comment un pays avec 150 personnes ? » (…) Alors M. Amondji, arrêtons avec ce faux débat de l’indépendance octroyée ou arrachée. Le défi est de partir de ce qui nous a été légué pour construire un Etat et une nation viable. Pour finir, il ne serait pas honnête de ma part, si je vous dis que je ne partage pas certaines de vos critiques sur la praxis ivoirienne.» (connectionivoirienne.net).
Serait-ce donc une tare d’avoir été formée par des maîtres blancs ? Alors la génération dont parle notre critique n’est pas seule à porter ce stigmate. Souvenons-nous de ce que l’historien Yves Person, qui avait été administrateur colonial avant de s’illustrer avec une fameuse thèse sur Samory Touré, disait à propos d’Houphouët : « Malgré sa réputation de « sage de l’Afrique », le Président Houphouët-Boigny a, en réalité, été fortement aliéné par l’éducation française qu’il a reçue. Il identifie les langues et cultures africaines à la « honte » du passé, et reproche aux Britanniques d’avoir mal colonisé, en laissant subsister « tout ce folklore », ce qui laisse paralyser l’économie par le respect de droits coutumiers discrets. Étroitement conseillé par de hauts fonctionnaires français, appelant à toute occasion des experts français choisis justement pour leur ignorance de l’Afrique, il a toujours pesé, depuis vingt ans, pour l’adoption de règles calquées sur celles de l’ancienne métropole, persuadé qu’il aurait ainsi la voie au développement » (Le Mois en Afrique N°188-189, août-septembre 1981 ; p.28).
Puisque le nom de Tidiane Thiam a été cité, c’est l’occasion de signaler ou de rappeler à Irodon Bahadan que sous la présidence de Bédié, quand ce tout premier polytechnicien franco-ivoirien, mais sans doute bien plus franco qu’ivoirien, dirigeait le BNETD, il y eut à l’initiative de cet organisme, une campagne d’adressage des rues d’Abidjan qui fit d’abord grand bruit et qui, dans l’atmosphère de regain de nationalisme alors régnant, aurait bien pu entraîner un changement de noms de certaines rues d’Abidjan si pour une raison restée mystérieuse l’opération n’avait pas tourné court…
Comme s’il y avait une fatalité qui s’opposerait à ce que nous effacions de nos rues ces symboles honteux de notre asservissement. La même fatalité qui avait empêché Houphouët de procéder au dévoilement de la statue du gouverneur progressiste André Latrille érigée à son initiative devant l’hôtel Ivoire.
L’histoire de cet épisode mérite d’être contée, car elle est comme l’envers de celle des rues, avenues et boulevards de la honte dont parle le malicieux Gauz dans son article intitulé « Hommes blancs à la rue » (eburnienews.net 19 avril 2014). C’est, pourrait-on dire, l’exception qui confirme la règle.
Un jour d’août 1987, Houphouët décida brusquement que le moment était enfin venu d’honorer la mémoire des martyrs du mouvement anticolonialiste ivoirien en donnant leurs noms à des rues et places de nos villes, ainsi que celle du gouverneur André Latrille, dont le nom est honorablement lié à cette période de notre histoire, en lui élevant une statue. Assez curieusement, il tint à conférer à ces décisions, et tout spécialement à la deuxième, le caractère d’une mini-Révolution du roi et du peuple, comme on disait au Maroc. C’est ainsi qu’à l’issue du conseil des ministres où ces décisions avaient été adoptées, le chef de l’Etat entraîna tout son monde sur le terrain afin de choisir l’emplacement le plus convenable pour soutenir le monument projeté. C’est quelques jours après cette démarche plutôt insolite de la part d’Houphouët, qu’Aoussou Koffi, un ministre en exercice, fut enlevé par des ressortissants français avec lesquels il était en affaires et qui réclamaient une forte rançon contre sa libération (Jeune Afrique 2 septembre 1987 ; p.11-13). Le caractère inutilement provocateur de ces décisions et de cette démarche dans un pays où ce sont les ennemis de Latrille et de tout ce qui rappelle le mouvement anticolonialiste qui dominent, rend très plausible une relation de cause à effet entre elles et le rapt de l’un des hommes les plus proches d’Houphouët, les plus dévoués à sa personne et, peut-être, l’un des possibles successeurs qu’on lui préparait dans le secret des cuisines françafricaines.
Etait-ce réellement la réponse du berger à la bergère ? Nous sommes d’autant plus enclins à le penser que ce projet bien tardif d’honorer nos martyrs en inscrivant leurs noms dans nos paysages urbains, on n’en entendit plus jamais parler. Et quant à la statue de Latrille, si elle fut bel et bien réalisée et dressée sur son socle, elle ne fut jamais formellement inaugurée et resta couverte de son voile plastique jusqu’à ce que le vent fripon le déchire et le disperse dans l’indifférence générale…
Pourquoi est-ce seulement en Côte d’Ivoire qu’ont été conservés les pires symboles de la colonisation, et seulement là qu’il semble formellement interdit d’y toucher. Peut-être que l’ami Irodon Bahadan voudra encore nous expliquer cela par l’insuffisance du nombre de nos compatriotes dignes d’être honorés de cette façon au moment de l’indépendance et durant le demi-siècle qui l’a suivie… Mais si cela était vrai, quel mal y aurait-il eu à laisser toutes nos rues sans nom jusqu’à ce que la multiplication naturelle des citoyens dignes de cet honneur, qui n’aurait pas manqué d’avoir lieu ici comme dans tous les pays du monde qui se respectent, nous permette de les baptiser ?
Nous devinons qu’Irodon Bahadan est certainement un honnête homme ; la dernière phrase de son commentaire en est la meilleure preuve. Nous sommes donc sûrs que la confrontation de son point de vue et de l’article de Gauz mentionné ci-dessus aura attiré son attention sur la parfaite cohérence de la politique d’Houphouët dans tous les domaines, politique marquée par le fétichisme de nos soi-disant liens historiques d’indéfectible amitié avec la France, avec le maintien du nom des Angoulvant, Chardy, Noguès et autres massacreurs chamarrés sur les murs d’Abidjan. Devant une telle évidence, quelqu’un qui dit partager « certaines de [nos] critiques sur la praxis ivoirienne », doit bien être aussi capable d’admettre au moins que c’est la glorification de ces fléaux des peuples autochtones de notre patrie qui s’explique par l’aliénation, non la critique radicale de « l’approche du Président Houphouët dans l’obtention de l’indépendance » dans laquelle nous nous honorons de persévérer parce que le vrai nom de ce qu’il désigne par cette longue et amène périphrase, c’est TRAHISON !
Le Cercle Victor Biaka Boda, La Rédaction
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