Le président ivoirien, Alassane Ouattara, inaugure un oléoduc reliant Abidjan à Yamoussokro, en juillet 2013. Sa gestion de la Côte d’Ivoire lui vaut les félicitations des institutions internationales. Mais les Ivoiriens, eux, attendent impatiemment de goûter aux fruits de la croissance. Pour Alassane Ouattara, qui souhaite se représenter en 2015, le temps presse.
PAR JULIEN CLÉMENÇOT Jeune-Afrique
À chacun de ses déplacements dans le pays, comme à Bouaké en novembre ou à Yamoussoukro en décembre 2013, la pression se fait plus forte sur les épaules d’Alassane Ouattara. Partout, les élus lui font part de l’impatience des Ivoiriens, notamment parmi ses partisans. Le chef de l’État a beau se féliciter du retour de la sécurité et réaffirmer sa volonté de créer 1 million d’emplois en cinq ans, la population n’a pas encore vraiment goûté aux fruits de la relance.
Une situation paradoxale pour l’exécutif, qui, dans le même temps, obtient un satisfecit des institutions de Bretton Woods. Dans sa note du mois de décembre, le Fonds monétaire international (FMI) reconnaît que les autorités ivoiriennes ont fait des progrès considérables dans la réalisation de leurs objectifs économiques. En 2013, la croissance devrait atteindre 8,7 % du PIB, soit légèrement moins qu’en 2012 (9,8 ;%), mais un peu plus que la prévision du FMI. Mieux : le pays devrait garder ce cap – entre 8 % et 10 % – jusqu’en 2015. Et bien que l’État soit toujours soumis à de fortes contraintes financières, le déficit budgétaire devrait être ramené sous la barre des 3 % du PIB.
Télécoms, construction et agro-alimentaire sont les locomotives de la croissance
Infrastructures
Mais force est de constater, au-delà des considérations macroéconomiques, que le quotidien de beaucoup d’Ivoiriens reste empreint d’une certaine morosité. Si l’inflation est largement contenue, le pouvoir d’achat des ménages demeure insuffisant pour nombre d’entre eux. Face au risque de grogne généralisée, le chef de l’État a d’ailleurs déjà lâché du lest en surévaluant légèrement le prix du cacao (750 F CFA, soit 1,10 euro par kilo) payé aux 800 000 producteurs du pays pour la campagne en cours, quitte à limiter les marges des industriels (lire pp. 99-100). Toujours dans un souci d’apaisement, il a aussi confirmé le déblocage du traitement des fonctionnaires, peu après avoir approuvé l’augmentation du salaire minimum interprofessionnel garanti (smig).
Selon Serge Thiémélé, associé du cabinet Ernst & Young en Côte d’Ivoire, il ne faut pas juger trop sévèrement la politique économique du gouvernement, qui a fait des infrastructures sa priorité. « Leur réhabilitation est une nécessité, mais c’est une idée difficile à faire passer dans l’opinion, car les effets bénéfiques ne se feront pas sentir à court terme », estime-t-il.
Pas moins de 6 000 km de routes et de pistes auraient par exemple déjà été réhabilités, d’après Patrick Achi, le ministre des Infrastructures économiques. Des travaux sans précédent au cours de la dernière décennie. « Le président Ouattara a su profiter du soutien financier de la communauté internationale pour mettre en place une politique d’endettement ambitieuse. Une urgence chassant l’autre du côté des bailleurs de fonds, la fenêtre de tir était étroite », juge Jean-Noël Amantchi Gogoua, économiste de la Banque mondiale.
En 2014, plusieurs chantiers importants vont se poursuivre, comme la construction du troisième pont d’Abidjan (lire p. 84), l’extension des centrales thermiques d’Azito et de Ciprel, la construction du barrage hydroélectrique de Soubré (lire p. 96) ou le prolongement de l’autoroute Abidjan-Yamoussoukro vers Bouaké (lire pp. 88-90). « Ces projets présentent, en plus, l’intérêt de créer des emplois », souligne Serge Thiémélé.
Critiques
Insuffisant, répondent les détracteurs du gouvernement, qui reprochent au président Ouattara de ne pas avoir suffisamment privilégié les entreprises locales dans le cadre des grands travaux. Aucune obligation n’est par exemple faite aux multinationales en matière de sous-traitance.
JA2768p067Cliquez sur l’image. »Ouattara est un libéral ; pour lui, ce n’est pas un objectif », constate un économiste travaillant pour une représentation diplomatique étrangère. « Dans l’urgence, on peut comprendre que le gouvernement recherche avant tout l’efficacité », répond Serge Thiémélé, qui estime qu’entre 15 % et 20 % du budget des projets aura néanmoins profité aux sociétés implantées localement.
