Texte proposé par Dr PRAO YAO SERAPHIN, délégué national au système monétaire et financier à LIDER
Celui pour qui le pouvoir était devenu un supplice de tantale a fini par s’asseoir dans le fauteuil présidentiel. Les ivoiriens ne jalousent pas son fauteuil sauf qu’ils ne comprennent pas son incapacité à diriger correctement le pays. Sur tous les plans, le Président Ouattara étale ses carences : la réconciliation est en panne sèche et la lutte contre la pauvreté est le cadet de ses soucis. Que dire donc de la lutte contre la corruption. Comme si celui qui cherchait désespérément le pouvoir ne savait pas quoi en faire. Il pilote à vue l’économie ivoirienne. Et pourtant on ne gère pas un pays dans l’urgence mais avec une vision claire. Il est communément accepté que l’urgence ne nie pas le temps. Elle le surcharge d’exigences inscrites dans la seule immédiateté. Elle exprimerait à la fois un besoin d’action dans des sociétés gagnées par les contraintes réelles et symboliques de l’immédiateté, et l’extrême difficulté à arrimer cette démarche à un projet. C’est pourquoi, faute de penser l’avenir, l’urgence contribue à le détruire. C’est ainsi que le Président Ouattara gère la Côte d’Ivoire depuis deux ans et demi. Cette façon de gérer le pays présente des insuffisances. Il serait impossible d’énumérer dans ces lignes, les insuffisances du régime actuel et pourtant nous devons nous atteler à cet exercice. Il s’agira ici pour nous de présenter les points saillants révélant l’incapacité du Président Ouattara à donner un cap à notre pays.
I. Une gestion au jour le jour des affaires de l’Etat
Le Président Ouattara gère le pays comme une banque centrale qui intervient au jour le jour, en fonction des besoins de liquidités, pour alimenter ou dessécher le marché monétaire. Certes, le Président Ouattara a, par le passé été le gouverneur de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) mais la Côte d’Ivoire n’est pas une banque centrale.
Dès sa prise de fonction, il a proposé une reconstruction du pays envisagée, dans le cadre du Programme Présidentiel d’Urgence (PPU) d’un montant de 45 milliards de francs CFA. Le PPU porte sur cinq secteurs prioritaires : l’eau potable, la santé, l’éducation, l’électricité et la salubrité urbaine.
Dans une première approximation, cette initiative reste louable car réparer dans l’urgence une partie de ce que les forces nouvelles (FN) ont endommagé durant la période de rébellion, a une vertu réparatrice.
Dans une seconde approximation, il est aujourd’hui injustifié que le PPU dure dans le temps. D’un montant initial de 45 milliards FCFA en 2011, le budget du PPU est passé à 60 milliards FCFA, puis à 80,5 milliards FCFA en 2012. En 2013, il est monté à 125 milliards FCFA. En 2014, ce seront au minimum 135 milliards FCFA que le Président Ouattara a promis décaisser pour le PPU.
Non seulement la pérennisation du PPU révèle le manque de vision du Président mais aussi, il pose gravement un problème de gouvernance et d’éthique gouvernementale. Pourquoi payer chaque fin de mois des conseillers de ministres alors que d’autres travaillent dans le cadre du PPU pour les mêmes objectifs ? C’est à croire que le Président Ouattara n’a pas de programme si ce n’est un programme d’urgence.
Un autre exemple du pilotage à vue du Président et son gouvernement reste son appel constant au marché financier régional pour régler des dettes antérieures. En effet, le Trésor public de Côte d’Ivoire (TPCI) a procédé, le 30 novembre 2013, au paiement des intérêts semestriels et au remboursement total du capital de son emprunt obligataire dénommé TPCI 6,25% 2010-2013 pour un montant global de plus de 66 milliards FCFA (environ 132 millions de dollars). Mais pour régler cette dette, l’Etat de Côte d’Ivoire a lancé sur le marché financier de l’UEMOA, un emprunt obligataire par appel public à l’épargne dénommé « TPCI 6,30% 2013 – 2018 » d’un montant indicatif de 91 milliards de francs CFA. Cet emprunt est rémunéré au taux d’intérêt de 6,30% l’an sur une durée de 6 ans, net d’impôt pour les résidents de Côte d’Ivoire.
Avec le Président Ouattara, le pays se gère à la hâte et au jour le jour.
