Sud-Soudan: pourquoi la guerre reprend dans le plus jeune Etat d’Afrique

Le président du Soudan du Sud accueilli en grande pompe à Pékin en 2012 (Alexander F. Yuan/AP/SIPA)
Le président du Soudan du Sud accueilli en grande pompe à Pékin en 2012 (Alexander F. Yuan/AP/SIPA)

Pierre Haski | Cofondateur Rue89

Le tout nouvel Etat du Soudan du Sud, né le 9 juillet 2011 après une longue guerre avec le Nord, est au bord de la guerre civile, avec déjà des centaines de morts, des dizaines de milliers de réfugiés, et un engrenage de la violence que personne ne semble pouvoir stopper. Comment en est-on arrivé là ?

Regardez la carte ci-contre, elle explique déjà beaucoup de choses.

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Avec ses 11 millions d’habitants sur un territoire plus grand que la France, le Soudan du Sud est au cœur de l’Afrique, voisin de la République centrafricaine, elle-même en proie à une déstabilisation violente qui a justifié l’envoi de troupes françaises pour éviter le pire.

Ce centre du continent, enclavé, a été façonné par des découpages coloniaux arbitraires et irrationnels, laissant des peuples à l’écart des grandes infrastructures, de l’éducation, des foyers de modernité qui transforment aujourd’hui le visage de l’Afrique.

Histoire complexe

C’est le fruit d’une longue histoire, de guerres sans fin faisant 1,5 million de morts et 4 millions de réfugiés et déplacés, de clivages ethniques et religieux mal maîtrisés, de luttes pour le contrôle des ressources et du pouvoir.

Qui mieux que « Le Dessous des cartes », l’excellente émission d’Arte, pouvait résumer clairement une histoire aussi complexe ?

Avril 2012

Mais après l’indépendance inespérée de juillet 2011, qui semblait mettre les frontières étatiques plus en adéquation avec les grands clivages ethnico-culturels (arabo-musulmans au nord, africains animistes et chrétiens au sud), le danger semblait surtout venir de nouvelles tensions avec le Nord, qui vit toujours mal la perte d’une partie des ressources pétrolières du Sud.

Pourtant, la crise actuelle, qui menace d’emporter le nouvel Etat dans une spirale de violence sans fin, vient de l’intérieur. Comme si la naissance d’un Etat n’avait pas suffi à donner cohérence et espoir à des peuples qui ne se vivent pas liés par un destin commun.

Divisions anciennes

Casie Copeland, chercheuse à l’International Crisis Group, un think tank basé à Bruxelles, l’explique au Monde.fr:

«Au cours de la dernière année, la tension est montée entre les camps du président Salva Kiir et de son ancien vice-président Riek Machar. Il y a eu le limogeage [en juillet 2013, ndlr] de Riek Machar et du cabinet, qui ont accusé Salva Kiir de “ tendances dictatoriales ”. Le Président a retardé la tenue du congrès du parti, le Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM). Cette lutte pour le contrôle de l’Etat et le pouvoir tient à des différences de vues, de styles de gouvernance. Le rapprochement du président Kiir avec son homologue soudanais est mal vu au Soudan du Sud. Il y a aussi un enjeu économique : le Soudan du Sud est un Etat riche. La compagnie BP estime que le pays a les plus grandes réserves de pétrole brut d’Afrique de l’Est. Tenir l’Etat revient à mettre la main sur ces réserves. Au sein de l’Armée de libération, les divisions sont anciennes entre les groupes qui le composaient depuis 1983, à l’éclatement de la seconde guerre civile, et ceux qui les ont combattus avant de les rejoindre. Le processus d’inclusion de ces derniers groupes n’a pas vraiment été achevé. Or ces divisions recoupent la fracture ethnique. »

Cette fracture ethnique oppose les Dinkas, la plus grande communauté du Soudan du Sud, dont est issu le président Salva Kiir, et les Nuers, l’ethnie de Riek Machar, aujourd’hui en fuite après ce que le pouvoir de Juba a qualifié de « coup d’Etat manqué ».

Riek Machar est proche de l’ «armée blanche», un groupe armé dissident historique de la SPLA, issu de l’ethnie nuer, ainsi nommé en raison de la poudre blanchâtre dont les combattants se couvrent le corps pour se protéger des moustiques.

L’« armée blanche », formée à l’origine pour protéger les éleveurs nuers contre l’insécurité, s’est opposée à la SPLA avant d’être écrasée. De nombreuses informations font état de sa reconstitution dans la période de troubles actuelle.

La malédiction du pétrole

Une partie des combats des derniers jours ont eu lieu autour des installations pétrolières, selon les témoignages des techniciens étrangers arrivés à Juba, la capitale, pour être rapatriés dans leur pays d’origine. Les partisans de l’ancien vice-président Machar affirment contrôler ces installations, ce que dément le camp présidentiel.

Le pétrole, comme toujours, attise les convoitises. Les exploitations pétrolières sont situées à la lisière entre les deux Soudan, avec 80% des réserves côté Sud, mais l’exploitation largement tournée vers le nord, notamment pour l’évacuation par pipeline vers Port Soudan, sur la mer rouge.

Déjà dans les années 80, Total, la compagnie française, qui dispose des droits sur une partie des réserves pétrolières soudanaises, avait dû se retirer du pays après des prises d’otages et des attaques de ses installations. Elle détient toujours ses droits d’exploitation.

Mais le retrait de Total a laissé le champs libre aux Chinois du géant CNPC, devenu principal opérateur pétrolier au Soudan, initialement avec l’accord de Khartoum.

Aujourd’hui, le Soudan du Sud est courtisé par Pékin, qui cherche par tous les moyens à s’assurer un approvisionnement stable en matières premières, en particulier pétrolières, et a fait de l’Afrique sa « nouvelle frontière » économique et diplomatique.

Les Etats-Unis ne sont pas très loin non plus, qui ont parrainé politiquement la naissance du Soudan du Sud, y compris avec des stars comme George Clooney !

Equation à trop d’inconnues

Divisions ethniques, appât du gain pétrolier, rivalités stratégiques, voisinage difficile, et communauté internationale active (6 000 casques bleus, nombreuses ONG, médiateurs africains et internationaux…) mais guère efficace… L’équation du Soudan du Sud est potentiellement catastrophique.

Je m’étais rendu à Juba en 1985, alors que la chute du dictateur Gaafar el Nimeiry à Khartoum laissait espérer la fin du long conflit du Sud. Pour qui venait de Khartoum, et de sa chaleur sèche, l’arrivée à Juba, qui suintait l’humidité, était un choc.

La ville était encerclée par les troupes de la SPLA de John Garang (mort par la suite dans un accident d’hélicoptère en 2005) et semblait figée hors du temps. Les habitants de Juba vivaient au jour le jour, sans pouvoir bâtir ou se projeter dans l’avenir. L’indépendance de 2011 devait leur ouvrir cette possibilité.

Près de trois décennies plus tard, la guerre fait toujours partie de la vie des Sud-Soudanais, après plusieurs générations qui ont grandi sans avoir connu de paix réelle et durable. Ce serait une tragédie que ce pays à peine né replonge dans des luttes fratricides : qui peut aujourd’hui stopper l’engrenage de la guerre civile ?

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