Comment le Président Ouattara empêche la Côte d’Ivoire de bénéficier des retombées de la mondialisation
«Les hommes qui ont changé l’univers n’y sont jamais parvenus en gagnant des chefs; mais toujours en remuant des masses»
(Napoléon Bonaparte)
PRAO Yao Séraphin, délégué national à LIDER
En 1962, René Dumont écrivait que l’Afrique noire était mal partie. Les conditions du décollage économique n’étaient pas réunies. Les faits lui ont donné raison car le continent est toujours sous-développé et les médias se sont largement fait l’écho des maux qui minent le continent : les famines et les pandémies. Pour autant, il ne faut pas désespérer de l’Afrique car le continent est bien reparti. Depuis le début des années 2000 et son décollage économique, l’Afrique est désormais considérée « comme un espace plein d’opportunités économiques et non plus comme un espace ayant besoin d’aide », selon la formule de Shintaro Matoba, du Jetro, l’organisation japonaise du commerce extérieur.
L’Afrique enregistre aujourd’hui des taux de croissance économique parmi les plus fortes du monde. L’Afrique fera 6% de croissance en 2014, selon le FMI là où l’Europe se contentera de 1%. L’Afrique est devenue le centre d’intérêt des grands pays et surtout des pays asiatiques. C’est dans ce contexte que le premier ministre japonais Shinzo Abe a effectué la semaine dernière, une visite en Côte d’Ivoire. Le Japon, la Chine et l’Inde cherchent à pénétrer et approfondir le marché africain très stratégique. Ce regain d’intérêt pour l’Afrique et singulièrement la Côte d’Ivoire peut profiter aux populations si les gouvernants africains ne pérennisaient pas les monopoles. En tout cas, la Côte d’Ivoire ne profite pas de la mondialisation. Une des raisons réside dans la pratique des monopoles surtout depuis que le Président Ouattara est au pouvoir. Tel est l’objet de cette présente réflexion. Elle s’articule autour de quatre points essentiels. Il s’agira d’abord de faire l’état des lieux de la présence asiatique en Afrique et les motivations de cette présence. Ensuite, abordant le cas spécifique de la Côte d’Ivoire, on verra que le pays est convoité mais lié par des chaînes. Enfin, nous évoquons quelques erreurs à éviter dans cette nouvelle aventure africaine.
La présence asiatique en Afrique
Depuis 2008, la Chine est devenu le premier partenaire commercial du continent. Les échanges Chine-Afrique ont atteint 166 milliards $ en 2011, une hausse de 83% par rapport à 2009, avant d’effleurer les 200 milliards $ en 2012. Dès sa nomination, le président Xi Jinping, lors de sa tournée africaine, a annoncé le doublement à 20 milliards $ de ses crédits destinés au continent noir pour la période 2013-2015, une annonce faite en juillet 2012. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la Chine représente 13,5% des échanges commerciaux de ce continent.
De son côté, le Japon ne manque pas d’intérêt pour l’Afrique. Le premier ministre japonais Shinzo Abe a annoncé que son pays portera le cumul des investissements publics et privés en Afrique à 30 milliards $ d’ici 2018. Le Japon représente 2,7% des échanges commerciaux du continent africain. Le Japon a contribué à hauteur de 735 millions d’euros à l’intervention de l’armée française au mali. Pour répondre aux conflits et catastrophes en Afrique, le Japon prépare une aide d’environ 320 millions dollars soit 234 million d’euros, a annoncé le dirigeant japonais lors d’un discours au siège de l’Union africaine, la semaine dernière, dans la capitale éthiopienne Addis Abeba.
L’Inde s’intéresse également à l’Afrique. La conquête de l’Afrique par l’Inde, tend à prendre une tournure officielle : multiplication des ambassades et consulats dans les pays africains ; organisation de sommets et rencontres d’affaires. Et pour cause, de 2000 à 2011, les importations indiennes en provenance d’Afrique ont été multipliées par 8 passant de 4,1 Mds USD (2000) à 35,3 Mds USD (2011), selon les données UNCTAD ; et se concentrent essentiellement sur du pétrole brut, de l’or, de la noix de cajou, du cuivre, et d’autres minerais. L’Afrique est en retour un marché important pour l’Inde, elle y exporte notamment du textile, des produits pharmaceutiques, du riz, du pétrole raffiné et de l’automobile (notamment les motocyclettes).
