Ces révélations qui interpellent
Par Saint Tra-Bi SAINT-TRA BI Source: Fraternité Matin
Qui a spolié qui ? Y a – t – il vraiment expropriations ? Notre correspondant régional a enquêté.
Pour comprendre les prétendues expropriations dont seraient victimes, selon des Ong de défense des droits de l’homme, les réfugiés ivoiriens encore au Liberia, il faut remonter à 2002, début de la grave crise que le pays a connue. En effet, d’après des autorités de l’époque, plusieurs milliers de planteurs allogènes et allochtones, assimilés parfois aux assaillants et aux rebelles, ont déserté leurs plantations à cause des exactions des supplétifs – miliciens et mercenaires libériens proches des Forces de défense et de sécurité (Fds) qui avaient pris le dessus sur les hommes de feu Félix Doh, du Mouvement populaire du grand ouest (Mpigo). Des autochtones se sont à ce moment-là mis à exploiter les plantations de leurs protégés désormais absents et avec qui, ils vivaient en parfaite harmonie avant la guerre. En dépit du cessez-le-feu et des accords de paix signés plus tard, certains n’ont jamais voulu rétrocéder leurs champs à leurs protégés, eu égard aux énormes profits qu’ils en tiraient. Selon le sous-préfet de Blolequin, Koffi Kan Claude, le ministre de la Réconciliation de l’époque, Danon Djédjé, s’était rendu dans la région pour réconcilier les différentes parties en 2007. Après cette médiation, il avait été décidé en 2008, que dans la zone de forêt classée de Goin- Debe, les 2/3 des champs occupés reviendraient aux vrais propriétaires et le reste à l’occupant illégal ; et qu’en forêt villageoise, 1/3 reviendrait au vrai propriétaire tandis que l’occupant illégal garderait les 2/3. Malgré ce compromis qui a provoqué des grincements de dents chez les allogènes et allochtones, au dire des autorités administratives, beaucoup n’ont pas retrouvé leurs champs dans les villages de Beoué, Zeaglo et Diboké, dans le département de Blolequin. Restés loin (certains étaient logés dans un camp de réfugiés à Guiglo, au quartier Nicla, et d’autres étaient retournés dans leur région d’origine), ils ont ruminé leur colère, se jurant de venir reprendre leurs biens tôt ou tard. Après l’élection de 2010, la guerre a fait rage dans la région et des dizaines de milliers de personnes, pour la plupart des autochtones, se sont enfouies vers le Liberia. En leur absence, le pouvoir a changé de main. Les allogènes et allochtones qui avaient vu leurs plantations confisquées après 2002, sont alors revenus en masse pour les récupérer. La nouvelle du retour des vrais propriétaires est, bien sûr, parvenue jusqu’aux réfugiés au Liberia. Ces derniers font alors croire que leurs champs sont occupés par des étrangers, sans toutefois donner les vraies explications.
C’est le cas de Konan Koffi, planteur à Diboke, dans la sous-préfecture.
Selon lui, ses tuteurs ont occupé ses plantations pendant 8 ans. Il souligne qu’il a retrouvé ses champs après la chute du régime des refondateurs. « Nous souhaitons que les Ong viennent nous écouter», souligne-t-il.
Un autre phénomène qui a vu le jour dans la zone, est lui aussi souvent confondu avec une occupation de force : c’est la vente des terres appartenant aux personnes encore réfugiées au Liberia. Le cas de dame Zao Thérèse, qui a vendu les plantations de tous ses voisins encore au Liberia à plusieurs personnes, illustre bien ce phénomène. Le sous-préfet de Bloléquin s’est déplacé sur les parcelles litigieuses pour mieux comprendre la situation. Dame Zao Thérèse a été confondue et les plaignants, des ex-réfugiés, ont retrouvé leurs champs. A Doke, dans le même département, c’est la même chose : plusieurs familles se regardent en chiens de faïence. Le cas des familles Gbahibahon, Goho et Gbao est plus que révélateur d’un phénomène qui risque d’embraser la région. Toutes trois accusent la famille Konflandi du même village d’avoir vendu leur parcelle de 7km2 alors qu’elles étaient réfugiées au Liberia. Elles ont découvert avec stupéfaction, à leur retour d’exil, que leurs terres avaient été bradées à des inconnus. Qui ont rasé leurs plantations de café, cacao et palmier à huile… pour en créer de nouvelles. Les responsables de ces impairs font des allées et venues entre la Côte d’Ivoire et le Liberia et font croire à leurs parents réfugiés que la paix n’est pas encore de retour. « Si vous rentrez, vous serez arrêtés et jetés en prison», leur disent ils.
