Les critiques reprochent à la Commission de la vérité ivoirienne de ne pas avoir réussi à réconcilier le pays après les conflits passés
ABIDJAN, 14 janvier 2014 (IRIN) – En Côte d’Ivoire, la Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR) a récemment conclu son mandat de deux ans en produisant un rapport sur les violations des droits de l’homme et les causes des conflits passés. Les observateurs l’ont cependant fustigée pour ne pas avoir réussi à atténuer les divisions. Selon eux, certaines conclusions du rapport étaient par ailleurs déjà bien connues.
Instaurée en septembre 2011, la CDVR était chargée d’enquêter sur les violations des droits de l’homme passées. Son champ d’application n’était cependant pas clairement défini. En novembre de l’année dernière, la commission a remis au président Alassane Ouattara son rapport sur les violations et les causes de la crise de dix ans qui a éclaté suite au coup d’État de 1999 et à la mutinerie de l’armée de 2002.
« Nous avons ouvert la voie aux efforts qui devraient garantir qu’un tel conflit ne se reproduise pas à l’avenir », a dit à IRIN Franck Ekra, conseiller du président de la CDVR, Charles Konan Banny. « Mais il est clair que le travail n’est pas fini. »
La commission a également permis d’établir un dialogue entre les partis politiques, a dit M. Ekra. Les relations sont tendues entre le Rassemblement des Républicains de M. Ouattara et le Front populaire ivoirien de l’ancien président Laurent Gbagbo, depuis le conflit électoral de 2010-2011 qui a fait plus de 3 000 morts.
La commission a également souligné des cas de violences et de violations des droits de l’homme et consulté environ 60 000 personnes, dont la majorité a dit préférer que la CDVR enquête sur les crises de 1990 à 2011 au lieu de se concentrer seulement sur le dernier conflit post-électoral, a dit M. Ekra.
Des enquêtes sur des crimes présumés et des audiences publiques restent cependant encore à mener et le président n’a pas encore indiqué s’il allait renouveler le mandat de la commission. Les analystes demandent un nouveau mandat et une révision de la structure de la commission, afin que celle-ci réponde davantage aux besoins des victimes du conflit.
Points prioritaires
Selon Rodrigue Koné, sociologue et administrateur de programme de Freedom House, un organisme de surveillance des droits de l’homme, le dialogue politique amorcé par la commission n’a donné aucun résultat concret. M. Koné estime que la commission n’aurait pas dû passer autant de temps à enquêter sur les causes structurelles du conflit.
« Les principales causes de la crise ont été identifiées et sont bien connues de tous depuis longtemps », a-t-il dit.
Les questions de nationalité et de conflit foncier pendant le ralentissement économique qui a touché le pays dans les années 1990 sont généralement citées par les analystes comme étant les principales causes de la crise qui a divisé cette nation ouest-africaine en deux pendant près de dix ans. Après la mutinerie de l’armée en 2002, les rebelles se sont emparés du nord du pays, tandis que le gouvernement de M. Gbagbo contrôlait le sud.
« La commission était sensée chercher la vérité, tenir des audiences et rédiger un rapport […] Ce qu’elle a fait en deux ans, elle aurait dû le faire pendant les six premiers mois qui ont suivi [sa] création », a dit Mohamed Suma, directeur du bureau du Centre international pour la justice transitionnelle en Côte d’Ivoire.
« La CDVR aurait dû se concentrer sur l’essentiel : chercher la vérité sur les faits qui se sont produits pendant la crise et apporter justice et réparation aux victimes, a dit M. Koné. Mais les victimes ont été oubliées. Elles n’ont jusqu’à présent pas été entendues dans le processus ».
« La commission n’a jamais reçu une seule victime. Pas un seul bureau n’a été ouvert pour les entendre », a dit à IRIN un observateur international spécialisé dans la justice qui a souhaité garder l’anonymat. « [La commission] a échoué en ne permettant pas aux gens de s’exprimer ».
