Côte d’Ivoire Père Cyprien Ahouré « je voudrais que les bourreaux se présentent… »

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Duékoué / Père cyprien ahouré, président de la cdvr locale

Interview réalisée par Maureen Grisot Source: RFI

«Que la vérité soit dite et que les victimes répertoriées soient dédommagées»

Il y a dix jours se terminait en Côte d’Ivoire la phase pilote des consultations de la commission dialogue, vérité réconciliation (CDVR). L’institution créée au sortir de la crise en septembre 2011 a été vivement critiquée pour son inaction, ces consultations étaient la première occasion pour les victimes d’entrer dans le vif du sujet. Le père Cyprien Ahouré, président de la commission locale à Duékoué, dans l’ouest du pays fait le point.

Dans les commissions locales de la Cdvr s’est terminée il y a dix jours. Beaucoup de victimes n’ont pas pu être entendues. Que va-t-il se passer pour elles ?

Nus avons auditionné jusque-là plus de 200 personnes pendant dix jours. Ça nous a demandé beaucoup de travail, beaucoup de temps. On a même exagéré ! Vous voyez que ce n’est pas facile. Nous n’arrivons pas à contenir tout ce monde. C’était une première pour nous, et nous voyons que ce fut un succès. Réellement, il y a un engouement, parce qu’il y a beaucoup de victimes ici à Duékoué. Et je crois que le processus ne s’arrête pas. C’est juste une phase pilote, nous allons continuer. Nous espérons que lorsque nous allons commencer de façon nationale même, la phase à grande échelle, nous allons prendre les autres victimes, les autres plaignants qui sont venus signaler un peu tout ce qu’ils ont pu perdre, les personnes et les biens qu’ils ont perdus. Donc, nous avons le temps de prendre tout le monde. Nous avons une liste de 1 000 et quelques personnes inscrites. Nous croyons que nous pourrons arriver à cela.

Il y a énormément d’attente, vous l’avez dit ; plus de 1 000 victimes enregistrées et certainement beaucoup d’autres qui ne se sont pas encore signalées auprès de la commission locale de la Cdvr. Il y a encore beaucoup de maisons en ruines. Aurez-vous les moyens de dédommager toutes ces victimes ?

Nous, nous avons le devoir et le souci de faire en sorte que la vérité soit faite, soit dite, et que les victimes ainsi répertoriées après enquête puissent bénéficier d’un dédommagement de la part de l’Etat. Je pense que l’Etat, qui est de très bonne foi, va prendre en compte les résultats, les travaux de la Cdvr, qui en fait demandent justement à la conclusion de tout, le dédommagement des victimes. Ça fait partie du processus de réconciliation.

Les procédures pénales devant la justice ivoirienne prennent beaucoup de temps et semblent même ne pas du tout avancer. La Commission pourra-t-elle agir dans ces crimes de sang ?

Nous, nous avons le processus de justice traditionnelle. Nous, la Cdvr, nous ne sommes ni la police ni la justice. Nous faisons ressortir la vérité par l’écoute des personnes. Le rôle, c’est la phase des audiences publiques. Et au cours de ces audiences publiques, je crois qu’il serait bon pour toutes les personnes, et les bourreaux et les victimes, chacun aura sa part de vérité et pourra dire aussi ce qu’il faut dire. C’est-àdire savoir dire pardon à son frère. C’est vrai qu’il y a ceux qui ont commis ce qu’on appelle l’abomination, et je pense que ces personnes-là devraient répondre devant la justice. Parce qu’il n’est pas bon de faire beaucoup de tort et de croire que la justice ne fonctionne pas. Pour ma part, en ce qui me concerne personnellement, j’ai foi en la justice. Et c’est vrai que ça prend du temps, mais on doit arriver à une réparation judiciaire. Et je pense que la justice doit se faire. J’encourage les citoyens à venir déclarer ce qu’ils ont perdu, ce qu’ils ont pu vivre dans cette crise, et nous permettre, à nous membres de la CDVR, de faire normalement notre travail, c’est-à-dire d’aller jusqu’à la vérité et jusqu’au dédommagement. La Commission aussi, peut-être, peut recommander que certaines personnes soient remises à la justice pour répondre de leurs actes.

Etes-vous certain que les bourreaux se présenteront lors des phases de consultations publiques ?

Après trois ans, on peut se regarder dans les yeux, et peut-être se demander pardon. Je voudrais que les bourreaux se présentent dans un souci de faire le bien. C’est un souci d’aider la nation à se retrouver, à se réconcilier avec elle-même. C’est possible. On a vu cela ailleurs. On peut demander pardon pour le mal qu’on a commis. Je pense qu’ils ont le devoir de se présenter pour qu’on puisse trouver une solution à ce qu’ils ont bien pu faire. Et puis il y a ceux qui – je le disais tout à l’heure – ont commis des abominations. Ces personnes-là aussi auront le courage, peut-être, de dire : je mérite quand même de passer devant la justice. Et je pense que la justice n’est pas si mauvaise en soi. C’est une opportunité qu’on peut saisir de se refaire. Les victimes ont beaucoup attendu. La crise s’est terminée il y a trois ans.

Cette attente a eu quelles conséquences selon vous ?

Je pense que la Cdvr ne perd pas le temps. La réconciliation ne se décrète pas en une année, deux ans, trois ans. C’est vrai que nous sommes impatients. Les victimes souffrent encore. Les gens attendent quelque chose, mais je demande que l’on patiente un peu et je comprends un peu les inquiétudes des uns et des autres. Mais nous y arriverons. Et s’il y a les moyens, la bonne volonté et la sincérité, nous irons jusqu’au bout et très vite, même. Dans son mandat, la Cdvr doit faire la vérité sur les crimes passés dans un pays où c’est plutôt l’impunité qui règne. Pensezvous que ce mandat soit réalisable ? Nous, à la Cdvr, nous ne parlons pas d’impunité. Nous parlons plutôt d’arriver à la vérité. Et lorsque nous arriverons à la vérité et que la vérité sera faite, je pense que les décisions qui seront prises, qui incombent maintenant à l’Etat de Côte d’Ivoire, à ce moment-là la Commission pourra apprécier. Il est un peu tôt pour apprécier. Nous n’avons pas encore conclu le processus. Et je crois que quand on aura fini et qu’on aura écouté les uns et les autres, et que les bourreaux seront face à des méthodes de justice traditionnelle ou de justice répressive, je pense que quand nous allons arriver à cela, nous pourrons déduire ou dire s’il y a impunité ou n’y a pas impunité. Et nous verrons.

Maureen Grisot

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