Le choix des autorités répond aussi aux exigences des bailleurs de fonds. « Il faut être réaliste, aucune entreprise en dehors des multinationales n’est capable de réaliser de telles commandes. Au lieu de râler, les entrepreneurs ivoiriens devraient se préparer à saisir de futurs contrats, comme la construction d’hôtels, de centres commerciaux ou de marchés de gros », tempère un membre du patronat.
Des ambitions aujourd’hui bridées par une pénurie de compétences sur le marché du travail. « Plus d’une décennie de crise a complètement détruit le système éducatif. Les Ivoiriens âgés de 15 à 35 ;ans en paient le prix », constate un membre de la coalition au pouvoir.
Croissance inclusive
Reste que les PME veulent, elles aussi, profiter davantage du retour de la croissance. Mais les gestes du gouvernement en leur faveur demeurent timides. Si Jean-Louis Billon, ministre du Commerce, de l’Artisanat et de la Promotion des PME, a bien présenté en novembre 2013 un plan d’appui de 150 à 200 milliards de F CFA pour faire passer leur nombre de 50 000 à 120 000 en six ans, ce dernier n’a pour le moment pas été mis en oeuvre.
Parfois difficile, le dialogue entre le pouvoir et les entrepreneurs est cependant loin d’être rompu
Le paiement de la dette accumulée par l’État vis-à-vis des PME entre 2000 et 2010 constitue une autre pomme de discorde. Les entrepreneurs concernés dénoncent notamment le tri opéré par le gouvernement dans les factures à régler. Après audit, seuls 152,9 milliards de F CFA d’arriérés ont été validés, sur un montant estimé au départ à 356 milliards. Le paiement d’une première tranche de 51 milliards de F CFA a d’ailleurs débuté en décembre 2013.
Parfois difficile, le dialogue entre le pouvoir et les entrepreneurs est cependant loin d’être rompu. À preuve, le report au 20 mai 2014 de l’interdiction de l’utilisation des sacs plastique, décidé fin novembre 2013 à la demande des opérateurs économiques. Le récent déblocage de 7 milliards de F CFA par la présidence pour améliorer la voirie, en piteux état, de la commune de Yopougon, qui abrite la plus grande zone industrielle du pays, témoigne peut-être d’une évolution dans l’attention portée aux chefs d’entreprise.
Des efforts, le gouvernement devra aussi en faire en accélérant encore le rythme des réformes. Après la mise en place d’un guichet unique pour la création des sociétés et celle d’un tribunal de commerce, le FMI l’appelle à poursuivre en ce sens afin d’améliorer le climat des affaires ainsi que la bonne gouvernance.
Ce dernier chantier reste d’actualité et dépendra de la capacité des Ivoiriens à abandonner les « petits arrangements » (fraude, abus de bien social, corruption…) largement ancrés, depuis longtemps, dans les mentalités. Parmi les dossiers que le Fonds suit avec attention, le nouveau code minier ou la restructuration du secteur bancaire public. Sur ce dernier sujet, le président, partisan d’une liquidation des actifs les moins rentables, fait face à des résistances au sein même du gouvernement.
« Même si tout n’est pas parfait, le potentiel du marché ivoirien reste important », estime Hichem Ghanmi, directeur du bureau d’AfricInvest à Abidjan. Un jugement partagé par les chefs d’entreprise. Les investissements privés sont passés de 8,8 % du PIB en 2012 à 9,9 % l’an dernier et devraient, en 2014, atteindre 10,4 %, selon les prévisions de la Banque mondiale. Les secteurs de l’agroalimentaire, de la construction et des télécoms font figure de locomotives pour l’économie nationale.
C’est finalement la situation politique qui inquiète le plus le milieu des affaires. Nombreux sont les observateurs qui émettent des doutes sur la stratégie de réconciliation nationale mise en place par le pouvoir. Dans ce contexte, l’élection présidentielle de 2015 fait déjà figure d’épouvantail pour une sphère économique en quête de stabilité. « Si la situation ne se clarifie pas d’ici à quelques mois, les investisseurs pourraient mettre certains projets en stand-by », confirme un financier.
Jugement des crimes de guerre, dialogue avec le Front populaire ivoirien (FPI), négociation pour une alliance avec le Parti démocratique de Côte d’Ivoire-Rassemblement démocratique africain (PDCI-RDA) pour 2015… Le camp Ouattara aura plusieurs dossiers brûlants à gérer pour faire fructifier la croissance.
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