Côte-d’Ivoire – des résidences occupées de force dont celle de Gossio bientôt restituées ?

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Par Lacina Ouattara – Le Patriote

La crise postélectorale en Côte d’Ivoire a été violente et meurtrière. Pour fuir les affrontements, des milliers d’Ivoiriens ont tout abandonné derrière eux.
Les choses bougent, mais…

Mardi 9 avril 2014. Il est 10 h 20 minutes. Carrefour de la Riviera II. Un quart de volant àdroite, nous empruntons la voie qui mène au domicile de l’ancien Directeur général du Port autonome d’Abidjan, Marcel Gossio. Quelques minutes plus tard, nous voici devant l’imposante bâtisse. Des hommes enarmes rodent et veillent au grain. Dehors, les rayons du soleil commencent à s’imposer sur la ville d’Abidjan et les populations vaquent àleurs occupations. A l’intérieur, le nouveau propriétaire de la résidence de l’ex-directeur du PAA, le commandant des FRCI, Traoré Salif dit ‘’Tracteur’’, est encore présent sur les lieux. La vigilance des éléments chargés de la sécurité est de mise. Aucune entrée sans la permission du chef n’est autorisée. Nous approchons un soldat. «S’il vous plait monsieur, je suis journaliste et je viens à une cérémonie. On m’a dit que c’est vers ici. Suis-je au bon endroit ? », interrogeons-nous avec fausse teinte d’innocence. «Non, vous vous êtes trompés. Vous êtes àla résidence de Marcel Gossio et c’est notre chef qui habite ici. Nous nous sommes chargés de la sécurité. Donc, ce n’est pas ici », répond le soldat. En dépit de cette réponse qui ne souffre d’aucune ambigüité, nous décidons quand même de poursuivre la conversation. «Mais l’Etat de Côte d’Ivoire a décidé que les maisons soient libérées. Pourquoi votre chef est toujours là ? ». Notre interlocuteur hésite avant de parler. «Je ne peux pas répondre à cette question. Vous les journalistes, vous voulez toujours savoir des choses. Il ne faut pas venir me créer des problèmes. Nous sommes-là. Le jour où le chef décidera de partir, il partira. Je vous demande de quitter ici», ordonne-t-il. Un ordre que nous nous évertuons d’exécuter avec empressement. Non sans nous jurer de revenir en ces lieux. Deux jours après notre passage, nous décidons de tenter à nouveau le coup. Cette fois-ci, la chance nous sourit. Le commandant « Tracteur » dont nous avons réussi à avoir le contact téléphonique, répond à notre coup de fil. Après la présentation et l’objet de notre sollicitation, nous allons droit au but. «L’Etat a décidé de la libération des sites privés et publics après la crise, etvous, vous occupez toujours la maison de Marcel Gossio qui est rentré d’exil. Pourquoi ? », questionnons-nous. Le chef militaire, au bout du fil, garde le silence pendant de longues secondes, puis répond. «Vous savez frère, monsieur Gossio est un Ivoirien. Il est rentré d’exil à la demande des autorités. Je suis un militaire et c’est nous qui devons donner l’exemple. Je suis en contact avec lui. La libération de sa résidence est une question de temps. En fait, les démarches pour cette libération sont engagées et très avancées. J’ai même fait évacuer toute ma famille. Nous devons quitter la résidence pour un autre site. Seulement que l’opérateur chargé des travaux sur le nouveau site n’a pas encore fini. Il a reçu l’ordre de travailler jour et nuit. Et c’est ce qu’il fait. Ce n’est donc pas une défiance vis-à-vis de l’Etat. Nous allons partir. Je me propose même de sensibiliser tous les autres militaires à libérer les sites. Mes bagages sont faits. Dans peu de temps, monsieur Gossio aura sa maison », a-t-il rassuré. Avant d’ajouter que le processus de paix et de réconciliation doit être soutenu par tous. «Si la maison de monsieur Gossio n’est pas libérée où va-t-il loger avec ses enfants qui arrivent bientôt ? Il faut absolument qu’il retrouve sa résidence pour vivre à l’aise avec sa famille. Ce sera chose faite bientôt. Et je m’emploierai à dialoguer comme je l’ai dit avec tous les chefs afin que les maisons occupées soient libérées. Cela participe de la paix et de la réconciliation », s’est-il engagé. Autre quartier, autre site occupé. Cette fois, public. Il s’agit de la cité universitaire III de la commune de Port-Bouët. Complètement pillée et détruite lors de la crise postélectorale, cette cité est aujourd’hui occupée par les ex-combattants.