Les capitaux asiatiques ont trouvé les parfaites plateformes de développement de leurs investissements africains, via les réseaux développés en Afrique subsaharienne par les principales enseignes marocaines. Les banques japonaises et chinoises prêtent des sommes colossales à leurs homologues marocaines pour le financement des projets impliquant des entreprises japonaises au Maroc et sur le reste du continent, ou encore des exportations de produits et services d’origine japonaise vers le continent.
Pourquoi les pays africains sont-ils tant convoités ?
Le géant Honda a mis sur pied une usine de production de deux-roues au Nigeria, alors qu’un projet semblable est prévu au Kenya. L’industrie automobile japonaise est fortement dépendante du continent noir où elle puise 85% du platine et 67% du manganèse nécessaires à la production des batteries made in Japan. D’autres entreprises se font une place qui grandit tranquillement sur le marché des matières premières, notamment dans l’industrie minière. Les terres africaines sont devenues des terres de conquêtes.
En prenant le cas de l’Inde, avec une croissance estimée à 5,3 % en 2013 (le taux le plus faible depuis 10 ans), 1,2 milliard d’habitants, des importations d’acier qui ne font que croître, 70 % de la consommation pétrolière du pays achetée à l’étranger, la machine économique indienne fait face à des besoins énergétiques colossaux. Le continent africain est riche au regard de son potentiel. L’Afrique détient 30% des réserves minérales de la planète. 80 % des ressources de la planète en coltan, qui sert à la fabrication des portables, 90% du platine, 50% du diamant, 40% de l’or. C’est la raison pour laquelle, certains observateurs traitent à propos de notre continent de « scandale géologique ». Entre 1990 et 2004, la production du continent africain a augmenté de 40%, passant de 7 à 10 millions de barils/jours et elle doit atteindre cette année 50%. Le continent assure 11% de la production pétrolière mondiale. Avec la Guinée, qui représente 30% des réserves mondiales de bauxite, tout juste derrière l’Australie, le continent ne manque pas d’aluminium.
Les Nations unies estiment, par exemple, qu’il y a plus de 800 millions d’hectares de terres cultivables inutilisées qui attendent leur révolution verte.
Sous le Président Ouattara, la Côte d’Ivoire est convoitée pour rien
Les indiens, les Chinois et les Japonais s’intéressent à la Côte d’Ivoire. Par exemple, pour le grand barrage hydro-électrique de Soubré, la banque chinoise Eximbank a proposé à la Côte d’Ivoire, un financement sur 25 ans, à un taux d’intérêt de 2 à 3% et en accordant un différé de remboursement de quatre à cinq ans. Olam-Ivoire est une réussite indienne en Côte d’Ivoire. Le pays pourrait donc bénéficier des retombées de la mondialisation s’il s’ouvre davantage aux autres pays que les partenaires habituels. La mondialisation c’est en réalité l’ouverture, la concurrence, les échanges libres, la liberté de mouvement et les opportunités. C’est bien le contraire du monopole de quelques multinationales.
En Afrique, il est souvent dit que les multinationales pillent les ressources du continent, sous-paient ses travailleurs et accaparent ses terres. Mais Selon James Bagwati, les multinationales payent un salaire moyen qui excède le salaire courant, en général de plus de 10% et parfois plus. L’argument de la course aux bas salaires ne tient pas, car si c’était le cas, l’Afrique aurait attiré l’essentiel des IDE. Si les pays africains ne bénéficient pas des effets positifs de la mondialisation c’est parce que le continent est sous-mondialisé. L’Afrique a une part insignifiante dans le commerce mondial (3,2% en 2011), et d’autre part elle draine peu d’IDE, soit 2%. Le taux de pénétration du mobile en Afrique atteint 37%, sachant qu’il culmine à environ 90% sur les marchés matures. En 2008, on compte 4,2 internautes pour 100 habitants en Afrique, contre 23 pour 100 habitants dans le monde.
