La domination française en Afrique passe par le Franc cfa

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Prao Yao Séraphin, délégué national au système monétaire et financier à LIDER

Le mot monnaie vient du mot latin « moneta » c’est-à-dire « celle qui avertit ». C’est en effet dans le temple de la déesse Junon (désignée par Juno moneta) sur le Capitole à Rome que furent frappées les pièces célébrant la victoire de Rome sur le roi d’Epire en 275 avant J.C. Il n’y a donc pas de lien logique entre cette appellation latine de « moneta » et la signification de cet élément que nous appelons monnaie. En effet, la monnaie n’est pas si simple à définir à tel point que la majorité des économistes se borne à l’appréhender par ses fonctions. Mais lorsqu’on découvre la nature profonde de la monnaie, on s’aperçoit qu’elle n’est pas banale, elle fonde une communauté de destin et libère un peuple. C’est donc dans sa dimension essentielle que le débat sur le Franc CFA trouve toute sa signification.
De plus en plus, l’arrimage du Franc CFA à l’euro et les fondements même de la Zone CFA sont durement critiqués. Non seulement le Franc CFA a une histoire singulière puisqu’il a été créé par le Général de Gaulle le 25 décembre 1945 selon l’article 3 du décret 45-01 36, avec la publication du texte dans le journal officiel français le 26 décembre de la même année, mais il ne parvient pas à sortir les pays membres du sous-développement.

Lorsqu’on jette un regard sur l’évolution de la Zone Franc depuis la signature des accords de coopération monétaires, dans les années 1970, entre les 15 Etats africains (huit en Afrique de l’ouest, six en Afrique centrale et les Comores) et l’ancienne métropole, la France, il ressort de façon indiscutable que le Franc CFA est une arnaque monétaire.

Cette présente réflexion a pour ambition de présenter la Zone Franc comme une zone de domination française. Nous présenterons d’abord les principes fondamentaux de la coopération monétaire ; Ensuite la domination française en Zone Franc ; Et enfin la nécessité de faire disparaître le Franc CFA au profit d’une nouvelle monnaie purement africaine.

Les principes fondamentaux de la coopération monétaire

Les principes fondamentaux de la Zone Franc sont au nombre de quatre :
a) La fixité des parités avec la monnaie d’ancrage : la parité des monnaies de la zone avec l’euro est fixe et définie pour chaque sous-zone. Les monnaies de la zone sont convertibles entre elles, à des parités fixes, sans limitation de montants.
b) La garantie de convertibilité illimitée du Trésor français : la convertibilité des monnaies émises par les différents instituts d’émission de la Zone Franc est garantie sans limite par le Trésor français.
c) La libre transférabilité : les transferts sont, en principe, libres à l’intérieur de la Zone. À l’intérieur de chaque sous-zone, et entre chaque sous-zone et la France, les transferts de capitaux sont en principe libres.
d) La centralisation des réserves de change : elle apparaît à deux niveaux puisque les États centralisent leurs réserves de change dans chacune des deux Banques centrales tandis qu’en contrepartie de la convertibilité illimitée garantie par la France, les banques centrales africaines sont tenues de déposer, auprès du Trésor français sur le compte d’opérations ouvert au nom de chacune d’elles, une fraction de leurs réserves de change (50 % pour les avoirs extérieurs nets de la BCEAO et 60% jusqu’au 30 juin 2008, 55 % jusqu’au 30 juin 2009 et ensuite 50% pour la BEAC). Depuis 1975, ces avoirs bénéficient d’une garantie de change vis-à-vis du DTS.

Un accord de coopération monétaire qui pérennise la domination française

La France domine et isole les pays de la Zone Franc. La Zone Franc est née de la volonté initiale d’isoler l’empire colonial du marché international et de créer un espace préférentiel après la crise de 1929. Elle a été institutionnalisée le 9 septembre 1939, lorsque dans le cadre de mesures liées à la déclaration de guerre, un décret instaura une législation commune des changes pour l’ensemble des territoires appartenant à l’empire colonial français. La zone Franc, en tant que zone monétaire caractérisée par une liberté des changes, est formellement créée.

Cette domination française est très perceptible lorsqu’on lit le Professeur Mamadou KOULIBALY, pour qui, « la Zone Franc est une union de coopération monétaire dont les leviers de contrôle se situent à Paris où priment les intérêts de la France. Les Etats satellites, membres de cette zone, sont des pays d’Afrique occidentale et centrale. La logique qui sous-tend le fonctionnement de cette zone rappelle la manière dont les Etats de l’Europe de l’Est étaient liés à l’ex-Union soviétique par le biais du Pacte de Varsovie à l’époque de la Guerre froide ».

