Abidjan (Xinhua) – La sensibilisation contre l’excision fait son chemin en Côte d’Ivoire, mais le poids de la tradition continue de ralentir le combat contre cette mutilation génitale féminine devenue aujourd’hui un fléau dans le pays.
Si au niveau national l’on note une tendance à la baisse, la pratique semble avoir pris de l’ampleur dans certaines régions du pays telles que l’ouest et le nord.
Dans le cadre de la lutte pour aboutir à un changement de comportement et de mentalité, des structures se sont engagées aux côtés du gouvernement.
Des responsables d’organisations non gouvernementales (ONG), de collectivités locales et d’autres groupements de la société civile ont promis de s’engager de manière active dans la bataille.
Dans la région de Bondoukou (nord est) où 78% des femmes ont été excisées selon une étude de l’organisation nationale pour l’enfant, la femme et la famille (ONEF), les autorités administratives et religieuses se sont organisées pour jouer un rôle plus accru contre le fléau.
Mais dans cette même région, une exciseuse a relevé que l’excision est une vieille tradition qu’elles tiennent de leurs arrières grands parents et qui est solidement implantée dans les habitudes culturelles.
« Nous ne pouvons pas la rejeter subitement. L’abandon nécessite que nous fassions des sacrifices de bétails afin de demander pardon aux ancêtres », a expliqué dame Yaoua Afia.
UNE PRATIQUE ANCESTRALE
Du côté de l’ouest, des femmes ne comprennent pas non plus pourquoi il faut laisser tomber l’héritage culturel des ancêtres.
« Nous pratiquons cela depuis des générations. L’excision est une éducation que nous ont léguée nos parents et nous inculquons cette même éducation à nos filles pour qu’elles apprennent à connaître la vie de femme et à connaître leur corps. », a confié Yvonne Oulaï, originaire du département de Danané (ouest).
Dans cette région où vit le peuple Dan, l’on constate une résistance et l’on continue de pratiquer l’excision malgré la ratification par la Côte d’Ivoire de la Convention des Nations unies sur l’élimination des violences à l’égard des femmes, et malgré l’adoption d’une loi visant à réprimer les mutilations génitales.
La pratique se fait ainsi de manière coutumière dans des villages où les filles sont amenées dans la forêt pour y subir l’excision. Ce fléau a gagné certaines villes où se sont installées des exciseuses déterminées à perpétuer la tradition. De l’avis du président de l’ONG « Action santé plus », Laurent Okou, l’excision se heurte certes aux réalités de la tradition par endroits, mais il ne faut pas baisser les bras.
« L’excision a des effets néfastes sur la santé de la femme. Il convient de faire passer ce message dans les villages, photos à l’appui », estime-t-il, ajoutant que si des exciseuses ont déposé les couteaux dans certaines régions pour rejoindre le mouvement de sensibilisation, c’est que les autres qui résistent encore peuvent se décider un jour d’abandonner la pratique.
« Nous connaissons tous l’importance de la tradition en Afrique. Pour espérer enrayer ce fléau, il faut de la patience. Avec nos parents des villages il faut aller avec tact », a préconisé pour sa part Robert Tan, un cadre de la région de l’ouest, résidant à Abidjan.
De l’avis d’Aminata Touré, une cadre de la région du nord, cette pratique qui est monnaie courante au nom des rites ancestraux est dangereuse.
« Ces rites mènent parfois au drame », a-t-elle rappelé, s’appuyant sur l’exemple d’une fillette de trois ans morte à Dabakala, dans le nord, fin 2011, des suites de ses blessures liées à cette « pratique néfaste « .
PLUS DE 70% DES FEMMES EXCISEES DANS LE NORD
Au cours d’une rencontre dans le courant du mois de février, la ministre ivoirienne de la Solidarité, de la Famille, de la Femme et de l’Enfant Anne Ouloto a indiqué que la pratique de l’excision touche plus de 70% des femmes dans les régions du nord et du nord- ouest du pays.