Budget insuffisant
La commission s’est défendue en disant que son budget de 15 millions de dollars était insuffisant pour travailler concrètement sur le terrain.
« Voilà le noeud du problème. Nous n’avions pas les moyens financiers suffisants et les affectations budgétaires n’étaient pas flexibles », a dit M. Ekra.
Selon l’observateur international, le budget n’a pas été employé de manière efficiente. « Ils avaient le budget. Combien de voyages à l’étranger les fonctionnaires de la commission ont-ils effectués ? Le budget était serré, mais ils auraient pu l’utiliser à meilleur escient. »
Problème de direction
M. Banny, le président de la CDVR, était premier ministre pendant la présidence de M. Gbagbo et conseiller de M. Ouattara pendant la campagne présidentielle de 2010. Selon les rumeurs, il aurait des vues sur la fonction de chef de l’État et qu’il exercerait une certaine influence sur les travaux de la commission.
« La commission était sensée chercher la vérité, tenir des audiences et rédiger un rapport […] Ce qu’elle a fait en deux ans, elle aurait dû le faire pendant les six premiers mois qui ont suivi [sa] création » « La présidence de la commission n’aurait pas dû être occupée par quelqu’un ayant des ambitions politiques », a dit Christophe Kouamé, coordinateur de la Convention de la société civile ivoirienne.
« La commission souffre d’un sérieux problème de dysfonctionnement. Tout est centralisé autour de M. Banny, qui cherche à étendre son influence politique […] par le biais de l’institution », a dit M. Koné, de Freedom House. « M. Banny a utilisé la commission pour servir sa propre ambition politique. »
D’autres observateurs ont attiré l’attention sur le fait que la commission a été mise sur pied sans consultation ni implication généralisée des groupes de la société civile et des victimes et qu’elle a mené ses travaux sans collaborer avec les organisations de la société civile. M. Ekra, de la CDVR, a cependant rejeté cette accusation.
« Le président, M. Ouattara, a mis sur pied la CDVR juste après la crise pour faire preuve de bonne foi devant la communauté internationale », a dit Charles, un homme d’affaires d’Abidjan qui s’est présenté sous son seul prénom. « Le gouvernement n’a pas mis en place les conditions pour la réconciliation. »
Réconciliation
Malgré la promesse de M. Ouattara et du gouvernement de soutenir une justice équitable et impartiale, seuls des sympathisants de M. Gbagbo ont jusqu’à présent été inculpés par les tribunaux ivoiriens. La libération en août de l’année passée de 14 hauts fonctionnaires pro-Gbagbo, dont le fils de ce dernier, Michel, a d’ailleurs été jugée par de nombreux observateurs comme une étape nécessaire vers la réconciliation.
Depuis la création de la commission de la vérité sud-africaine à la fin de l’apartheid, d’autres pays africains sortant d’un conflit, dont le Kenya et la Sierra Leone, ont mis en place de tels organes. Leurs résultats ont cependant été remis en question.
Le rôle de la commission de réconciliation ivoirienne a aggravé les tensions entre le camp de M. Ouattara et celui de M. Gbagbo. « L’opposition ne reconnaît toujours pas le gouvernement en place et le parti au pouvoir n’utilise pas le processus de réconciliation pour réunifier le pays », a dit M. Koné. « La situation politique en Côte d’Ivoire reste très complexe. Cela montre que la crise n’est pas terminée. »
La Côte d’Ivoire manque également d’une figure nationale charismatique inspirant le respect des hommes politiques de tous bords et pouvant favoriser la réconciliation dans le pays, a dit M. Kouamé
« Le principal héritage de Nelson Mandela est la capacité à vivre ensemble. Les hommes politiques ivoiriens n’ont pas compris cela. Le parti au pouvoir, comme le précédent, pense pouvoir reconstruire le pays tout seul », a-t-il dit. Selon lui, le mandat de la CDVR devrait être renouvelé à condition que celle-ci soit autonome financièrement et que son président soit politiquement neutre.
om/ob/rz-ld/amz
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