Coup d’arrêt aux relations entre la France et le Rwanda

La France sera représentée a minima au Rwanda pour les commémorations des vingt ans du génocide. Le président rwandais, Paul Kagame, a ravivé les tensions entre les deux pays, en affirmant dans une interview à Jeune Afrique que la France et la Belgique avaient eu un rôle dans «dans la préparation politique du génocide» et dans «la participation (…) à son exécution même».

AFP PHOTO / POOL/ ALAIN JOCARD
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Par Tanguy Berthemet Lefigaro.fr

À l’Élysée, ces accusations ont «surpris au moment où les relations bilatérales semblaient aller dans le bon sens ». Une allusion à la présence d’un contingent de soldats rwandais en Centrafrique, au sein de la force africaine et aux côtés des hommes de «Sangaris». Malgré cela, Paris s’est cabré et a annulé, «en le regrettant», le déplacement de Christiane Taubira prévu ce lundi au Rwanda. La France y sera seulement représentée par son ambassadeur.

La visite de la ministre de la Justice n’avait été annoncée que vendredi, après des mois d’hésitations, signes de jeux politiques franco-français mais surtout des susceptibilités et de la méfiance qui habitaient encore la relation entre Paris et Kigali derrière la normalisation affichée. Car derrière ces hésitations, on devinait aussi le souvenir des commémorations des dix ans du génocide. Dans un discours, Paul Kagame avait alors taxé la France d’avoir «sciemment entraîné (…) les milices qui allaient commettre le génocide», provoquant un incident diplomatique. Sans l’avouer, les diplomates français redoutaient, à raison, une nouvelle sortie de l’imprévisible président rwandais. Le dialogue semblait pourtant s’être un peu rétabli, après des bas extrêmes et une rupture diplomatique de trois ans, de 2006 à 2009. Le quinquennat de Nicolas Sarkozy est passé par là. Soutenu par Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères et ami de Paul Kagame, l’ancien président avait un peu retissé des liens. Mais moins qu’on ne le pensait.

Les reproches sont trop lourds et trop sales pour se dissiper si vite. Ils remontent avant même le temps des tueries, en 1990, quand François Mitterrand entraîne des soldats français de plus en plus loin aux côtés des troupes rwandaises en guerre contre le FPR, la rébellion tutsie de Paul Kagame. Dans la nuit du 6 au 7 avril 1994, le Falcon 50 du président rwandais d’alors, Juvénal Habyarimana, est abattu au-dessus de Kigali. Paris rapatrie en urgence ce qui reste alors de soldats français et de ressortissants, laissant place à 90 jours de sang où vont mourir 800 000 Tutsis et opposants hutus. Le 22 juin 1994, la France lance, avec l’aval de l’ONU, l’opération «Turquoise» pour «secourir les civils en danger». Le FPR, qui achève son offensive, assure que Paris cherche à protéger les génocidaires en fuite. Face à cette accusation, la France s’énerve, certains de ses responsables élaborent en réponse la dangereuse «théorie des génocides», soutenant qu’au massacre des Tutsis par des milices aurait succédé celui de Hutus par des soldats FPR revanchards.

Nicolas Sarkozy parti, François Hollande a bien tenté de reprendre son héritage dans ce dossier. Comme son prédécesseur, il s’est appuyé sur la justice pour vider l’abcès des années de ressentiments. Déjà, en janvier 2012, deux juges français rendaient publique une partie de leur enquête sur l’attentat contre l’avion d’Habyarimana. Ils levaient les soupçons pesant sur le FPR dans cette attaque. En parallèle, la justice française, dont les Rwandais s’étonnaient de l’inertie, se met en branle. Depuis lors, une vingtaine d’enquêtes ont été ouvertes. Début mars, un tribunal français s’est prononcé pour la première fois contre un «génocidaire», condamnant à vingt-cinq ans de prison Pascal Simbikangwa. Des évolutions qualifiées de «positives» par le gouvernement rwandais mais qui ne semblent pas avoir suffi.

Dérive autoritaire

Ce nouveau refroidissement revient sans doute pour une part à François Hollande et à son équipe eux-mêmes. Le président français revendique sa filiation avec François Mitterrand. Il a choisi comme conseillère Afrique Hélène Le Gall que Paul Kagame avait refusé d’accréditer comme ambassadeur au Rwanda en 2011. Mais la colère de Kagame tient aussi à la nécessité pour Kigali de rappeler son histoire si spécifique, de raviver la culpabilité des pays occidentaux, au moment où la dérive autoritaire de son régime est critiquée, y compris par ses soutiens historiques comme les États-Unis ou l’Afrique du Sud. Paul Kagame a obtenu de vives réactions en France. Alain Juppé a, lui, appelé François Hollande à défendre «l’honneur» de la France. Ce dernier, ministre des Affaires étrangères en 1994 et à ce titre accusé par Kigali d’avoir préparé le génocide, est de ceux qui, avec une bonne partie de l’armée, refusent l’idée même de voir la France s’excuser auprès du Rwanda.
Paris s’y est toujours refusé. Lors de son voyage à Kigali en 2010, Nicolas Sarkozy avait reconnu des «fautes», mais sans aller plus loin. Sur ce point, François Hollande ne s’est jamais prononcé. Et il semble difficile d’imaginer que le président français se lance dans un brusque revirement. D’autant que la Belgique, qui, comme les États-Unis ou l’ONU, a fait des excuses formelles, se retrouve sur le même banc des accusés que la France. Bruxelles a toutefois réagi de manière différente à la charge de Paul Kagame: l’ancienne puissance coloniale a maintenu sa délégation aux cérémonies.

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