La Fondation Mo Ibrahim a réalisé un sondage, dont les résultats non encore publics, ont été dévoilés par la presse ivoirienne (Le Nouveau Courrier). Voici mon décryptage.
En regardant les intentions de vote, je remarque que fondamentalement, l’orientation politique de la société ivoirienne n’a pas beaucoup évolué, depuis le 11 avril 2011. Jugez-en par vous-mêmes. Au premier tour de la présidentielle de 2010, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI d’Henri Konan Bédié) est arrivé en troisième position. Il maintient son rang, avec 12% d’intention de vote.
Le Front populaire ivoirien (FPI de Laurent Gbagbo) vient certes en deuxième position (18%), après le Rassemblement des républicains (RDR d’Alassane Ouattara), mais rappelons-nous que son fondateur n’était pas allé à la compétition d’octobre-novembre 2010, sous la bannière du FPI, mais sous les couleurs de L(ex)-Majorité présidentielle (LMP, regroupement de plusieurs partis et mouvements pro-Gbagbo, dont le FPI). Je pense donc que la deuxième position qu’occupe le FPI reflète la réalité. Cependant, le pourcentage global du camp Gbagbo pourrait être amélioré avec le taux attribué à « ceux qui ont refusé de répondre » (10%). Je suppose et c’est un jugement subjectif, que de nombreux sondés qui ont refusé de répondre sont plus des proches de Laurent Gbagbo que des militants du RDR (qui eux, se sont clairement exprimés, ne craignant aucune espèce de représailles) ou du PDCI (du moins la branche non favorable à l’alliance avec le RDR, mais qui n’ose pas s’exprimer, pour diverses raisons). Ces sondés qui ont refusé de répondre, ne sont pas forcément des militants du FPI, ils sont, je pense, dans leur majorité (pas tous en tout cas), sympathisants de LMP.
Escadrons de la mort et dozos
De fait, ceux qui ont refusé de répondre, auraient davantage peur de représailles, peu importe que ce sentiment soit justifié ou non. Cela rappelle justement les sondages sous Laurent Gbagbo. Quand je disais à des responsables du gouvernement d’alors, d’être mesurés dans leur triomphalisme, ils me traitaient de rabat-joie. Mon analyse n’était pourtant pas fausse : hier avec les escadrons de la mort bien réels (même si certains esprits négationnistes veulent le masquer aujourd’hui), certains Ivoiriens sondés au téléphone, n’osaient pas répondre qu’ils voteraient pour l’opposition d’alors. On est un peu dans le même schéma aujourd’hui. En effet, la peur des représailles a changé de camp avec les actions nocives des dozos et de certains anciens combattants des ex-Forces nouvelles, assimilés aux Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI).
Cette peur amène des sondés proches de l’opposition, à ne pas se prononcer clairement en faveur du FPI. Bref, si l’on considère qu’une bonne partie de ceux qui ne se prononcent pas sont des supporteurs de Laurent Gbagbo, le FPI, du moins, le camp Gbagbo s’élargirait pour passer devant le RDR.
La surprise (qui n’en est pas une en réalité) vient du RDR qui obtient 21% des intentions de vote, devant le FPI et le PDCI. Il était venu, pourtant en deuxième position, lors de la présidentielle de 2010. Cela s’explique tout simplement par le fait que le parti a renforcé sa position et son influence, grâce au pouvoir d’Etat.
Remake de la présidentielle de 2010
Dans l’ensemble, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) formé ici par les deux têtes de pont que sont le RDR et le PDCI, reste la première force politique du pays (33%). Ceci est conforme aux résultats du second tour de la présidentielle de 2010.
Le taux d’abstention, c’est-à-dire ceux qui «ne voteraient pas» (12%) et le nombre de personnes indécises (17%) correspond bien à la cartographie électorale de la présidentielle passée.
Avec 3% de sondés qui répondent que «Cela dépend du candidat et de leurs projets», on voit bien que les Ivoiriens, comme en 2010, restent « carrés » dans leur soutien politique, aux trois plus importants partis politiques du pays. Ils sont très peu, ceux qui regardent au projet de société. Ce n’est pas pour demain la fin du vote mécanique…
Quant aux autres partis politiques (ici désignés « Autres »), ceux qu’on appelle les petits partis, leur influence est marginale (7%), même si elle est reste non négligeable.
En conclusion: la morphologie politique de la Côte d’Ivoire n’a pas beaucoup changé depuis trois ans. Et toutes choses étant égales par ailleurs (ceteris paribus), si une élection présidentielle devrait avoir lieu actuellement, avec les mêmes acteurs qu’il y a trois ans, on assisterait sans surprises, à un remake de la présidentielle de 2010.
André Silver Konan
Journaliste-écrivain
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