Par Cyril Bensimon (Bangui, envoyé spécial)
François Hollande au cœur du chaos centrafricain
LE MONDE.fr
Des soldats français à Bangui lors du début du désarmement des milices. Un soldat de l’ex-Séléka est contrôlé lors de l’opération « Sangaris » dans la zone du PK-12 (point kilométrique 12), dans le nord de Bangui.
Reportage. François Hollande devait arriver dans la soirée du mardi 10 décembre à Bangui. Une visite surprise, exceptionnelle pour un chef de l’Etat au tout début d’une opération militaire. La nuit précédente, l’opération « Sangaris » a connu ses premières pertes. Deux soldats français du 8e RPIMA ont été tués ans dans un accrochage avec des éléments de l’ex-Séléka alors que des opérations de ratissage étaient menées dans le quartier de Yangato. Dans la journée, des militaires français avaient échangé des tirs non loin de là.
Lundi matin, tout semblait avoir pourtant bien commencé. A l’ombre d’un manguier, des officiers de l’ex-Séléka prenaient le temps de boire le thé, de raconter comment ils ont repoussé une attaque sur Bangui, jeudi ; pourquoi ils sont entrés en rébellion, éludant bien sûr les crimes commis. Il y avait là le colonel Bichara, un ancien vendeur de chaussures du marché central de la capitale centrafricaine, lassé d’une vie de citoyen de seconde classe, le général Yaya Escout, emprisonné deux ans sous l’ancien régime de François Bozizé – déposé au mois de mars – qu’il avait contribué à installer en 2003. Il y avait aussi Hussein, un ancien travailleur humanitaire, qui disait vouloir poursuivre une carrière militaire faute d’opportunité.
Le processus de retour dans les casernes semblait alors suivre son cours. Selon le décompte des officiers, déjà 2 017 hommes et femmes avaient rejoint le camp Béal, l’un des quatre sites de cantonnement de la capitale. Avec un petit sourire en coin, un colonel admettait tout de même avoir conservé ses véhicules à son domicile.
«TOUS CES GENS TOUT AUTOUR VEULENT NOUS TUER»
A la mi-journée, l’ambiance est beaucoup moins détendue dans le quartier « Combattant ». Une bourrasque soulève des nuages de poussière rouge. Des soldats français sont en position de tir à l’entrée d’une ruelle après un échange de coups de feu avec d’ex-rebelles de la Séléka. « La maison là-bas, c’est celle du général Moussa Ali », indique Le Grand, venu observer la scène. A quelques mètres de là, un homme est blessé au ventre. Des riverains fuient, les mains en l’air.
Dans le quartier « Combattant » à Bangui.
Puis un pick-up vert arrive avec quatre passagers. « Coupe le moteur », ordonne un soldat français. « L’arme, c’est pour notre sécurité. Nous avons un ordre de mission du ministère des eaux et forets », répond le plus excité des passagers, en chemise rose et lunettes noires. « Mon père vient d’être tué par les “anti-Balaka” . Ils ont lancé une grenade chez lui. Tous ces gens tout autour veulent nous tuer, escortez-nous et prenez l’arme », demande le conducteur à un soldat français. L’AK 47 est finalement saisie sans ménagement.
Toute la foule, excédée par les actes des ex-Séléka, applaudit. Insulte les ennemis. Crie vengeance. A quelques mètres de là, un homme et son fils viennent d’échapper au lynchage, accusés à tort ou à raison d’être des ex-Séléka. Le dos de l’adolescent est profondément entaillé. Les Français les emmènent. Leur survie en dépend. Dans la ruelle, Aimé-Césaire, quelques points de sutures sur le crâne, raconte avoir été frappé deux jours plus tôt. « Ils m’ont dit, c’est vous les voisins qui pointaient nos maisons aux Français pour dire où sont cachées nos armes. Tout à l’heure, les Séléka nous ont tiré dessus parce qu’on applaudissait les Français ».