Un accord qui favorise l’extraversion des économies africaines. A titre d’exemple, au sein de l’UEMOA, l’uranium représente 50% des exportations du Niger, le cacao 33% des exportations de la Côte d’Ivoire ou le phosphate 25% des exportations du Togo. Comparés aux pays hors Zone Franc, les pays de la Zone Franc ont peu diversifié leurs exportations. La part des produits primaires dans les exportations est restée autour de 90%. La balance commerciale des pays de la Zone Franc est souvent lourdement déséquilibrée en faveur de la France : en 1998, le déficit s’élevait à 387 millions de franc français pour la Côte d’Ivoire, 540 millions pour le Gabon et 935 millions pour le Cameroun, pour ne citer que le cas de quelques pays riches de la Zone Franc. L’appartenance à la Zone Franc a privilégié l’assimilation d’une élite au modèle occidental ; elle a favorisé l’extraversion des économies.

Les exportations de la zone UEMOA en direction de cette même zone représentent 12% et 10% pour les importations. Les avantages présentés aux Africains sont quant à eux des plus artificiels : outre l’attrait des investissements directs à l’étranger (IDE), le Franc CFA est censé épargner les risques de change avec la zone euro et donc faciliter l’accès au marché unique européen. En théorie, les entreprises des pays de l’Euroland, peuvent profiter de la liberté de transfert en vigueur dans la zone euroafricaine, pour s’implanter dans la zone. Dans les faits, le Franc CFA encourage l’intégration économique avec la puissance de tutelle, et, dans une moindre mesure, avec le reste du monde. Après des dizaines d’années de coopération en vue de l’intégration des économies membres, la Zone Franc regroupe encore des pays très hétérogènes et qui n’ont pas les mêmes chances, qui ne disposent pas tous des mêmes ressources, qui ne sont pas tous également sensibles aux mêmes chocs.

La France préserve ses marchés captifs. En 1950, l’empire colonial représentait plus de 40% du commerce extérieur français. Les préférences impériales conduisaient à des positions de quasi-monopole des firmes françaises dans le prolongement de l’ancien pacte colonial. Le système colonial, expression d’un capitalisme archaïque, était une forme particulière d’articulation d’un capital marchand, appuyé par l’Administration coloniale, et de systèmes de production dits traditionnels ou « indigènes ». Ce qui est certain, c’est que les relations privilégiées entre la métropole et ses colonies reproduisaient en partie l’ancien pacte colonial (monopole de pavillon, polarisation des flux sur la métropole, protection des marchés, surprix à l’importation et à l’exportation). Le dispositif de la Zone Franc, conservateur dans son essence, entretient en Afrique l’ossature des États et leur survie dans un système économique et social figé. Si l’ancrage de la Zone Franc à l’euro doit en principe entraîner l’intensification des échanges entre les deux zones, il ne profite qu’à la France et aux Européens.

Le Franc CFA doit disparaître au profit d’une monnaie purement africaine

La souveraineté des pays de la Zone Franc est largement devenue sans que l’on s’en rende compte, une vaste illusion. N’ayant absolument pas le contrôle de la création monétaire et l’illusion de l’accès à ses avoirs en devises, ces Etats ne sont que des Etats fantoches, corroborés par des représentants pantins, et une capacité législative limitée et sous la domination des décisions françaises.

Benjamin Franklin, devant des membres du gouvernement anglais, en 1750 affirmait : « Je crois que les institutions bancaires sont plus dangereuse pour nos libertés qu’une armée debout. Celui qui contrôle l’argent de la nation contrôle la nation ». Il en découle qu’en dernier ressort, c’est la France qui contrôle les économies africaines par le canal du Franc CFA. On retrouve cette même idée chez Mayer Amshel Rothschild lorsqu’il écrit : « Donnez-moi le contrôle de la monnaie d’une nation, et je me moque de qui fait ses lois ».

En réalité, il revient au parlement de définir les conditions d’émission de la monnaie et de sa politique, cette dernière confiée à la Banque centrale. Or, Les banques centrales de la Zone Franc ne sont pas dirigées par les africains mais par les français. Ces banques centrales ne sont que de gigantesques institutions bureaucratiques qui ne décident pas des politiques monétaires. Elles sont là pour faire croire aux pays de la Zone Franc qu’ils sont maîtres de leur destinée. Cette domination française est visible avec la présence des français dans le conseil d’administration des banques centrales. Selon l’Article 52 du statut de la BCEAO, la politique monétaire est confiée au Conseil d’Administration. Or, l’on sait que depuis les réformes de 1972-1973, les pouvoirs des Conseils d’Administration se sont accrus en matière de distribution des crédits consentis aux États et les crédits accordés à l’économie à moyen et long terme. Le Conseil d’Administration détermine les conditions d’intervention de la Banque en matière monétaire. Finalement, Paris se charge de dicter aux pays de la Zone Franc, les politiques à adopter. Avec ces accords de coopération, la France a pris des mesures pour s’assurer qu’elle conserverait toutes ses prérogatives coloniales après avoir accordé « l’indépendance » aux pays africains.

