Par Philippe Leymarie Monde-diplomatique.fr
Les vingt-huit Etats européens ont admis à l’unanimité – Britanniques compris – que l’Union devait épauler, en Centrafrique, les troupes françaises et africaines qui tentent de mettre fin à un début de guerre civile dans ce pays. Un signal politique bienvenu, au moment où – sous forte pression franco-tchadienne – la classe politique centrafricaine s’est dotée en un temps record d’une présidente de rechange. Mais la marche sera longue avant qu’une unité européenne soit à pied d’œuvre, pour soulager les soldats français…
« EUFOR RCA-Bangui » : le nom de baptême de l’opération européenne trahit par avance ses limites. Il s’agira de contribuer à la sécurisation de la « zone de Bangui », la capitale – à l’exclusion donc d’un déploiement à l’intérieur de ce vaste pays. L’accent est mis sur la protection des civils et des ONG humanitaires – ce qui implique une utilisation essentiellement statique de cette force, dotée d’équipements légers, autour de camps, comme ceux qui se sont formés à proximité de l’aéroport international de Mpoko. Le tout pour une durée qualifiée de « temporaire », « pouvant aller jusqu’à six mois » ; avec un effectif qui n’a pas été précisé d’emblée, mais qui devrait rester modeste : autour de 600 hommes (l’équivalent d’un bataillon).
Opération minimale Retour à la table des matières
Sur le plan politique, sans revenir sur les conditions de déploiement et le premier bilan de l’opération française Sangaris après cinq semaines, cette initiative marque la fin de la solitude pour l’exécutif français, qui s’était engagé seul sur ce terrain plutôt glissant, en raison de la dimension socio-religieuse du conflit, et au regard de l’implication de la France durant la période coloniale, comme depuis son accession à une indépendance restée en partie théorique. C’est sans doute l’Allemagne qui a fait peser la balance, ayant convenu que « l’Europe ne pouvait laisser la France seule en Centrafrique » (tout en répétant qu’elle-même n’y enverrait certainement pas de troupes de combat, ce qui est le cas également du Royaume-Uni).
Jusqu’à ces derniers jours, Paris avait plaidé sans succès, depuis le lancement d’urgence de l’opération « Sangaris » le 5 décembre dernier, pour une opération à l‘échelle européenne. Une initiative qui aura été prise, finalement, en dépit d’un climat peu propice à une relance de l’Europe de la défense, comme en témoigne l’échec du sommet européen de la fin décembre.
Selon Arnaud Danjean, président de la commission de défense au Parlement européen, « les Européens réfléchissaient sur deux scénarios :
un déploiement à Bangui pour sécuriser l’aéroport, quelques points névralgiques et les grands axes de la ville, nécessitant trois cent à cinq cent soldats — une façon de soulager le dispositif français et de le libérer pour sa mission ;
un deuxième scénario, plus ambitieux, était de sécuriser l’axe routier allant de Bangui au Cameroun, ce qui aurait nécessité l’envoi d’un millier d’hommes et de plus des moyens, des hélicoptès, des blindés. Finalement, l’accord a été trouvé sur une opération minimale ».
Génération de force Retour à la table des matières
Reste le plus dur : la « génération de force », avec une succession d’étapes. La première a donc été l’adoption, par les ministres, du « Concept de gestion de crises ». Une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies devra ensuite être votée, avec un mandat sans doute comparable à celui qui avait été attribué à la force française « Sangaris », c’est-à-dire sous chapitre VII, prévoyant l’usage de la force. Parallèlement, les diplomates, en liaison avec l’état-major de l’Union européenne, ont aussitôt planché sur ce qui sera la décision-cadre, fixant le profil militaire de l’opération, tandis qu’une équipe d’évaluation s’est envolée pour Bangui.
La Grèce a offert d’activer son quartier général international pour cette opération, ce qui a été accepté. Reste à désigner le plus vite possible un commandant de l’opération, avec mise en place de son état-major, et désignation d’un commandant de force (qui devrait revenir à un officier français, si la France est nation-cadre de l’opération — ce qui semble probable, compte tenu de son engagement actuel, de sa connaissance du terrain, etc.
Etape suivante : la définition et l’approbation, par le comité des chefs d’état-major de l’Union européenne, du « concept d’opération », (dit Conops), puis du plan d’opération (OpPlan). Parallèlement, il faudra que le gouvernement centrafricain invite officiellement par écrit l’Union européenne à intervenir, et signe un accord de protection des forces (Sofa).
Procédure accélérée ? Retour à la table des matières
C’est sur la base de ces documents que le conseil des ministres européens décidera (ou non) de lancer vraiment l’opération. Entretemps, plusieurs tours de table auront permis aux pays membres de l’Union de faire des propositions de participation : outre la France, la Grèce et l’Estonie — qui se sont déclarées volontaires dès le début du processus — on attend notamment de savoir ce que les Polonais, les Tchèques et les Belges sont prêts à engager. D’autres pays pourraient participer : Lettonie, Lituanie, Finlande, Pologne, Roumanie, Slovaquie, Suède, ainsi que l’Allemagne et le Portugal, mais pour de la logistique seulement.
La Belgique, qui appuie déjà « Sangaris » avec un C-130 de transport tactique, hésite à aller plus loin, pour des raisons budgétaires et de disponibilité de ses effectifs. Côté effectifs, on évoque également l’emploi d’une partie de la brigade franco-allemande, une unité qui souffre… de ne jamais être engagée. Mais qui a le désavantage d’être fort peu « tropicalisée ». Et qui ne pourra être engagée sans feu vert spécifique du Parlement de Berlin.
C’est la première opération directement militaire depuis EUFOR Tchad-RCA lancée en janvier 2008, dans la même région, pour laquelle le processus de « génération de force » s’était étalé sur près de six mois. Le lancement de l’opération de formation de l’armée malienne EUTM Mali, l’an dernier, avait pris de trois à quatre mois. En dépit de la décision de recourir, cette fois pour la Centrafrique, à une procédure rapide (« fast track »), il est probable que l’EUFOR RCA-Bangui n’atteindra pas sa capacité opérationnelle initiale (IOC) avant mars, et sa pleine capacité (FOC) avant l’été.
Monde-diplomatique.fr
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