Côte d’Ivoire – Abidjan le mois du blanc

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Par Shlomit Abel

Voilà trois jours que circulent des photos de Charles Blé Goudé et Jean-Yves Dibopieu. Mystérieuses photos d’hommes au teint gris, amaigris, incarcérés à la DST d’Abidjan Cocody, de sinistre mémoire. Exposée plein sud, aux heures les plus chaudes du jour, cette prison est un four. A ceux qui crient au montage, il ne peut en aucun cas être imputable aux amis des prisonniers. Personne n’a pu les approcher, ni leurs familles, ni leurs avocats ; cette incarcération est totalement contraire au droit international : même le CICR, alerté par les responsables du Cogep, a fait savoir que la Croix Rouge n’avait pu les rencontrer. Rappelons également que le Commandant Abéhi, le général Dogbo Blé, le capitaine Séka Séka (qui pour avoir été trop torturé aurait perdu la raison et n’aurait pu être auditionné par les juges hier), sont aussi détenus au mépris de toutes les conventions internationales. Même un Ado-lf Hitler n’avait pu empêcher la Croix rouge de visiter les camps de concentration, prenant simplement soin de ne présenter que des prisonniers retapés pour la circonstance, une nourriture plus abondante et des châlits recouverts de draps propres. Aujourd’hui en Côte d’Ivoire, où tout n’est pourtant que cinéma, Com, et spectacle, ce gouvernement de rattrapés pour rattrapés, avec son couple présidentiel modèle, ne se sent même pas tenu de sauver les apparences : la caution d’une France au-dessus de tout soupçon lui suffit, mais jusqu’à quand ?

Qui a fait circuler ces photos, de quand datent-elles ? Ces questions sont presque secondaires. Un certain Zadi Djédjé, présenté comme un leader de la jeunesse du FPI, affirme avoir rencontré Blé Goudé le 24 février. Celui qui a revendiqué une gloire éphémère en essayant de rassembler cette jeunesse proche du “Général de la rue” pour accueillir Ouattara à l’aéroport le 2 mars, a été immortalisé, lui et sa “foule”, sur des photos le montrant dans un accoutrement pour le moins exotique : Équipé d’un chapeau et d’une “canne maison”, on dirait un montagnard bavarois égaré dans un aéroport. Il semble avoir réussi avec un autre – lequel ne se prononce pas -, l’exploit d’avoir rencontré celui que personne ne peut voir, celui qui fait les frais de la guerre Hambak-Soro depuis plus d’un an. Mais voilà, les renseignements qu’il donne sont aussi précis que ceux qu’il pourrait donner si on l’interrogeait sur les Alpages qu’il vient de quitter.

En quelques heures, médias et réseaux sociaux, ne se privant pas de faire circuler ces photos, ont mis le gouvernement en demeure d’expliquer comment un quidam peut prendre des photos sur fond de mise en scène, vêtements neufs, Bible et livres de piété, boisson à volonté, fruits, slip blanc immaculé qui montre que le personnel d’étage de la résidence protégée louée par Hamback est à la hauteur de son standing. Le carrelage est propre, seul un coup de peinture serait encore bienvenu pour mériter une étoile de plus au guide des prisons modèles. On espère que le photographe s’introduira aussi dans le QG-FRCI, haut lieu de la torture installé depuis l’avènement de l’ère Ouattara dans la résidence de Mr Marcel Gossio, et que ces photos d’hommes torturés parleront d’avantage que l’apparent silence du propriétaire des lieux, devant l’inqualifiable présence chez lui de ces squatteurs de la mort et de leurs victimes.

Ces photos de Blé Goudé et Dibopieu dérangent, dans cette démocrature bananière du vivre ensemble harmonieux – dernière démonstration en date, celle du peuple uni et en liesse accueillant son président “miraculeusement guéri” -, harmonie entretenue par le large sourire et la douce poitrine confortable de dame Dominique serrant les enfants orphelins sur son cœur; les prisonniers eux, sont sous clé, rien ne doit filtrer de ce monde des bas-fonds, enfoui, bâillonné, assassiné; motus et bouche cousue, rien à signaler : les droits de l’homme bourgeonnent, les chantiers aussi, l’économie est à son apogée, tout va bien. L’argent travaille, sans véritables investisseurs, sans cadre juridique, de gré à gré, de poche de rattrapée à autres poches de rattrapés.