Ainsi, l’expropriation massive évoquée ici et là est un moyen pour ceux qui ont cédé les terres de leurs parents ou voisins – les acquéreurs étant des ressortissants des pays voisins ou d’autres régions du pays – de cacher leurs délits…
SAINT-TRA BI
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Koffi Yao Kan (sous-préfet de Blolequin): « il n’y a pas d’occupation de force de plantations des exilés »
Certaines Ong ont récemment parlé d’expropriation de terre. Qu’en est-il exactement ?
Je voudrais affirmer qu’il n’y a pas d’expropriation de parcelles ici.
Qu’en est-il des plantations des exilés qui seraient occupées par des inconnus ?
Il n’y a pas d’occupation de force de plantations comme certains le font croire. Si une terre est occupée par quelqu’un, c’est que ce dernier a été installé par un membre de la famille.
Avez-vous déjà réglé ce type de conflit ?
Aujourd’hui, nous pouvons évaluer le nombre de conflits réglés depuis juillet 2011 à plus de 1300. Plus de 80% des plaintes sont portées par des personnes qui rentrent du Liberia. Automatiquement, quand la personne vient porter plainte à la sous-préfecture, nous engageons la procédure. Nous envoyons des agents sur le terrain. Mais quand la situation ne semble pas évoluer, mes collaborateurs et moi partons sur le terrain pour voir de quoi il s’agit. Plus de 99% des cas se soldent par des issues heureuses et l’individu retrouve son patrimoine. La plus grande plaie dans la zone, c’est la non délimitation des parcelles villageoises, parcelles individuelles et familiales. Donc, il est très facile pour un individu de dépasser les limites.
Que comptez-vous faire pour mettre en confiance les exilés ?
J’ai demandé, lors de ma récente tournée, aux personnes qui se sont installées sur des terres ou qui ont étendu leurs parcelles, de revenir à la situation initiale d’avant 2011. Quant aux exilés, tant qu’ils ne sont pas rentrés au pays, on ne peut pas savoir si quelqu’un occupe leurs parcelles. Plusieurs personnes peuvent en témoigner. Tous les exilés qui sont venus porter plainte à la sous-préfecture quant à une éventuelle occupation, ont eu une suite favorable. J’appelle tous les exilés à rentrer pour la reconstruction du pays. La paix est de retour, la sécurité est une réalité. Le Président l’a dit, le pays les attend. J’ai été au Liberia à trois reprises. Je compte m’y rendre encore pour rétablir la vérité, parce que des gens passent leur temps à mentir aux exilés sur la situation du pays.
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez?
Les difficultés rencontrées dans le règlement des litiges fonciers à Bloléquin sont de plusieurs ordres. Il y a l’absence des témoins et des voisins qui sont encore réfugiés au Liberia. Sans témoignage de voisinage, on ne peut pas savoir quelles sont les limites parce qu’on parle généralement de dépassement de limites. Il faut ajouter l’absence de moyens : nous parcourons souvent 10 à 15 km en pleine brousse. Nous avons besoin d’engins capables d’atteindre ces lieux reculés. Nous avons des difficultés de matériel pour faire les procès-verbaux, parce qu’avec le retour massif des exilés, grâce aux efforts du Président de la République, les conflits vont exploser. Quand les exilés rentrent, 80% viennent à la sous-préfecture pour porter plainte. Ils n’aiment pas se plaindre au chef de village, parce qu’ils jugent le chef partial dans le règlement. Dans la plupart des cas, cela est vérifié.
Avez-vous rencontré des cas similaires ?
Un chef ayant vendu tout le patrimoine de son frère réfugié au Liberia, a dit à ce dernier: « Vous êtes sur une liste. Si vous rentrez, vous serez arrêté». La désinformation fait que des gens ne peuvent pas venir. Et cela est inacceptable.
Quelle sanction lui avez vous infligé ?
Il a été démis de ses fonctions. C’est le chef du village de Zilebly. Il faisait partie des vendeurs de forêts. Tous les chefs qui se retrouvent dans cette situation sont mis de côté. Le chef de Diboke, pour vente de forêt classée, a aussi été démis. C’est un appel à tous les chefs de bien faire leur travail pour l’amélioration de la situation.
INTERVIEW RÉALISÉE PAR
SAINT-TRA BI
CORRESPONDANT RÉGIONAL
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