La malnutrition chronique perdure et inquiète dans le nord de la Côte d’Ivoire

© Otto Bakano/IRIN
© Otto Bakano/IRIN

La malnutrition chronique inquiète le nord de la Côte d’Ivoire

La malnutrition chronique perdure dans le nord de la Côte d’Ivoire pour des raisons climatiques, politiques et de santé

ABIDJAN, 10 avril 2014 (IRIN) – Quarante pour cent des enfants souffrent de malnutrition chronique dans le nord de la Côte d’Ivoire ; ce taux – le plus élevé du pays – n’a pas diminué depuis six ans. Cette situation est liée aux effets d’un conflit interminable, au départ des organisations d’aide humanitaire et au manque de personnel de santé. La pénurie alimentaire dans la région résulte notamment des conditions climatiques difficiles et des prix alimentaires élevés.

Le taux moyen de malnutrition chronique au niveau national est à peine plus faible : il atteint 30 pour cent. Le nord de la Côte d’Ivoire, situé en bordure du Sahel, est une région principalement aride. Le niveau de malnutrition est comparable à celui constaté au Niger (40 pour cent) et un peu plus élevé qu’au Burkina Faso (34 pour cent).

Les troubles politiques qui ont secoué le pays de 2002 à 2009 ont provoqué la division du pays entre un Nord aux mains des rebelles et un Sud tenu par le gouvernement et entraîné la destruction des services publics dans le Nord. Durant le règne des rebelles, les entreprises privées sont parties, alors que l’économie s’effondrait et que l’insécurité augmentait. En revanche, la région a été largement épargnée par les violences déclenchées par le différend électoral de 2010.

« La crise a engendré une dégradation considérable des niveaux de sécurité alimentaire qui étaient déjà précaires dans cette partie du pays. Les déplacements de population ont compromis les activités agricoles de 2002 à 2005 », a dit Bernard Kouamé, un spécialiste de la nutrition basé dans la capitale commerciale, Abidjan.

« Il y a eu une dégradation des structures de santé. L’absence du personnel médical pendant plusieurs mois et la fracture du système de santé ont grandement affecté l’accès aux services de soins. Le pays ne s’est pas totalement remis de ces problèmes », a-t-il dit.

Le départ des organisations d’aide humanitaire comme Action contre la faim (ACF) en 2011 s’est traduit pas une régression des progrès enregistrés dans le domaine de la nutrition des enfants de moins de cinq ans, a noté M. Kouamé.

Andrea Dominici, directeur d’ACF en Côte d’Ivoire a dit : « ACF n’est plus présente dans le Nord et n’envisage pas d’y retourner, principalement en raison du manque de soutien des bailleurs de fonds, mais également parce que le gouvernement ivoirien et l’UNICEF [Fonds des Nations Unies pour l’enfance] ont la capacité d’intervenir en cas d’urgence ».

« Les organisations d’aide humanitaire ont joué un rôle important dans la lutte contre la malnutrition. Les aliments enrichis [donnés par les groupes d’aide humanitaire] ont aidé beaucoup de femmes, mais depuis leur départ, nous n’avons plus de nourriture et les femmes sont moins nombreuses à venir dans nos centres de nutrition », a dit Diarrassouba Issouf de l’unité de protection de la famille de Korhogo, ville située au nord du pays.

Les centres de nutrition utilisent désormais des produits alimentaires locaux pour lutter contre la malnutrition, mais bon nombre de femmes n’ont pas les moyens d’acheter ces produits alimentaires en raison de leur extrême pauvreté, a dit M. Issouf. En 2008, le gouvernement s’est engagé dans l’installation de centres de nutrition dans les centres de santé et les hôpitaux. Aujourd’hui, les régions du Nord et de l’Est comptent 14 centres de nutrition.

« Les organisations non gouvernementales (ONG) et les partenaires du développement participent à la lutte contre la malnutrition en proposant des diagnostiques rapides et en offrant des équipements, mais au bout du compte, nous nous sentons délaissés sans soutien supplémentaire », a dit un responsable d’une ONG du nord de la Côte d’Ivoire qui a préféré garder l’anonymat.

Manque de médecins

Le manque de personnel médical qualifié dans le Nord a également favorisé la malnutrition chronique. La Côte d’Ivoire compte 0,14 médecin pour 10 000 habitants, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). En Afrique subsaharienne, le rapport personnel médical/patient est de 1,3 pour 10 000. Les pays comptant moins de 23 médecins, infirmiers et sages-femmes pour 10 000 habitants sont généralement dans l’incapacité d’assurer une couverture adéquate de certaines interventions de soins de santé primaires, indique l’OMS.

La malnutrition est responsable de 54 pour cent des décès et de plus d’un tiers des maladies chez les enfants de moins de cinq ans en Côte d’Ivoire, selon le Programme national de nutrition. Basile Koukoui Janvier, un spécialiste de la nutrition auprès de l’UNICEF en Côte d’Ivoire, a indiqué que la malnutrition aiguë baissait lentement, mais que la situation de la malnutrition chronique nécessitait une réponse plus forte.

De manière générale, la stratégie gouvernementale de réduction de la malnutrition s’est axée sur l’amélioration des soins de santé prénatale et de santé infantile ainsi que sur l’amélioration de la nutrition des mères et des enfants en âge d’aller à l’école.

Cependant, le responsable de l’ONG qui a parlé à IRIN sous couvert d’anonymat a critiqué les autorités gouvernementales pour ne pas avoir soutenu la lutte contre la malnutrition dans le nord du pays.

«Le gouvernement n’a pas de mécanisme de suivi adapté ici, dans le Nord. Par exemple, il y a très peu de visites dans les villages pour détecter les enfants malnutris et certains patients ont cessé de venir à la clinique, car ils n’ont pas les moyens de le faire », a affirmé le responsable.

« Le programme public de formation en nutrition destiné aux travailleurs de santé ne fonctionne pas non plus en raison du manque de ressources pour mener des campagnes d’information publique et traiter la malnutrition ».

Période de soudure

Outre la pauvreté généralisée, bon nombre de familles n’ont pas eu de récoltes suffisantes pour passer la période de soudure qui s’étend de juin à septembre, principalement en raison des conditions météorologiques imprévisibles.

«La période de soudure commencera dans quelques semaines. Nous sommes déjà inquiets, car en raison de la pauvreté et surtout des précipitations irrégulières, les familles n’auront peut-être pas suffisamment de réserves de nourriture», a indiqué M. Janvier de l’UNICEF.

Fougnigué Silué, un agriculteur de Korhogo, a dit qu’il avait subi trois mauvaises récoltes successives. « Ceux qui produisent suffisamment de nourriture préfèrent la vendre sur les marchés des régions du Sud ou des pays voisins, alors que nous pourrions nous entraider [ici] ».

En 2012, trois agences des Nations Unies ont indiqué que le nord de la Côte d’Ivoire était menacé par la malnutrition chronique et le manque de nourriture en raison de la présence d’un nombre important de personnes déplacées suite aux violences de 2010-2011, des faibles précipitations et d’une longue période de soudure.

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