Un bilan mitigé. C’est le bilan présenté par le Comité national de libération des sites privés et publics. 8 mois d’exercice sur le terrain le comité piloté par le colonel-major Ehoussou Aka n’a même pas encore 40% de taux de réalisation. Les raisons de ce bilan en deçà de la moyenne viennent non seulement d’un déficit de communication autour de l’opération, mais aussi du manque de logistique. Mais quand on jette un regard critique sur le tableau récapitulatif, on se rend vite compte que le nombre de dossiers en cours de traitement ou à traiter, est plus élevé que le nombre de dossiers traités. Il est donc évident que le comité, même saisi, met du temps à vider les dossiers. Sur 627 requêtes, 169 sont en cours de traitement et 227 restent à traiter.Cette lenteur,dans le traitement des dossiers, le coordinateur du Comité l’explique par la vérification de l’authenticité des documents présentés par les plaignants. « Quand quelqu’un porte plainte, il envoie ses documents qui prouvent que le site qu’il réclame est sa propriété. Le comité statut et nous saisissons le ministère de la Construction pour être situés. C’est après toutes ces étapes que nous décidons de la libération du site », se défend-il. Mais plusieurs mois d’attente, c’est vraiment long. Et le temps presse. Il est véritablement inadmissible que trois ans après la crise postélectorale, des individus continuent de squatter des édifices publics ou de confisquer les biens d’honnêtes citoyens en toute impunité. Plus vite l’on mettre fin à cette situation inacceptable, mieux cela voudra pour la réconciliation en Côte d’Ivoire. Il est temps donc de passer à la vitesse supérieure.

Dans des conditions précaires, ils y vivent pour la plupart avec leurs familles. «Nous sommes plus d’une centaine d’éléments qui vivent ici. Après la crise, nous étions dans les camps. Pour avoir les matricules, il fallait payer. Comme nous n’avons pas d’argent, nous n’avons pas eu de matricule. Et on vivait ainsi dans les camps. Mais, on ne peut pas vivre sans sa famille. Toi, tu manges au camp et ta femme et les enfants où mange-t-ils ?C’est ainsi que nous avons décidé de quitter le camp pour arriver ici. A notre arrivée, la cité était inhabitable. Nous avons effectué quelques travaux pour la rendre habitable et depuis nous sommes ici », explique l’ex-combattant Camara Mohamed qui semble être le chef de la Cité. Pour mieux défendre les droits des démobilisés, il a mis en place le Mouvement d’union et d’information des droits et privilèges des ex-combattants de Côte d’Ivoire (MUIDPEC-CI). Une barbichette sous le menton, une amulette sur le poigné droit avec de nombreuses bagues sur les doigts, Camara Mohamed se vante d’être un guerrier intrépide, qui a pris part à toutes les batailles depuis le déclenchement de l’exrébellion en septembre 2002 jusqu’à la crise postélectorale. « Depuis la fin de la crise, nombreux sont les excombattants qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Nous sommes bien obligés de rester dans les cités universitaires », regrette-til. Selon lui, cette situation est la conséquence de la mauvaise gestion du volet insertion de l’Autorité pour le Désarmement, la Démobilisation et la Réinsertion (ADDR). «Il faut avouer que l’ADDR a échoué. Nous, on ne comprend pas comment cette autorité fonctionne. On nous a demandé de déposer les armes pour une réinsertion dans la société. Nous nous sommes exécutés. Mais, nous peinons à nous réinsérer. Nous avons monté des projets. On nous a promis la somme de 800 mille FCFApour mener nos activités. Cependant, il faut un parcours du combattant pour avoir cet argent.