Alors que la Côte d’Ivoire est convoitée, le Président Ouattara la maintient dans un « mariage forcé » avec ses amis occidentaux. Le Président Ouattara est ardent défenseur de la pratique des monopoles. Par exemple, la position monopolistique de Bolloré qui est néfaste à notre économie. En effet, après avoir obtenu, en 2004, la gestion du premier terminal à conteneurs du port d’Abidjan dans des conditions contestées, il a également décroché la gestion du deuxième terminal. Le groupe français va donc jouir d’un monopole, alors que l’appel d’offres visait à accroître la compétitivité du port d’Abidjan par le jeu de la concurrence.
C’est dans ces mêmes conditions que le groupe Louis Dreyfus a signé un accord avec le ministre de l’agriculture, Sangafowa Mamadou Coulibaly, autorisant la mise à disposition, par l’Etat ivoirien, de 100 000 hectares de terres au nord du pays (Korhogo, Ferkessédougou, Boundiali, Tengrela…). Outre un accroissement prévu de la production rizicole ivoirienne, ce projet permet au groupe international diversifié (négoce, transport maritime, immobilier) de distancier ses concurrents dans le pays (Mimran, Olam, Singapore Agritech, etc.).
C’est toujours dans des conditions opaques et au siège du MEDEF, en France, que le Président Ouattara a annoncé la privatisation des banques publiques ivoiriennes. C’est justement pour permettre à ses amis français de prendre le contrôle de ces banques en écartant les autres.
En tout cas, l’Américain Joseph Stiglitz, Nobel d’Économie, critiquait déjà l’actuel Président Ivoirien, alors premier ministre, d’avoir bradé des monopoles d’État à des compagnies françaises, en privatisant l’eau, l’électricité et la téléphonie, il y a 20 ans déjà de cela.
Le Président Ouattara n’aime pas l’ouverture. Tous les observateurs, de la Banque mondiale à l’Union européenne sont unanimes sur ce constat. L’inflation des marchés octroyés de gré à gré est devenue phénoménale. En 2012, ils représentaient 40 % du montant des contrats publics et ont même atteint 60 % au premier trimestre 2013. Dans une économie saine, cela ne dépasserait pas 10 % à 15 %.
Les erreurs à éviter par les pays africains
Parti de l’aide, de l’assistance et du développement, le Japon glisse résolument vers le commerce d’égal à égal avec l’Afrique. Un changement radical qui souligne l’importance nouvelle qu’accorde le pays au continent champion de la croissance. Avec ces rapports nouveaux, le continent peut atténuer sa dépendance envers ses partenaires traditionnels et s’ouvrir des horizons politiques inexplorés.
En 10 ans, la France a perdu la moitié de ses parts de marché en Afrique. La France recule de façon relative face à la Chine, à l’Inde, à la Turquie, au Brésil, à la Corée. Ce phénomène statistique est irréversible. En 1990, les importations africaines provenaient à 15% de la France, elles sont tombées à 5%. Elles venaient à 1% de la Chine, elles sont passées à 15%.
Face à cette nouvelle géopolitique, les Africains doivent être prudents. La Chine, par exemple, a une grande ambition sur les marchés des matières premières agricoles et le seul continent que le Chine peut « acheter » c’est l’Afrique car c’est le seul continent qui peut permettre à la Chine de se nourrir. Or, les Africains seront également très nombreux les années à venir et il va falloir les nourrir. En effet, la démographie galopante, ce n’est pas en Asie mais en Afrique. Si la Chine veut développer sa production alimentaire en Afrique, il va y avoir un télescopage avec les besoins africains. Un arbitrage intelligent s’impose. Les pays Africains doivent adopter une stratégie cohérente et coordonnée et une matrice d’actions visant à maîtriser davantage leurs interactions avec ses nouveaux partenaires.
Pour bénéficier des effets bénéfiques de la mondialisation, il faudra également des Etats démocratiques car il ne fait aucun doute que certaines multinationales peuvent souvent exercer une espèce de monopole, s’acoquiner avec un pouvoir corrompu – notamment dans le secteur de l’exploitation des hydrocarbures, et ne sont pas disposées à rendre leur activité transparente.
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