Macaire DAGRY
Voilà une malheureuse affaire qui dans n’importe quel Etat de droit aurait vu la démission de plusieurs hauts responsables du ministère de la santé. La mort tragique et dans l’indifférence la plus totale d’Awa Fadiga a suscité beaucoup d’émotions et de réactions dans les médias traditionnels et électroniques. En dépit du communiqué de ce ministère qui jure la main sur le cœur que les médecins du CHU de Cocody où elle a été transportée par un passant, avaient fait le « nécessaire » pour lui prodiguer les soins qui s’imposaient, la polémique n’a pas cessé d’enfler. Pour tous les ivoiriens, mourir dans de telles conditions dans les hôpitaux publics ivoiriens n’est en rien une exception. C’est même une malheureuse habitude. Mais à qui la faute ?
Le service public reste une véritable incertitude
En Afrique et particulièrement en Côte d’Ivoire la notion du service public reste une véritable incertitude, à la fois pour les usagers et pour les pouvoirs publics. Il est considéré comme un bien de l’Etat au service de la population. De ce fait, il représente aux yeux de tous, un bien commun auquel « on peut y faire ce qu’on veut, parce que ce sont nos impôts qui le financent ». Alors, chacun y fait un peu ce qu’il veut, sans véritable crainte. A l’université comme à l’hôpital, ou ailleurs dans l’administration centrale, décentralisée ou déconcentrée, les premiers à ne pas respecter les principes du service public sont en général leurs agents. A l’hôpital, et ce n’est un secret pour personne, les professeurs et médecins ont déserté les lieux, à l’exception de quelques rares établissements sanitaires spécialisés. Certains d’entre eux partent même avec le matériel de l’hôpital, destiné à soigner les personnes les plus démunies. « Après tout, c’est encore du matériel acheté avec l’argent public, donc l’impôt de tous », pensent-ils. Certains professeurs ou médecins qui sont aussi quelques fois des barons des partis politiques au pouvoir ou anciennement au pouvoir, ne font pas mieux que les autres. Lorsqu’ils sont membres influents de leur parti politique, député, maire, président de conseils généraux ou régionaux ou parfois ministre, allez leur dire que ce qu’ils font n’est pas bien. Vous risquez de le regretter toute votre vie. A qui la faute ?
Un véritable commerce
A l’hôpital, le médecin est considéré comme un « petit Dieu » parce qu’il détient notre vie entre ses mains. Malheureusement, ces dernières années, certains d’entre eux, (notamment dans les CHU) ont vite interprété ce pouvoir qui leur est conféré à tort ou à raison, comme un moyen pour s’enrichir, dans l’ensemble du pays. Désormais dans beaucoup d’hôpitaux publics, pour espérer être soigné, il vaut mieux ne pas être pauvre. Sinon, vous n’intéressez pas le personnel soignant et même administratif. Tout le monde en fait un véritable commerce. Tout le monde le sait depuis de nombreuses années, mais cela ne change rien. A qui la faute ? Pour les uns, aux pouvoirs publics qui ferment les yeux ou sont incapables de contenir ce phénomène. Pis encore, les hôpitaux sont sous équipés, le matériel est vétuste, les locaux inadaptés au nombre grandissant de malades et le personnel est mal rémunéré. Pour les autres, aux malades et à la société civile qui ne dénoncent pas assez ces agissements qui n’honorent pas notre service public. Mais comment dénoncer ce que tout le monde sait déjà? Et à qui doit-on s’adresser de manière à faire changer les choses ? A l’inspection générale du ministère ? Faut-il encore le savoir.
Cupidité ou manque d’humanité ?
Jusqu’au récent relèvement du DG du CHU de Cocody, très peu de personnes étaient sanctionnées pour les fautes commises dans l’exercice de ses fonctions à l’hôpital. Pourquoi voudrions-nous que cela cesse ? Lorsqu’un médecin commet une erreur médicale grave qui a des conséquences dramatiques, qui en est responsable ? Faute personnelle ou faute de service ? Lorsqu’un médecin opère des dizaines de malades par jour, et qu’il finit par commettre l’irréparable par fatigue, par inattention, à qui la faute ? Sa responsabilité personnelle est-elle engagée ou celle de l’hôpital ou de l’Etat ? Lorsqu’une jeune fille de 23 ans, comme bien d’autres, anonymes ou pauvres meurent pratiquement tous les jours dans nos hôpitaux publics par manque de soins, par négligence, par manque de moyens matériels ou financiers de la famille, à qui la faute ? A l’Etat ? A la cupidité de l’homme ? A son manque d’humanité ? Ou à notre absence de responsabilité ?
Macaire DAGRY
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