On peut légitimement se demander si l’ère de l’urgence n’est pas annonciatrice d’une problématique temporelle nouvelle, où le présent serait désormais coupé de l’avenir, en raison de l’érosion de l’idée de progrès et de l’extrême difficulté à penser l’avenir sur le mode de la promesse qui est, comme l’a montré Arendt, une modalité d’agrandissement du réel. Or, c’est précisément à une démarche radicalement différente qu’obéit l’urgence.
II. Une incapacité à mener des reformes structurelles
Un pays se construit avec des idées et une vision. Or sans des reformes structurelles, une vision reste purement théorique. L’ambition de développer un pays doit aller de pair avec une modification profonde des structures de l’économie. Sur ce plan, le Président Ouattara n’a pas de solutions.
Au niveau des infrastructures. Avec un taux d’accès à l’eau potable estimé à un peu plus de 60 %, atteindre la cible de 80 % d’ici à 2015 nécessiterait à la fois une gestion efficace des ressources en eau faiblement exploitées et un renforcement des infrastructures. Le principal objectif que le pays s’est fixé était de ramener l’incidence de la pauvreté de 48.9 % en 2008 à 33.6 % en 2013 pour tomber à 16.0 % à l’horizon 2015. Les dépenses en faveur des pauvres sont passées de 7.8 % du PIB en 2010 à 10.0 % en 2011 et 7.9 % en 2012.
Pour combler les déficits dans l’infrastructure, la Côte d’Ivoire devra dépenser 2,4 milliards de dollars EU par an pendant la prochaine décennie. On observe que l’accès à l’électricité est relativement limité ; d’après la compagnie nationale, seuls quelque 20 % des ménages sont raccordés au réseau électrique, bien que les enquêtes auprès des ménages suggèrent que le nombre réel pourrait être sensiblement plus élevé.
Ici encore, au lieu de s’endetter auprès des chinois à hauteur de 239 milliards de FCFA pour le barrage de Soubré, sur une durée de 20 ans, le gouvernement pouvait penser aux énergies renouvelables et surtout à l’énergie solaire.
Au niveau de la protection sociale. La protection sociale en Côte d’Ivoire est dans une précarité confortable. A l’exception de l’aide humanitaire ponctuelle, le pays ne dispose pas encore d’un système de protection sociale élargie couvrant les populations contre les risques. La protection sociale se limite au régime de sécurité sociale bénéficiant à une minorité d’employés du secteur formel et leurs ayants droit, et à quelques programmes à faible contribution comme les cantines scolaires ou les aides ciblées aux enfants en situation de vulnérabilité.
Les ratios de dépendance sont très élevés en Côte d’Ivoire. 93, 2 % en 1975, 100,9% en 1988, 88, 3% en 1998, 72,7% en 2009 et 80% en 2011. En 2003, le taux de dépendance était de 142 personnes inactives pour 100 personnes actives. Le ratio de dépendance démographique est le ratio des personnes inactives de moins de 15 ans et de plus de 64 ans par rapport à la population en âge de travailler, les personnes âgées de 15 à 64 ans. Ce ratio représente la proportion des personnes inactives par rapport à 100 personnes en âge de travailler. Début 2010, le taux de couverture sociale de la population active de la Côte d’Ivoire, était d’environ 15%. Selon M. N’Doumi, «8% seulement des employeurs cotisent à la CNPS pour leurs employés». C’est donc dire que près de 92% d’employeurs pratiquant « l’évasion sociale ». Cette faible couverture sociale est en partie, le reflet de la structure du système productif ivoirien marqué par un secteur agricole dominant et un poids important de l’emploi informel. En plus le système de retraite par répartition n’est plus adapté aux nouveaux défis démographiques.
Le système actuel des pensions a gardé les principales caractéristiques du modèle colonial, et est de nature « bismarkienne » : il est contributif, obligatoire, centré sur les salariés. Dans ces conditions, une part importante de la population active ne cotise pas en vue de la retraite et se trouve exclue de tout système de protection.
Le système de retraite par capitalisation se présente comme une alternative sérieuse au système actuel. Le système de retraite par capitalisation perçoit les cotisations, et en assure la gestion financière en les accumulant pour constituer un capital qui s’accroît de ses fruits, intérêts ou autres. Cela, jusqu’au moment où le salarié ayant cotisé fait valoir ses droits à retraite. Celle-ci est alors prélevée par prélèvements successifs sur le capital constitué, qui diminue ainsi progressivement.