Derrière lui, quelques habitants à peine sortis de leur maison demandent à ce que « le désarmement aille jusqu’au bout ». Lorsqu’un groupe d’hommes en colère remonte vers eux, la débandade est immédiate. « Ne partez pas », intime Chérif, leur chef. « Après le désarmement, dès que les Français sont partis, les jeunes du quartier ont lapidé et jeté une grenade dans cette villa. Un papa et deux autres hommes ont été tués, note-t-il. La responsabilité des morts et des blessés incombe à la France. »
Lire le reportage : Centrafrique : doutes sur l’objectif de la France
EN CINQ JOURS, LE BILAN EST TERRIFIANT
Un peu plus loin, sur l’avenue des Martyrs, des coups de feu éclatent. Les parachutistes français ont levé leur position et tout le monde fuit à la vue de pick-up qui déboulent. Puis, quelques minutes plus tard, commence le pillage des boutiques de commerçants musulmans. Ces derniers se font justice à coups de machette, de couteau de boucher. Les militaires des forces africaines et françaises n’interviennent pas. Quatre cents mètres plus loin, dix hommes sont placés genoux à terre, les poignets ligotés. « L’un d’entre eux a été dans le contact de ce matin, on a reconnu le blessé », affirme l’un des éléments des forces spéciales après qu’une grenade eut été trouvée dans leur voiture. Les ceintures de fétiches sont jetées sur la chaussée détrempée.
Après le travail de renseignement des derniers jours, l’armée française entre dans le cœur du sujet. Une grande opération de police dans une ville de près d’un million d’habitants où les risques de dérapages sont immenses. Les véhicules, les maisons, les boutiques sont fouillés. Parfois sans ménagement. On y retrouve des armes de guerre, des machettes, des couteaux…
Des soldats français dans les rues de Bangui en Centrafrique, le 6 décembre.
Dans le quartier de Ben Zvi, un homme présenté comme un ex-Séléka est lynché à mort. D’autres victimes chrétiennes et musulmanes sont signalées dans différentes parties de la capitale. La Croix-Rouge dit avoir ramassé six corps dans la journée. En cinq jours, le bilan est terrifiant. Au moins 465 tués, selon le décompte de l’organisation. Des tranchées sont creusées pour les enterrer.
Au Camp Béal, l’ambiance détendue de la matinée est oubliée. Les hommes à peine débarqués des camions militaires de la Fomac, la force composée de soldats d’Afrique centrale, manifestent leur colère. « Des anti-Balaka avec des jeunes du quartier ont tué ma mère et mes deux cousins », témoigne Saladin, à peine sorti de l’adolescence. Certains accusent les militaires de l’armée française de leur avoir volé leur argent. D’autres leurs papiers, leur téléphone. Les combattants de l’ex-Séléka, qui occupent de facto le rôle de nouvelle armée centrafricaine, sont en ébullition. Leurs généraux aussi.
« ON NOUS MÈNE VERS UNE CATASTROPHE, À UN RWANDA »
Une réunion en urgence est convoquée au Camp de Roux, le QG du pouvoir. Face à tout son état-major qui entend vouloir mener la chasse aux anti-Balaka et aux militaires qui les appuient, Michel Djotodia s’adresse aux diplomates, et en premier lieu au nouvel ambassadeur de France, Charles Malinas, assis à sa droite. « L’heure est grave. On nous mène vers une catastrophe, à un Rwanda… On ne peut pas continuer comme ça. Moi-même j’ai perdu des proches parents. Il y a 8 personnes tuées. Il faut protéger la minorité. Si vous n’êtes pas capable, nous foutons le camp au nord avec nos femmes, nos enfants. Si nous ne sommes plus Centrafricains, dites-le nous… Maintenant, combattez ceux qui nous ont attaqués et on verra après. » Il poursuit : « Si on ne veut pas que je sois au pouvoir, dites-le et je vais démissionner. On fait nos bagages. »
La réponse de l’ambassadeur de France est succincte. « Il faut interdire deux cycles : la vengeance et la division religieuse… La France soutient le processus de transition et vous êtes chargés de le conduire. Aucun doute à cela. » C’était avant la mort des deux soldats français et l’annonce de la venue en urgence de François Hollande.
Cyril Bensimon
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