Côte d’Ivoire – une émergence hypothétique et décrétée (études)

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Il n’y a pas d’émergence sans l’économie de la connaissance et de l’immatériel

 

«L’éducation est au centre de toutes les stratégies de construction de l’avenir. C’est un enjeu mondial, un des grands défis du troisième millénaire».
(Joël de Rosnay)

PRAO Yao Séraphin, délégué national au système monétaire et financier à LIDER

L’objectif affiché des autorités ivoiriennes est de faire de leur pays une puissance émergente en 2020. C’est-à-dire un pays dont les statistiques macro-économiques permettront de dire qu’il n’est plus en voie de développement. La Côte d’Ivoire n’est d’ailleurs pas le seul pays africain à vouloir être émergent. La notion d’émergence est devenue un concept utilisé par tous les dirigeants africains pour donner espoir à leurs populations. Les gouvernants africains habitués aux grands discours parfois creux, ont trouvé un nouveau concept pour endormir leurs peuples pendant qu’ils dilapident les deniers publics. Le miracle n’existant pas en économie, il est difficile de croire à une émergence hypothétique et décrétée. C’est là, le drame des africains : vouloir passer à l’action sans concevoir un plan et se donner les moyens. Lors de son discours le 27 Juillet 2007, à Dakar, l’ex-Président Français, Nicolas Sarkosy disait que « drame de l’Afrique » vient du fait que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire. […] Le problème de l’Afrique, c’est qu’elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu de l’enfance. […] Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine ni pour l’idée de progrès ». Les pays africains regorgent d’énormes ressources naturelles, minières et minérales et comptent sur ces ressources pour atteindre l’émergence. Ils comptent sur les revenus tirés de l’exportation des matières premières pour construire des milliers de kilomètres de routes, des ponts, des échangeurs routiers, de nouveaux aéroports internationaux, etc. Ce qu’ils ont oublié c’est qu’aux temps présents, la matière première nécessaire au développement reste la matière grise. L’économie des idées, le capital intangible et l’innovation sont devenus des facteurs indispensables pour le développement d’un pays. L’objet de cette réflexion est justement de rappeler aux décideurs africains qu’il est illusoire de chercher à atteindre l’émergence sans considérer l’importance de l’économie de la connaissance. Cette réflexion s’articule autour de quatre axes. Il s’agit dans un premier temps de définir quelques concepts importants pour la compréhension de ce thème. Dans un second temps, il sera question d’insister sur La place croissante des actifs immatériels dans la création de valeur par les entreprises. Dans un troisième temps, nous discuterons de la place du capital intangible dans les économies développées et en Afrique. Enfin, dans un quatrième temps, nous aborderons les perspectives pour les pays africains.

I. Contexte historique et définitions des concepts

Au lendemain de la seconde guerre mondiale et jusque dans les années 1980, la croissance économique dépendait essentiellement des ressources disponibles en capital technique, en matières premières, en sources d’énergie et en main-d’œuvre.
De nos jours, en dehors de ces facteurs, désormais c’est la connaissance, les savoirs engagés au sein des systèmes productifs, financiers, commerciaux qui donnent des avantages comparatifs aux entreprises, aux pays. Autrement dit, la capacité des agents à innover, à produire des idées et des concepts nouveaux est devenue, dans de nombreux secteurs, la source principale du dynamisme économique.
Dans une acception large, l’innovation peut être assimilée à tout changement introduit dans l’économie par un agent quelconque et qui se traduit par une utilisation plus efficace des ressources. Il ne faut pas faire de confusion entre l’innovation et la connaissance. Cette dernière est le fait de connaître, d’avoir des compétences dans un domaine. La connaissance se distingue de l’information car elle présuppose une capacité d’apprentissage. Elle est composée non seulement d’informations à caractère public mais aussi de savoir-faire et de compétences qui sont incorporés dans les individus et les organisations et qui ne peuvent pas facilement être isolés de leur environnement.

II. La place croissante des actifs immatériels dans la création de valeur par les entreprises

En 2006, en France, une enquête du SESSI (Service des études et des statistiques industrielles) portant sur l’économie française a montré qu’à cette date, la moitié des entreprises est concernée par une initiative dans le domaine de l’économie de l’immatériel.
Aux Etats-Unis, le capital intangible a pris le pas sur le capital tangible depuis 1948.
Tableau 1 : Evolution du poids du stock de capital intangible aux Etats-Unis de 1948 à 1990 (en milliards de dollars).

