Deux communautés se déchirent – A Bangui la coquette « on nous tue comme des animaux »

Centrafrique.-Le-president-propose-une-coalition

Par Christophe Boltanski

Au moins 300 personnes sont mortes depuis jeudi. Les militaires français de l’opération Sangaris ont débuté leur mission : sécuriser une ville où deux communautés s’entre-tuent. De notre envoyé spécial.

Une pluie battante s’abat sur l’aéroport Bangui-M’poko. Sur le toit du terminal, un soldat français, appuyé contre un sac de sable, scrute l’horizon grisâtre avec ses jumelles. A sa droite, un tireur d’élite, allongé sur une palette de bois, tient dans sa ligne de mire une route rectiligne, gorgée d’eau, qui mène au centre-ville. Au loin, les phares d’un camion de la force africaine clignotent. Des silhouettes traversent l’asphalte en courant.

Un peu plus tôt, des rafales ont éclaté, à deux cent mètres de l’entrée de l’aéroport, après une grande pancarte où l’on peut lire : « Bangui la coquette vous souhaite la bienvenue et un agréable séjour ». La veille, au même endroit, les militaires français ont détruit un pick-up, remplis de combattants de la Seleka qui tiraient sur des civils. Un premier accrochage qui marque le début d’une opération à haut risque, baptisée Sangaris, du nom d’un papillon exotique de couleur rouge.

« Notre mission a changé, explique le colonel Vincent Tassel, chef du 8e RPIMA (Régiment parachutiste d’infanterie de marine). Jusqu’à hier, nous devions garantir la libre circulation sur l’aéroport et protéger nos ressortissants. Maintenant, notre rôle est de sécuriser Bangui ». Une tâche d’autant plus urgente qu’entretemps, la capitale centrafricaine s’est embrasée.

Les effectifs militaires français, actuellement de 650 hommes, doivent rapidement doubler. Une première compagnie, en provenance du Gabon, est censée arriver dans l’après-midi. Elle doit être rejointe, très vite, par un second contingent de bérets rouges, venu, cette fois, de Castres. Sur le tarmac, des camions extraient des containers de la soute d’un immense Antonov qui vient tout juste d’atterrir.

Deux communautés se déchirent

Mais l’assaut surprise des anti-Balaka a bouleversé les plans soigneusement concoctés à Paris. Surgis de la brousse, ces combattants chrétiens en guenille, composés de paysans ou d’ex militaires, ont attaqué jeudi à l’aube les positions des Selekas, ces anciens rebelles musulmans arrivés au pouvoir par les armes, en mars dernier. Au passage, ils ont aussi assassiné d’autres musulmans, des civils, cette fois. Depuis, ils sont impitoyablement traqués.

Les deux communautés se déchirent. Les massacres se multiplient. Quelques milles Centrafricains campent depuis la veille, sur une pelouse, dans l’enceinte de l’aéroport. « Ici, nous sommes en sécurité, dit un étudiant en droit, prénommé Charlemagne. Là où nous vivons, on nous tue comme des animaux ». « Les musulmans et les Seleka nous tirent dessus », ajoute son voisin. « C’est à l’armée française de nous protéger ».

Nettoyage

« Les Seleka sont en train de procéder à ce qu’ils appellent le nettoyage des quartiers », reconnaît le colonel Tassel. Ils sont beaucoup en ville, mais ce sont quand même eux les forces de sécurité ». Que faire quand ceux qui représentent un semblant d’autorité font régner la terreur ? « Dès qu’il y a un point chaud, on essaye de se rendre sur place. Notre seule présence aide à stabiliser la situation ». En ce vendredi matin, quatre sections, soit près de 200 soldats, sont déployées dans la capitale centrafricaine.

Devant un parterre de journalistes, les militaires français font la démonstration d’une autre méthode, une sorte d’avertissement adressé à tous les guérilleros. « On va leur faire baisser les têtes, explique un officier. Attention au choc sonore ! » Dans le ciel, un grondement croissant se confond avec l’orage. L’opérateur radio donne les dernières indications aux pilotes : « La situation est confuse. Il y a deux groupes rebelles qui s’affrontent. Un dans la ville, un en dehors ». Deux Rafale plongent sous les nuages et font hurler leurs réacteurs au-dessus de la ville. Les avions, partis de Ndjamena, au Tchad, repartent aussitôt. Une technique appelée « Show force », inaugurée par les Américains en Afghanistan. « Le but, nous explique-t-on, est de créer un effet de sidération sur les milices ». Des chasseurs effectueront un second passage dans la soirée.
Partout, on croise des cadavres

Le résultat dans Bangui n’est guère concluant. Les pick-up des Seleka continuent de sillonner en trombe les artères de la capitale, comme si de rien n’était. Partout, on croise des cadavres, certains boursouflés, en état de décomposition, d’autres plus récents.

A l’hôpital communautaire, la morgue, aménagée dans une courette, sous un auvent, ne cesse de se remplir. En fin de matinée, on dénombre 91 corps dont 24 apportés au cours des dernières heures. Nombre d’entre eux sont atrocement mutilés. Des crânes fendus, des bras sectionnés.

Couchée parmi les morts, une jeune fille au ventre rebondi, vêtue d’un pagne jaune. Agée de 18 ans, Adomo Belvia habitait le quartier Combattant, à deux pas de l’aéroport. « Elle était enceinte de huit mois, raconte sa tante. Elle était dehors quand les Seleka sont arrivés en voiture en tirant sur les gens. Moi j’étais cachée ».

Dilemme

Sur le chemin entre l’aéroport et le centre-ville, pas de soldats français en vue. Personne, à part des miliciens de la Seleka, devant l’hôpital communautaire, pourtant présenté le matin même, par le colonel Tassel, comme l’un des lieux à sécuriser en priorité. Une patrouille est bien passée vers 7 heures, mais elle est repartie aussitôt. Elle reviendra, plus tard, dans l’après-midi. Les Français manquent encore d’hommes et de véhicules. Ils sont surtout confrontés à un terrible dilemme : s’ils laissent les Séléka continuer à tuer à l’aveuglette dans les quartiers, ils risquent d’en être tenus responsables, s’ils désarment la seule force organisée dans la ville, ils exposent les musulmans aux représailles de la population chrétienne, largement majoritaire.

Christophe Boltanski – Le Nouvel Observateur

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