En plus, l’argent n’est pas payé en une seule tranche. On vous donne 300 mille, après 200 mille et ainsi de suite. Comment pouvons-nous réaliser quelque chose de cette manière? », s’est-il interrogé. Pour lui, la plupart des ex-combattants ont certes reçu les 800 mille, mais n’ont pas pu réaliser leurs projets, eu égard la façon de faire de l’ADDR. «Pour avoir ton chèque, il faut payer de l’argent. Pour être sélectionné pour les formations, il faut encore payer. J’ai des amis qui ont participé à plusieurs formations, parce qu’ils ont des entrées à l’ADDR. Vous comprenez que ce n’est pas facile pour nous. Avant d’avoir l’argent, on programme des choses dans des délais. Mais, si l’agent ne vient pas comme prévu, tout tombe à l’eau. C’est le cas de milliers d’ex-combattants qui ne peuvent pas quitter les cités, parce que n’ayant ni travail ni moyens financiers. Pour que nous libérions les cités, il faut que l’Etat nous vienne en aide. Nous voulons des emplois pour nous occuper de nos familles. Sinon, ce n’est pas un plaisir pour nous d’être ici. Surtout que la vie n’est pas facile ici », a-t-il plaidé. Nous mettons cap sur les cités de Williamsville et d’Abobo. Làbas, même décor, mêmes accusations. «Comment pouvons-nous libérer les cités si nous n’avons rien. Nous sentons que nous avons été trompés par l’ADDR. Il faut que les autorités prennent les choses en main. Sinon, nous n’avons pas d’avenir avec l’ADDR », estime Adama C., un ex-combattant à Abobo, qui requis l’anonymat. Accusée d’être l’une des principales causes des occupations anarchiques et illégales des édifices publics par les démobilisés, nous avons donné la parole à l’ADDR par le biais de son chef de division désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR), M. Soro Karna. Selon cet expert en gestion des crises, les ex-combattants dont les projets ont été financés et qui refusent toujours de quitter les cités universitaires sont dans une logique de chantage permanent. «Comment ont-ils fait pour échouer là où des milliers de leurs amis ont réussi. En effet, sur les 74. 000 ex-combattants recensés à la fin de la crise, nous avons pu réinsérer des milliers qui aujourd’hui sont totalement réintégrés dans la société et mènent tranquillement leurs activités. Ceux qui sont dans les cités sont dans une autre logique. Ils ont pris l’argent pour faire autre chose que ce qu’on leur demandait.

Aujourd’hui ils veulent trouver des excuses à leur comportement. En fait, pour eux, en mettant l’Etat devant le fait accompli, une autre solution sera trouvée. C’est ce qui est regrettable pour la jeunesse ivoirienne. Elle est dans l’esprit FESCI depuis de longues années. Il faut changer cette mentalité. Ce que les ex-combattants dans les cités racontent sont des histoires. Ils ont, pour la plupart, été pris en compte dans nos programmes », a-t-il précisé. Non sans nous présenter le bilan de l’année 2013. Des emplois salariés dansles administrations publiques à l’auto-emploi en passant par l’emploi salarié dans le secteur privé, ce sont total, 21. 413 ex-combattants sur un objectif de 30. 000, selon les chiffres donnés par l’ADDR, qui ont retrouvé une vie normale après le dépôt de leurs armes. Soit un taux de réalisation de 71%. C’est pourquoi, pour M. Soro Karna, il faut maintenant commencer à dire la vérité aux ex-combattants, qui ont fait le choix du chantage au détriment de leur avenir. « Avant la crise où étaient-ils ? Que faisaient-ils ? Avec les 800 mille, pourquoi n’ont-ils pas pu financer leurs activités ? Ils ont pris l’argent, ils ont disparu et après, ils accusent. Il faut qu’ils arrêtent ce jeu. Parce qu’on ne peut pas se permettre de jouer avec sa propre vie. Il est temps qu’ils prennent conscience pour prendre leur avenir au sérieux », conseille-t-il. A la Riviera, à Abobo, à Yopougon et à l’intérieur du pays, le constat est le même. Trois ans après la crise postélectorale et en dépit de la volonté del’Etat de libérer les sites privés et publics illégalement occupés, les choses piétinent sur le terrain. Selon le FPI, plusieurs de ses militants, notamment à l’intérieur du pays, ont encore leurs résidences ou domaines occupés par des militaires ou des civils.

