(Photo) Le premier ministre ivoirien, Daniel Kablan Duncan (au centre) en janvier 2013 lors d’une visite sur un chantier du pont Henri Konan Bedie à Abidjan, conduit par le groupe français Bouygues.
A entendre les discours et les rapports officiels publiés la semaine dernière à Paris, l’Afrique est la prochaine terre de Cocagne. N’est-elle pas promise à devenir la nouvelle « usine du monde » puisque «ses coûts unitaires de main d’œuvre sont trois fois moindres que ceux de la Chine», comme l’explique Cyrille Nkontchou, fondateur du fonds sud-africain Enko Capital ?
N’a-t-elle pas balayé devant sa porte, comme l’exprime Sunil Benimadhu, patron de la Bourse de Maurice et président de l’Association des vingt-trois Bourses de valeurs africaines (Asea), qui déclare avec fierté : « nous avons fait de grands progrès en matière de transparence. »
Pour autant, ces perspectives alléchantes n’attirent pas, par exemple, les investisseurs français à la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) d’Abidjan, créée en 1996.
Cette place est en croissance rapide, soit +22 % depuis le début de l’année, mais toute petite avec ses 13 milliards de dollars de capitalisation à côté des 1 000 milliards de dollars du mastodonte Johannesbourg.
La frilosité française y est d’autant plus surprenante que la communauté de droit et de langue devrait au contraire susciter la confiance dans ce pays en pleine renaissance. Elle résume les réticences des investisseurs hexagonaux à parier sur l’Afrique en général.
Un seul fonds hexagonal – HMG Finance – y est présent, alors qu’une vingtaine de fonds britanniques y traquent les « pépites » des huit pays membres de l’Union économique et monétaire de l’ouest africain (UEMOA) -Bénin Burkina Faso, Guinée-Bissau, Côte d’Ivoire, Mali, Niger, Sénégal et Togo – pour acheter leurs actions prometteuses.
LES «PÉPITES» D’ABIDJAN
Les dites «pépites» ne manquent pas parmi les 37 sociétés cotées sur la place ivoirienne. Uniwax (confection), la valeur la plus performante de la place au premier semestre, a vu son cours progresser de 240,30 %. Sa dauphine, Movis (logistique) s’est appréciée de 175 %, devant Ecobank en progrès de 100 %, toujours en six mois.
Pour finir, citons la championne toutes catégories, Sonatel (télécommunications), qui a réalisé la prouesse de faire progresser la valeur de son action de 1 000 % depuis son introduction en octobre 1998, tout en versant à ses actionnaires un dividende de 10 % par an.
Il faut d’ailleurs noter que le dividende versé par ces sociétés équivaut fréquemment à 10 % du capital, alors qu’il est inférieur à 2 % en Europe ou aux Etats-Unis. Quant aux emprunts obligataires, ils rapportent plus de 6 % à Abidjan contre 2,5 % à Paris.
Etonnante au vu de ce palmarès, la frilosité française a plusieurs causes. «Elle tient d’abord au sentiment, très répandu en France, que les affaires en Afrique dépendent des Etats et qu’il faut les laisser se débrouiller entre eux, explique Gabriel Fal, président de la Bourse abidjanaise. Il y a aussi la croyance que notre continent est incapable d’assurer un environnement porteur et sûr pour l’investissement financier et on ne cherche pas vraiment à comprendre en quoi cet environnement s’est considérablement amélioré. »
Pourtant, l’Afrique recherche ces investissements qui apporteront aux chefs d’entreprises africains les moyens de leurs projets et qui persuaderont les épargnants locaux que les actions sont de meilleurs placements que l’immobilier ou les produits de taux.
FLUX FINANCIERS INSUFFISANTS
Désormais, comme en Europe, des agences de notation apprécient la fiabilité des sociétés cotées. Les Bourses diffusent des analyses sur les caractéristiques de leurs différentes valeurs (capitalisation totale de 1 300 milliards de dollars, soit l’équivalent du produit brut de l’Afrique subsaharienne).
Elles le font aussi sur les composantes macroéconomiques, financières, monétaires, voire politiques, afin de rassurer les investisseurs sur les perspectives de développement d’un pays ou d’une région. Histoire d’empêcher les fantasmes d’étendre les troubles de Bangui, du Caire ou de Gao à la totalité du continent.
Les flux financiers vers l’Afrique sont de quatre sortes : les envois des émigrés, les investissements directs étrangers, l’aide publique au développent et les investissements de portefeuille.
Ces apports financiers extérieurs ont atteint 186,3 milliards de dollars en 2012, contre 158,3 milliards en 2011, selon AfricanEconomicOutlook.org, qui souligne qu’ils ont quadruplé depuis 2001. Ils devraient augmenter de 9,5 % en 2013, pour atteindre 203, 9 milliards de dollars.
A l’heure actuelle, leur somme ne répond toutefois pas aux besoins du continent qui sont évalués, par exemple dans le seul domaine des infrastructures (électricité, routes, ports, chemins de fer) à 70 milliards de dollars par an par la Banque africaine de développement.
Le compte y est d’autant moins que l’aide publique est en baisse sous l’effet des crises budgétaires et financières, en Amérique comme en Europe.
«L’aide est conditionnelle et elle est appelée à s’éteindre un jour, souligne Gabriel Fal. Nous lui préférons les partenariats que nous proposons aux investisseurs et qui permettront à ceux-ci de gagner de l’argent en accompagnant notre dynamisme. »
Les gestionnaires de fonds français saisiront-ils l’occasion des alliances public-privé et des projets Nord-Sud que réclame une Afrique en bien meilleure forme qu’on ne le croit sur les rives de la Seine ?
Alain Faujas
Journaliste au Monde
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