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Si le capital intangible est devenu essentiel dans la croissance actuelle des économies modernes, alors on peut s’interroger sur les fondements de l’économie de l’immatériel.
Premièrement, les techniques de l’information et de la communication (TIC).
Les TIC ont un grand rôle dans l’économie. D’abord, les TIC favorisent le recentrage des entreprises sur le cœur de leurs activités ; Les réseaux télématiques offrent un gain de productivité et de compétitivité à travers la modification du système de management des entreprises. Ensuite, la distance entre l’entreprise et consommateurs s’estompe. Au plan de l’aménagement du territoire, la localisation des entreprises et des populations dans les zones fragiles (enclavement, déshéritement naturel, marginalisation due à l’éloignement par rapport aux capitales).
Enfin, internet permet de réduire les coûts de transaction des entreprises ;
Une étude dénommée la « croissance de demain », de la Documentation française, de 2006, apprend qu’entre 1995 et 2000, les TIC ont contribué au tiers de croissance du PIB des Etats-Unis, au quart de la croissance du PIB de la France et de plus de 60% des gains de productivité dans les principales économies développées.
Deuxièmement, le rôle central des innovations. L’innovation rend l’économie efficace. Elle permet de repousser la frontière technologique.
Troisièmement, la tertiairisation de l’économie. Les économies développées sont devenues des économies de services. Plus de 70% de la population active des pays de l’OCDE est occupée dans le secteur des services. C’est la globalisation et la désintégration verticale du processus productif.

III. La place du capital intangible dans les économies développées et en Afrique

► Dans le domaine de la recherche
En 2006, l’effort de la puissance publique dans le domaine de la recherche fondamentale représentait environ 280 dollars par habitant en France ; 250 dollars par habitant aux Etats-Unis. En Côte d’Ivoire, nous sommes en retard.
Tableau 2 : % des dépenses de RD dans le PIB, en 2004.

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De ce tableau, il ressort que les pays qui consacrent le plus de moyens à l’enseignement supérieur sont les Etats-Unis, la Suède, le Danemark et la Finlande. La France consacre 1,1% du PIB à l’enseignement supérieur contre 1,7% en Finlande et 1,5 % au Danemark et en Suède, pays qui ont opté pour un financement public.

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La Côte d’Ivoire ne consacre que 0,0125% de son PIB (produit intérieur brut) à la recherche. Le Burkina consacre 0,21% de son PIB et le Gabon 0,64%.
A l’université de Cocody, qui compte plus de 1500 chercheurs, il y a, en moyenne 30 à 40 voyages d’études par an. C’est très peu pour une université moderne.

► Dans le domaine de la santé
Les dépenses de santé en pourcentage du PIB en France, en 2010, est de 11,6%. Aux USA ce taux est de 16%. En 2010, un français a dépensé pour sa santé 390 fois plus qu’un Erythréen. Les dépenses de santé dans le monde se sont chiffrées à environ 5321 milliards de dollars en 1999, ce qui représente 18% de l’ensemble des dépenses mondiales. En Côte d’Ivoire, sur la période 1996-2005, ce taux n’a jamais dépassé 6%.

►L’Afrique est en retard dans l’exportation de produits de haute technologie
Tableau 1 : Analyse comparée de quelques agrégats macroéconomiques de six pays (données moyennes sur la période 1990-2007)

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L’exportation de produits de hautes technologies (en % de produits manufacturés exportés) est très élevée au Brésil, en Chine et en Inde mais très faible en Côte d’Ivoire (4%). On ne devient pas émergent avec des produits traditionnels issus d’un système productif traditionnel.

IV. Les perspectives pour les pays africains

Si le Brésil fait aujourd’hui partie des pays émergents, c’est parce que les dirigeants n’ont pas décrété l’émergence mais ils ont plutôt créé les conditions de cette émergence. Le pays a adopté la loi sur l’innovation. Cette loi met en évidence l’intérêt qu’accorde le gouvernement à la science et la technologie en tant que moteur de la croissance et du développement Brésilien.
Les pays africains peuvent réussir à l’instar des pays émergents. Les équipes de chercheurs compétents existent mais manquent de moyens. Les africains ont un attrait pour les technologies innovantes et disposent des talents multiples en matière de créativité (design, mode, musique etc.).