Au départ donc, la thèse officielle est celle d’un affreux montage, une communication destinée à salir le gouvernement. Joël N’Guessan, la “voix de son maître”, nous explique même que cette campagne a pour but d’éviter que l’on parle des vraies victimes, celles du RDR. Mais faut-il rappeler qu’au bout de trois ans de régime rattrapé, avec des morts qui ne se comptent plus, d’innombrables exilés invités à rentrer sans aucune compensation ni garantie, dans une Côte d’Ivoire où les seules offres d’emploi concerne le recrutement d’un nouveau sous-prolétariat pour multinationales agroalimentaires, aucune enquête n’a encore abouti. Certes, Konan Banny est à Paris, mais bien embarrassé : il parle pour ne rien dire ou presque, comme si sa commission venait d’être créée hier, et qu’il avait toute la vie devant lui pour trouver les responsables des massacres ; les ivoiriens, dans l’intervalle, peuvent se passer de manger, de travailler; ils ne tombent pas malades, ne sont pas arbitrairement emprisonnés, n’éprouve aucun besoin d’être de toute urgence réconciliés ni surtout dédommagés… Résultat tangible : zéro; du vent, beaucoup de vent, un texte truffés de blancs, un texte à blanc.

Ah ce blanc, comme il fait parler ! Le gouvernement s’extasie devant les sous-vêtements immaculés des prisonniers : la preuve qu’ils sont bien traités… Pris en photos, comme des singes dans une cage, ils en ont même les bananes, alors de quoi se plaignent–ils ? Selon Joël N’guessan, c’en est même indécent, parce qu’en ne parlant que de ces prisonniers célèbres, on en oublierait toutes les charrettes de “vraies” victimes, celles qui seraient tombées sous les coups de canon de Gbagbo et de ses amis à la machette, ces victimes que Soro Alphonse avec son mégaphone avait rassemblées pour bloquer Abidjan, 18 personnes tout de blanc vêtues, à la mode sahélienne…

Le directeur de la DST est chargé de diligenter une enquête interne pour connaître les auteurs de la fuite. ça fait désordre, à deux jours de la grande mascarade au cours de laquelle moult bienfaiteurs de France et de Navarre vont entourer Dame Ouattara à l’heure où, toutes caméras dehors, elle et ses amis s’épancheront sans retenue sur les conditions des enfants malades, ces chers petits, l’avenir de demain : alors même que leurs parents et grands-parents, leurs grands frères ont été privés d’avenir, tués, exilés, malades, empêchés de poursuivre leurs études… L’indécence au pouvoir, et la presse au garde-à-vous… Tabou, l’énorme revers de sa toute petite médaille de sainte en sucre d’orge. Prière de ne pas réveiller les fantômes dans le placard…

Hier enfin, les avocats de Charles Blé Goudé ont pu apercevoir leur client pour la première fois depuis 14 mois, à l’occasion d’une audition chez le procureur. Il semble que la mobilisation des internautes, la diffusion de ces photos honteuses et les rendez-vous des responsables du Cogep aient porté leurs fruits. Encore deux jours à tenir bon, à alerter tout le monde, à diffuser les photos de ces anonymes qui croupissent à la Maca et autres prisons, torturés, sans soins, brûlés à l’acide, au plastique fondu.

Plus de 800 prisonniers politiques, des petits, des pauvres, des sans voix, sont depuis deux jours sont privés d’eau à la Maca. Coïncidence : dans deux jours le papa et la maman de la Nation vont recevoir dans le cadre du carnaval et de la bonne Bouffe célébrés avec la Fondation “Child of Africa”, près de mille convives qui se régaleront des petits plats mitonnés par une toque blanche elle aussi venue de France, le tout assaisonné à la sauce humanitaire : construire l’hôpital mère-enfant, vitrine exaltée des droits de l’homme en Côte d’Ivoire émergente. Or il leur faut de l’eau, beaucoup d’eau pour laver tant de salades, préparer les couverts de tous ces gentils et généreux donateurs des œuvres charitables de la grande Dame au grand cœur, la blanche Colombe comme l’appelle même la très sérieuse lettre du Continent.

La bienséance outarandienne exigeant que pendant le grand cabaret, toute la Côte d’ivoire soit sous contrôle, Hambak, policier en chef travesti pour l’occasion en ministre de la justice, nous sort sa collection de photos privées au 20 heures de Facebook – et non celui du journal télévisé -, et nous présente la “vraie” résidence tout confort de CBG, un Charles tout sourire dans un studio meublé, aux meubles acajou, résidence convenant mieux au standing de l’ancien ministre sous les verrous. L’ennui, c’est que ces photos ne sont de toute évidence pas récentes pas : en plus d’un an d’incarcération Charles n’aurait toujours pas réussi à se débarrasser du carton d’emballage de sa petite télé ! Mais quand on ment, il faut s’attendre à ce que la vérité montre le bout de son nez… Dans son « dressing » – sic !- Charles semble choisir une chemise blanche, celle qu’il portera lors de son audition devant le juge… fin janvier 2013 ! Cher Hamback, on ne peut pas penser à tout, surtout avec la foule de responsabilités qui sont les vôtres…