« 38% des femmes âgées de 15 à 45 ans ont été excisées avec un taux supérieur à 70% dans le Nord et le Nord-Ouest, 57% à l’Ouest, 50% au Centre-Nord, 21% au Nord-Est, 20% au Centre-Est et 13% au Centre », a révélé la ministre, citant l’Enquête démographique et de Santé à indicateurs multiples de 2011-2012.
La ministre a relevé que cette pratique occasionne de graves conséquences sur le bien être de la femme et de la fille.
« Il s’agit entre autres de l’ulcération et les infections des organes génitaux, des infections sexuellement transmissibles avec un risque accru de contracter le VIH Sida, des complications liées à l’accouchement et la mise en péril du nouveau-né, des problèmes menstruels et urinaires dont les fistules, de l’infertilité et de la mort », a-t-elle prévenu.
Pour Anne Ouloto, de nombreuses femmes souffrent en silence à cause de cette pratique « sans fondement qui constitue une violation grave des droits fondamentaux de la Femme ».
Face à une résistance « farouche » des mutilations génitales féminines à l’ouest de la Côte d’Ivoire, des autorités locales ont tiré la sonnette d’alarme.
Pour le directeur régional du ministère de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et de l’Enfant de Man, Mathurin Paulin Djéhon, la zone ouest est qualifiée de réfractaire, en dépit des efforts de lutte.
« Les localités de Gbonné, Biankouma et Sipilou constituent cette région hostile. Nous les avons appelées le triangle de la résistance », a révélé M. Djéhon, a noté M. Djéhon.
« Loin de nous décourager, nous continuons à mener les actions pour parvenir à éradiquer le fléau dans la région », a-t-il toutefois soutenu.
LA JUSTICE DETERMINEE A JUGULER LE FLEAU
A plusieurs occasions, la justice ivoirienne a exprimé sa détermination à mener la guerre aux mutilations génitales féminines qui ont cours dans le pays en dépit des campagnes de sensibilisations corsées.
De source proche des autorités judiciaires, neuf femmes ont été condamnées l’an dernier à Katiola (nord) à un an de prison pour l’excision d’une trentaine de fillettes, à l’issue du premier procès d’exciseuses dans le pays.
Ces femmes, âgées de 46 à 91 ans, ont été reconnues coupables de « mutilation génitale féminine » pour quatre d’entre elles, et de « complicité » pour les autres, pour l’excision d’une trentaine de fillettes lors d’une cérémonie rituelle.
Elles ont toutes été condamnées à un an de prison et 50.000 F CFA (75 euros) d’amende.
Par la suite, quatre personnes, à savoir deux dames et deux hommes, avaient été condamnées par le tribunal de Danané (ouest) à six mois de prison ferme avec une amende de 30.000 F CFA (45 euros) pour avoir fait exciser une fillette par une exciseuse venue d’un pays voisin.
Plusieurs organisations dont l’Opération des Nations-Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) et l’association des femmes juristes de Côte d’Ivoire (AFJCI) se sont réjouies de ces condamnations qui, selon elles, vont permettre de réduire le phénomène.
« Par le passé, il y a eu des arrestations de femmes exciseuses, mais ces cas se limitaient au commissariat avec règlement à l’amiable, sans aboutir à des jugements et condamnations, suite aux interventions de parents et des communautés locales », a fait remarquer Amélie Konan, une juriste.
L’excision est une mutilation d’une partie intérieure de l’organe génital féminin.
Cette pratique traditionnelle est de plus en plus décriée avec le modernisme. Le gouvernement ivoirien a pris des dispositions légales pour sanctionner, mais est contraint de retourner à la phase de sensibilisation en raison de la « profondeur » du mal dont l’origine se trouve dans la tradition. Selon des statistiques officielles, l’excision touche entre 100 et 140 millions de femmes et de filles dans le monde.
En Côte d’Ivoire, les autorités qui allient sensibilisation et répression ont mis en place une stratégie nationale de lutte contre les violences basées sur le genre. Celle-ci prend en compte la prévention, la protection, le relèvement des victimes et la réinsertion des auteurs en vue d’une réduction ou de l’éradication de ce fléau
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