Les droits de propriété peuvent encourager l’innovation. Les brevets jouent un rôle protecteur et la propriété intellectuelle est protégée. Au niveau mondial, on a l’organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), créée en 1970.
L’Etat doit jouer un rôle important dans la promotion de l’économie des idées. Il doit améliorer l’égalité des chances. L’économie de la connaissance et de l’immatériel réclame une population active qualifiée et professionnellement mobile. Les pouvoirs publics doivent donc veiller à ce que la reproduction sociale ne tiennent pas à distance des fruits de l’économie de la connaissance les jeunes issus des milieux socialement défavorisés et, d’une manière générale, l’ensemble des populations victimes de discriminations.
Adapter la fiscalité. En effet, les actifs immatériels, de par leur nature intangible, se prêtent particulièrement bien à la délocalisation. De ce fait, les entreprises concernées mettent au point des stratégies de délocalisation fondées sur l’optimisation fiscale ou sociale qui favorisent les places où la fiscalité est relativement plus avantageuses pour les investisseurs étrangers et, tout particulièrement, celles où la fiscalité sur les bénéfices est faible.
Les TIC ont également un rôle important à jouer. Une enquête du cabinet Ernst &Young révèle, par exemple, qu’en 2008 les TIC ont représenté 6 % du PIB de la Côte d’Ivoire avec un chiffre d’affaires d’environ 700 milliards de FCFA (1.06 milliards d’euros). Mais la plupart des pays africains affichent un taux d’accès aux services TIC extrêmement faible, comparativement au reste du monde. Ainsi, si l’on considère l’indice NRI (Networked Readiness index) élaboré par le Forum Economique Mondial et l’INSEAD, qui mesure le degré de préparation d’un pays à tirer parti des TIC efficacement, les pays d’Afrique se classent mal. Selon l’édition 2009-2010 de ce rapport, la Tunisie est en tête de la trentaine de pays africains pris en compte. La Côte d’Ivoire était classée 103ème.
Les pays africains doivent investir dans les TIC car les tarifs de l’accès à Internet en Afrique subsaharienne sont les plus coûteux au monde : selon l’UIT, le coût d’une connexion haut débit y est en moyenne, d’environ 100 $ pour 110 kilobits/seconde contre moins de 30$ en Afrique du Nord et moins de 20$ dans le reste du monde.

Conclusion

Il est établi aujourd’hui qu’il est impossible d’avoir une croissance de qualité sans l’économie de l’immatériel. L’économiste Joseph Allois Schumpeter avait avancé l’idée selon laquelle l’innovation constituait le moteur de toute évolution. Les pays africains disposent d’énormes matières premières mais ce qui manque cruellement aux Africains, c’est l’organisation et l’innovation. Il leur faut investir dans le capital humain afin de mettre en route de nouveaux procédés leur permettant d’accéder au développement. Il est temps d’accorder un intérêt particulier à l’éducation car c’est à l’école, que se prépare l’avenir de la Nation. L’école instruit le citoyen, capable de penser par lui-même et d’assumer sa liberté. Certes, l’école est un service organique de la République mais cette dernière a besoin de savants, de techniciens et de cadres. L’école doit donc assurer la sélection des meilleurs par la promotion de tous. L’élitisme républicain, qui repose sur une exigence collective et sur l’effort individuel, est le meilleur levier pour assurer l’égalité des chances. Le laxisme scolaire enferme les plus défavorisés sur le plan culturel et social et permet la reproduction héréditaire des élites. C’est l’objectif inverse qu’il faut viser pour les Africains. Il est clair qu’une société qui refuse de réfléchir finira par disparaître un jour. Au lieu de s’enfermer dans nos certitudes, nous devons nous Africains remettre le compteur à zéro et penser à nouveau car depuis les indépendances rien n’a changé dans les structures de base de nos économies. Méditons donc sur cette pensée de Confucius qui constatait il y a déjà bien longtemps : « l’ennemi de la connaissance n’est pas l’ignorance mais le fait que l’on croit savoir »

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