Dans sa parution N° 4693 du mercredi 16 avril dernier, le journal proche du parti bleu, « Notre Voie », a publié une liste des résidences et domaines des militants du FPI pillés, détruits lors de la crise postélectorale et ceux occupés jusqu’à ce jour. Voho Sahi, Tchéidé Jean Gervais, Hubert Oulaye, Sansan Kouao, pour ne citer que ceuxlà ont, selon le document publié, leurs résidences ou encore leurs plantations occupées à Guiglo, Touleupleu et Niablé. Pour en avoir le cœur net, nous nous sommes tournés vers le Comité national de libération, coordonné par le colonelmajor Ehoussou Aka. En juillet 2013, ce comité a été mis en place après un atelier pour permettre aux uns et aux autres de récupérer leurs biens. Après 8 mois d’exercice, le coordonnateur est d’avis que sa structure n’a pas encore atteint la vitesse de croisière dans l’accomplissement de sa mission. «Après 8 mois, le bilan ne peut qu’être partial. Puisque les gens viennent au fur et à mesure. Nous recevons des requêtes. Mais, chacun vient à son rythme. Depuis juillet, nous avons contacté les préfets de régions pour sensibiliser les populations. Mais, l’engouement n’est pas encore au rendez-vous. Or,si les gens ne nous saisissent pas, nous ne pouvons pas nous autosaisir pour libérer des maisons. Il faut qu’ils viennent. C’est après vérification des pièces que nous passons à l’action de libération. Nous avons 627 requêtes reçues à ce jour. Nous avons libéré 234 sites sur toute l’étendue du territoire national, 169 dossiers sont en cours et 227 restent encore à traiter », précise-t-il. Toutefois, le coordinateur du Comité national de libération a déploré un déficit de communication autour de l’opération et des problèmes de logistique, qui rendent son équipe moins efficace dans l’action. « Beaucoup de sites à libérer sont l’intérieur du pays. Vous comprenez que pour leur libération, il nous faut un minimum de moyens. C’est ce qui fait que les choses trainent un peu. Mais, je pense qu’elles vont s’accélérer et nous allons faire un maillage du terrain pour satisfaire tous les propriétaires de sites illégalement occupés », a-t-il rassuré. L’opération certes piétine, toujours est-il que ce n’est pas la volonté politique qui manque pour mettre fin à cette situation qui n’honore un pays de droit comme la Côte d’Ivoire. Le 5 juin 2013, le ministre auprès du président de la République chargé de la Défense, Paul Koffi Koffi, à l’issue d’une rencontre régionale, a annoncé la fin des occupations illicites. «Nous allons nous retrouver avec nos partenaires pour arrêter un plan d’opération. Nous avons donc trouvé nécessaire de rencontrer les opérateurs du secteur privé, puisqu’ils ont des sites qui sont occupés. Nous ne lançons pas d’ultimatum, mais nous allons mettre l’accent sur la sensibilisation et la communication, parce que les gens peuvent partir et rejoindre leurs familles. Il n’y a plus de belligérance, les occupations illégales, c’est terminé », a-t-il tapé du poing sur la table ce jour-là. Mais près d’un an après, force est de constater qu’en dépit de quelques avancées, le discours officiel a du mal à changer les choses. Trois ans encore après la crise postélectorale, beaucoup de citoyens sont encore spoliés de leurs droits de propriété.

LO

Le Patriote

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