Au niveau de l’agriculture. Au lieu de vendre des terres à ses copains occidentaux, le Président Ouattara devait opter pour une réforme foncière. La terre ne doit plus appartenir à l’Etat mais aux paysans pour qu’ils modernisent l’agriculture. Il est évident qu’une bonne gestion du foncier nous permettra à coup sûr de faire non seulement l’économie des nombreux conflits dont la finalité peut être la guerre, mais en prime d’engranger de grosses ressources financières à travers l’impôt foncier. Le règlement définitif des problèmes du foncier peut donc aider à la réconciliation.
Au niveau de l’emploi. Un pays ne peut pas compter sur la fonction publique pour régler la question du chômage des jeunes. La réduction de la pauvreté ne passe pas par une distribution de quelques billets de banque par la première dame. Les autorités doivent encourager la création d’entreprise, la libre entreprise comme solution au chômage des jeunes. Mais des obstacles existent : les freins règlementaires, le manque de capitaux et d’encadrement. Et pourtant nous observons une forte dynamique entrepreneuriale parmi les jeunes. En Côte d’Ivoire, il y a 5 millions de jeunes qui ne travaillent pas et ce n’est pas avec le monopole qu’on va créer des emplois ni les lourdeurs administratives. L’Etat doit améliorer l’environnement des affaires, réduire les lourdeurs administratives, former et encadrer les jeunes pour conduire à bien leurs projets.
III. La persistance de la corruption
S’il y’a un domaine dans lequel le régime Ouattara prospère c’est bien la corruption. Comme pour confirmer ce que nous disions depuis longtemps, l’Ong Transparency International a publié depuis quelques jours, son classement 2013 de l’indice de perception de la corruption dans le monde et le verdict est sans appel : La Côte d’Ivoire est classée 136ème sur 177 pays. En 2012, elle était 130ème sur 177. Elle perd donc 6 places et plonge encore plus profondément dans l’opacité et la corruption. Dans le même temps, l’indice 2013 des Etats défaillants publiés par le Fund for Peace classe la Côte d’Ivoire comme 12ème Etat le plus défaillant du monde, sur 178 pays classés.
Les faits qui incriminent le régime Ouattara sont légions. Plus de 40 % des marchés publics sont passés de gré à gré. La construction et la gestion du deuxième terminal à conteneurs d’Abidjan (TC2) est confié aux mêmes opérateurs que le TC1. Le racket fait perdre à l’Etat plus de 300 milliards de FCFA chaque année. Sur le réseau routier national, les policiers extorquent des pots-de-vin importants aux voyageurs. Sur l’axe Abidjan-Lagos, le pot-de-vin par camion atteint en moyenne 88 dollars EU pour 100 kilomètres sur la section ivoirienne contre 12 dollars EU au Ghana.
Un fait très important est à noter. Le Président Ouattara est lâché par ses amis du FMI et de la banque mondiale. En effet, la gestion du PPU est décriée depuis sa mise en place parce que enveloppée d’une opacité insupportable. Deux raisons expliquent cette condamnation.
Premièrement, une gestion des fonds centralisée à travers le Fonds spécial présidentiel dont le frère cadet du chef de l’Etat, Birahima Téné Ouattara est le seul gestionnaire. C’est le petit-frère du Président qui détient la bourse et décide de l’affectation des fonds. Il ne rend compte qu’à son grand-frère président.
Deuxièmement, cette gestion opaque engendre la corruption. En raison du caractère urgent des interventions, c’est le gré à gré qui prévaut dans la majorité des marchés. Dans le contexte des collectivités décentralisées, ce sont les pots-de-vin qui déterminent les choix.
En définitive, la gestion des affaires sous le régime Ouattara n’a aucune lisibilité. Et pourtant, « Gouverner c’est prévoir « , c’est avoir une ambition pour son pays et se demander quel chemin prendre pour l’atteindre, puis le suivre. Le Président Ouattara gère notre pays avec la même visibilité sur l’avenir que l’on prévoit la météo. De plans d’économies en plan de relance, de matraquage fiscal en pseudo plans d’investissement, le tout sans la moindre cohérence d’ensemble.
Conclusion
Le souci de l’urgence n’est pas d’agrandir le réel, mais de l’absorber, de l’endiguer, comme si celui-ci apparaissait trop vaste et trop fort, comme si le réel était réductible à la seule contrainte. Il en découle une exceptionnelle surcharge du présent, vers lequel tout converge : l’expérience, bien sûr, mais également l’attente. Le présent cumulerait ainsi les responsabilités temporelles du passé, du présent et de l’avenir. Tel est en tout cas notre sentiment de la gestion des affaires sous le Président Ouattara.
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