Enfin le Patriote, bien renseigné, volant au secours de la république en péril, nous affirme que les photos ont été prises mardi à 11h 30. Alors qu’il était convoqué depuis 10h30 avec ses avocats et le procureur au palais de justice, pour une audience marathon qui s’est tenue non stop jusqu’à 16h 30, il se serait éclipsé à 11h30 pour une séance photos, souriant devant les flashes de son geôlier Hambak, préférant regarder la télé plutôt que de demander des nouvelles des siens à ses avocats… Si telle est la version qu’il faut retenir, alors le studio est à deux pas du tribunal, et il faut que Hambak nous trouve un autre lieu plus secret encore !

Et comme remarque fort justement Théophile Kouamouo : « l’article 673 du Code de procédure pénale ivoirien stipule que : “Les inculpés, prévenus et accusés soumis à la détention préventive la subissent dans une maison d’arrêt. Il y a une maison d’arrêt près de chaque Tribunal de Première instance et de chaque Section de Tribunal”. La place de Blé Goudé n’est donc ni à la DST ni dans une quelconque “résidence protégée”. »

Dans les jours à venir, continuons d’exiger la libération de tous les prisonniers politiques détenus arbitrairement, continuons de diffuser les photos de ceux qui sont en danger, sans soins, privés de nourriture “comestible”, dénonçons le sort des 48 jeunes de Grabo accusés de déstabiliser un gouvernement aux abois. Si ces jeunes planteurs torturés à l’acide et au plastique fondu, aux bras et aux jambes martyrisées sont derrière les barreaux, ce n’est certainement pas pour répondre d’une quelconque tentative de déstabilisation d’un régime qui ne tient que par la terreur; s’ils sont sous les verrous, ne serait-ce pas plutôt parce l’on convoitait leurs terres et leurs plantations, et que leur incarcération inhumaine à permis à d’autres de s’inviter chez eux, avec la bénédiction de ministres malfrats au service de ceux qui ont mis la Côte d’Ivoire à feu et à sang ?

Le président Gbagbo est toujours encore retenu à la Haye : de l’avis des “humanitaires”, ces “humanitaires” qui ne s’invitent dans un pays que pour le spolier du revenu de son sol et des richesses de son sous-sol, son retour menacerait encore et toujours le fragile équilibre d’une réconciliation qui peine à se mettre en place… par sa faute, évidemment. Toutes les démarches passées, présentes et à venir ne changeront rien à cette situation. Jusqu’à présent la négociation, les bonnes manières “civilisées n’ont rien donné”. Le FPI, particulièrement silencieux, a probablement voulu donner à maitre Altit toutes les chances de réussir dans sa défense. Mais cette tactique du juridisme diplomatique n’aboutira malheureusement jamais : blabla et vœux pieux, compromis et promesses d’avenir meilleur sont autant de prétextes pour remettre à demain, un demain qui n’en finit pas de s’éloigner.

Aujourd’hui, nous avons la preuve que le gouvernement tremble devant une opinion publique qui n’a plus peur de se manifester et de publier les horreurs de la dictature installée par la France et l’Onuci.

Forts des résultats obtenus, maintenons la pression autour du sort des prisonniers. Que Hambak nous produise aussi les photos d’un Jean Yves Dibopieu en bonne santé, et qu’il signe le bon de visite pour sa famille, inquiète au point de se demander s’il est encore en vie. Osons dévoiler la face cachée de cette Côte d’Ivoire défigurée par le vice de ses mauvais maîtres d’un jour, même si Ouattara ne s’habille plus qu’en blanc depuis son retour. Dévoilons la honte de ces hideuses coulisses aux invités de Dominique, disons-leur que pour quelques vies d’enfants sauvées, il y en a des milliers qui ne l’ont pas été, qui sont morts en bas âge faute de médicaments, qui n’ont pas été scolarisés. Que chacun de ces presque mille invités à la grande bouffe de la Reine blanche sache, à l’heure où il se régalera de ses mets vénéneux, qu’il cautionne ainsi l’inhumanité des traitements infligés à l’un des ces autres presque mille victimes de l’arbitraire carcéral françafricain, croupissant dans des geôles insalubres, sans soins, sans nourriture, sans eau, sans visites, sans jugements : alors, bon appétit ! Merci, chers invités, de votre intérêt pour cette Côte d’Ivoire des prédateurs ! Bon cabaret, messieurs dames ! Souriez, souriez ! Bientôt le rideau va tomber, clôturant cette dérisoire représentation d’opéra bouffe sous les applaudissements nourris des morts et des survivants, plus forts que jamais, seuls vrais acteurs de l’après-cabaret.

Shlomit Abel, 13 mars 2014

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