Si les pays africains recouvrent leur souveraineté monétaire, ils pourront alors reconstruire leurs économies sur des bases nouvelles.

Le régime de change devra changer. Cette parité fixe est défavorable à la compétitivité des économies de la Zone Franc. De 1985 à 1993, les performances économiques des PAZF sont moins bonnes à cause de la surévaluation du Franc CFA due, en partie, à la baisse du dollar par rapport au franc français. La politique du franc français fort, longtemps poursuivie en France, a entraîné une appréciation du franc français (FF) par rapport au dollar pour la période 1985-1992. Le dollar sert de monnaie de facturation pour de nombreux partenaires commerciaux des PAZF. Dans ce contexte, cela affecte négativement la compétitivité de ces pays au niveau de leurs exportations qui coûteront plus cher en devises pour l’étranger. Parallèlement, leurs importations coûteront moins cher. Ceci incitera à importer davantage. En fin de compte, la balance commerciale sera négativement affectée. Le système de change de la Zone Franc est à l’origine de la perpétuation du déséquilibre dans les pays périphériques.
Un régime de change flexible pour nous aider à amortir les chocs extérieurs. Lorsqu’on compare les taux de croissance du PIB des pays africains de la Zone Franc et des pays hors Zone Franc, il apparait que les années 60 et 70 sont marquées par des résultats supérieurs pour les pays de la zone franc (5% contre 4,4%) alors qu’il y a inversion au cours de la décennie 80, plus précisément entre 1985 et 1991(1% contre 3,7%), sur l’ensemble des trois décennies, les résultats sont, en revanche, comparables.

La fin du mimétisme monétaire permettra au secteur bancaire et financier d’apporter les ressources nécessaires pour le financement des économies africaines. En effet, les Pays africains de la Zone Franc sont obligés de pratiquer la même politique que les Européens au regard de leurs arrangements monétaires. Or, chaque continent ou pays a son histoire monétaire ; ce qui influence d’ailleurs sa politique monétaire. Dépourvus de politique monétaire autonome, les pays de l’Afrique de l’Ouest ont un système bancaire peu proactif dans le financement de l’économie. La faiblesse des crédits à l’économie est frappante en Zone Franc en général : 9% du PIB dans la CEMAC, 17% dans l’UEMOA. Ce taux est de 35% du PIB au Brésil, 37% en Inde, 65% en Tunisie et 120% en Chine. Le crédit bancaire ne facilite pas la formation du capital car il finance plutôt les affaires commerciales et d’import-export.

Conclusion

Selon le rapport du PNUD (2007,2008), l’indice de développement humain (2005), pour les Pays Africains de la Zone Franc (PAZF) est égal à 0,468 (moyenne) contre 0,493 (moyenne) pour l’Afrique subsaharienne. Pensé en termes d’institution, le Franc CFA n’a pas impacter positivement le développement des PAZF. Ces pays demeurent en général marqués par des structures peu favorables à la croissance : manques d’infrastructures, marchés rudimentaires, secteurs industriels ébauchés, faiblesse de l’environnement institutionnel, mauvaise gestion des secteurs publics et privés. Dans ces économies, les logiques distributives l’emportent sur les logiques productives. Dans l’ensemble, le secteur « moderne » est à haute ou moyenne intensité capitalistique ; il est souvent en situation de marché protégé. Beaucoup d’entreprises se sont développées dans un climat protectionniste.

La seule décision à prendre pour les PAZF, c’est de sortir de cette colonisation monétaire et repartir à zéro. Comme le rappelle fort bien, le professeur Jean Cartelier : « la monnaie renvoie au prince et plus généralement à une organisation politique de la société […] La monnaie est inséparable d’un ordre ou d’un pouvoir. A tout système monétaire est assignée une limite, qui est celle de l’acceptation des moyens de paiement. L’aire d’extension du système de paiement se confond avec celle de la souveraineté de l’institution qui émet la monnaie légale. Monnaie et souveraineté sont donc étroitement liées ».

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