Après Laurent Gbagbo, président élu et renversé par l’armée française au profit d’Alassane Ouattara, c’est au tour de Charles Blé Goudé d’être transféré à la CPI. Pour déporter le président Gbagbo, Ouattara et son ministre de la Justice, Coulibaly Gnénéma, avaient argué que le départ de celui qu’on appelle l’«enfant du peuple» allait favoriser la réconciliation nationale et permettre l’organisation des élections législatives et municipales dans un climat apaisé. Trois ans après, le constat est plutôt amer. Contrairement à ce que les tenants du pouvoir avaient indiqué, la déportation de l’ancien chef de l’Etat a consacré la fracture sociale en Côte d’Ivoire. Elle a consacré deux camps qui se regardent en chiens de faïence. Il y a, d’un côté, le camp de ceux que l’armée française a aidé à gagner la guerre postélectorale et a installés au pouvoir. Ce camp a pour mentor Alassane Dramane Ouattara. Le nouvel homme fort d’Abidjan et ses partisans ont pris la Côte d’Ivoire en otage. Ouattara a pris l’appareil judiciaire en otage en instituant ce que toute la communauté nationale et internationale appelle la justice des vainqueurs. Cette justice consiste à ne juger que les partisans de l’autre camp.
Le camp de Ouattara a également pris en otage l’administration qu’il a appelé «le rattrapage ethnique». Le rattrapage ethnique consiste à chasser de leur poste dans l’administration tous ceux qui ne sont pas de leur bord et de les remplacer par leurs partisans qui sont tous du nord de la Côte d’Ivoire, région de Ouattara. Ce camp a aussi pris en otage la sécurité. En ce sens que seuls les partisans de Ouattara peuvent circuler dans le pays avec sérénité sans aucune peur au ventre. Il a même pris en otage les villages et campements par le canal des dozos. Ces derniers ont pour mission de «corriger sévèrement» tous ceux qui, dans les villages, ne portent pas Ouattara dans le cœur et qui le manifestent publiquement. En face, il y a celui que l’armée française a chassé du pouvoir pour y installer Ouattara. Ce camp a pour leader le président Laurent Gbagbo. Ce camp de persécutés comprend des prisonniers politiques, des exilés, des rattrapés ethniques de l’administration. C’est le camp de ceux qui ont la peur au ventre quand ils sortent de chez eux tous les jours, parce qu’ils peuvent être soit enlevés, soit arrêtés, avant même qu’on ne leur trouve un délit. C’est le camp de ceux dont les villages sont pris en otage par les dozos venus du nord. Ainsi donc, la déportation de Laurent Gbagbo à La Haye n’est pas favorable à la réconciliation, comme le ministre Coulibaly Gnénéma l’avait insinué. Elle n’a pas non plus permis l’organisation des élections législatives et municipales dans un climat apaisé. Puisque ces joutes ont été boycottées par le Fpi. Un boycott largement suivi par les populations, car le scrutin enregistré moins de 20% de taux de participation. Plutôt que de tirer les leçons de cette situation dramatique dans laquelle est plongée la Côte d’Ivoire depuis le transfèrement du président Gbagbo à la Cpi, Ouattara décide de déporter, à son tour, Charles Blé Goudé.
Selon le même ministre de la Justice, la déportation de Blé Goudé répond à la volonté du gouvernement de mettre fin à l’impunité dans le pays. C’est la diversion que fait Ouattara pour commettre la même faute qu’il a commise dans le cas du président Gbagbo. En fait, si la volonté du gouvernement est effectivement de mettre fin à l’impunité, à quel moment va-t-il agir aussi du côté du camp Ouattara ? Car il est de notoriété publique que ce sont les hommes de Ouattara qui ont envoyé la guerre dans ce pays et massacré des milliers de personnes innocentes. Ce sont les hommes de Ouattara qui ont arrêté plus d’une soixantaine de gendarmes à Bouaké, avant de les exécuter publiquement. Une vidéo d’un gendarme qu’on égorge existe et qui circule à travers le monde. Il est aussi connu de tous que ce sont Chérif Ousmane et ses hommes qui ont massacré, en une seule journée, plus de 800 Wê à Duékoué. Il est également connu de tous que ce sont les hommes du même Chérif Ousmane et de Koné Zacharia qui ont massacré les jeunes patriotes à Yopougon après la chute de Laurent Gbagbo. Tous ces faits sont consignés dans des rapports d’organisations internationales de défense des Droits de l’Homme. Et pourtant leurs auteurs sont dans les bonnes grâces de Ouattara. On voit donc que ce n’est pas la volonté de mettre fin à l’impunité qui motive le transfèrement de Blé Goudé à la Cpi. Tout ce qui peut expliquer un tel comportement, c’est la méchanceté et la haine des dirigeants actuels de la Côte d’Ivoire. Le moins qu’on puisse écrire, c’est qu’en décidant de transférer le jeune Blé Goudé à la Cpi, Ouattara tourne le dos à la Côte d’Ivoire des valeurs. Les valeurs de tolérance, de pardon et du dialogue. Or, c’est en mettant au devant ces valeurs qu’on peut refermer la fracture sociale et réconcilier tous les Ivoiriens. C’est dommage que Ouattara et les siens ne l’aient pas compris.
Boga Sivori bogasivo@yah
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