Bangui en proie aux violences entre ex-rebelles et miliciens

Michel Djotodia

De bonne source, une attaque visant directement le chef de l’Etat, Michel Djotodia, avait été initialement prévue dimanche, lors des célébrations de la Fête de l’indépendance.

Cyril Bensimon (Bangui, envoyé spécial) LE MONDE | 06.12.2013

Pour une simple bande de villageois, les hommes qui ont attaqué la capitale ont fait preuve d’un réel sens tactique. Prenant de court les Nations unies, qui n’avaient pas encore voté leur résolution tant attendue, les opposants armés au nouveau régime ont déclenché, jeudi 5 décembre, une offensive coordonnée et préparée, quelques heures avant que les soldats français ne se déploient dans l’urgence en République centrafricaine (RCA). Vendredi matin, leur présence était toutefois discrète dans les rues de la capitale.

L’assaut, lancé avant l’aube, sur trois axes de la capitale avait le clair objectif de prendre le pouvoir. Le coup a échoué mais les autorités centrafricaines, en place depuis mars, ne sont jamais passées aussi près d’un renversement et l’intervention militaire française dans ce pays s’engage dans un contexte encore plus complexe.

L’attaque sur la capitale a été menée par des « anti-balaka », des groupes d’autodéfense entrés en résistance contre les anciens rebelles de la Séléka qui ont pris le pouvoir le 24 mars, mais aussi, selon des sources concordantes, par des membres de l’armée en rupture avec les nouvelles autorités.

Preuve supplémentaire du degré d’organisation militaire de cette attaque, jeudi après-midi, la ville de Bossangoa a été en majeure partie conquise par les ennemis du régime. Là aussi, dans le fief de l’ancien président François Bozizé situé à environ 300 kilomètres au nord de Bangui, les combats ont été âpres.

De bonne source, une attaque visant directement le chef de l’Etat, Michel Djotodia, avait été initialement prévue dimanche, lors des célébrations de la Fête de l’indépendance. Le défilé a été annulé à la dernière minute pour des raisons de sécurité.

« OÙ SONT LES FORCES INTERNATIONALES ? »

Si son objectif annoncé est de ramener l’ordre, en soutien d’une force africaine qui manque d’effectifs et de moyens, et de protéger des populations civiles emportées dans un tourbillon de violence, l’armée française devra s’en prendre aux opposants armés au régime, qui bénéficient d’un certain soutien populaire mais aussi aux ex-rebelles qui, aujourd’hui, occupent de facto le rôle de forces loyalistes. Les deux camps ayant rivalisé ces derniers mois dans l’horreur. Trouver l’équilibre, désarmer les deux camps sans être accusé de partialité et empêcher de nouveaux massacres ne sera pas chose aisée.

Si à Bossangoa, selon une source sur place, les soldats de la Fomac (la Force d’Afrique centrale amenée à devenir, le 19 décembre, une force de l’Union africaine, la Misca) ont fait preuve de bravoure en engageant le combat contre les deux parties au conflit, jeudi à Bangui, elles ne sont pas parvenues à empêcher un bain de sang et les 600 soldats français ne sont pas sortis de leur mission initiale, maintes fois répétée officiellement, de protection des quelques centaines de ressortissants français et de l’aéroport. Pouvaient-ils faire plus ?

Des femmes pleurent après être venues accompagner un de leur proches àˆ l’hôpital communautaire de Bangui, après les affrontements entre les forces de l’ex-Séléka et des miliciens antibalaka venus reprendre la capitale.
A Bangui, certains se posent la question. « Où sont les forces internationales ? Nous allons tous mourir, sans but, sans pitié. Mon Dieu, quel est ce pays ? », se lamente, jeudi, une jeune femme, un bébé sous le bras, dans le hall de l’hôpital de l’Amitié. Dans les minutes suivantes, passait un convoi des forces spéciales françaises. Tout autour, les coups de feux claquaient. Dans cette immense structure médicale construite par les Chinois, il n’y a plus un médecin, plus un infirmier. « Tous ont fui après avoir été menacés par les Séléka », raconte alors un membre de la Croix-Rouge locale.

Les morts, les blessés arrivent les uns après les autres. Quatorze cadavres s’entassent déjà à la morgue. Sur le carrelage, trois jeunes hommes agonisent. Sylvain Groulx, le chef de mission de Médecins sans frontières Espagne, s’active comme il peut avec un seul véhicule pour transporter ces blessés dans un autre centre où ils pourront être soignés en urgence.

Devant le portail, six corps gisent. Parmi ces victimes, il y aurait des membres du personnel hospitalier abattus froidement, assurent plusieurs sources sur place. Au coin de la rue, devant la paroisse Notre-Dame d’Afrique, 9 autres cadavres. Deux hommes viennent tout juste d’être exécutés. En ce moment, la vie d’un jeune homme ne tient pas à grand-chose. La moindre suspicion peut en un instant s’avérer fatale.

Un homme aide son compagnon àˆ sortir d’un vŽéhicule de MŽédecins Sans frontières ˆà l’hôpital communautaire de Bangui.
Après avoir repoussé l’attaque au prix de lourdes pertes – deux de leurs principaux officiers ont été tués –, les combattants de la Séléka se sont engagés dans une vaste opération de ratissage dans les quartiers de la capitale pour « pourchasser les rebelles qui s’y sont cachés et leurs complices », selon la formule d’un général promettant d’épargner les civils.

Vendredi matin, des sources concordantes faisaient état de scènes de représailles menées durant la nuit. Pour y échapper, des milliers de personnes se sont réfugiées dans des églises, à l’aéroport sécurisé par les Français, ou dans des bases de la Fomac.

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ ACCUSÉ DE COMPLOT

La traque des « traîtres » n’épargne pas les hauts lieux. Le ministre de la sécurité, Josué Binoua, un transfuge de l’ancien régime, est accusé par la présidence d’avoir comploté avec l’ennemi. « Des armes, des munitions et plusieurs centaines de treillis ont été retrouvées à son domicile », affirme un très proche du chef de l’Etat, Michel Djotodia. Le ministre a dû son salut à l’intervention des forces françaises qui l’ont récupéré.

A la mosquée Ali Babolo, située dans le quartier majoritairement musulman du kilomètre cinq, l’ambiance était électrique ce jeudi après-midi. Les dépouilles de 54 hommes et de 4 femmes sont alignées dans l’édifice religieux. Les cadavres, qui ne sont pas encore enveloppés dans un linceul, laissent apparaître les causes de leur mort. Certains ont été tués par les assaillants à coups d’armes blanches, d’autres par balles, d’autres encore, brûlés vifs.

A l’intérieur comme à l’extérieur des lieux, quasiment tous les hommes sont armés de couteaux, de sabres, de machettes, de gourdins, de madriers.

L’attaque sur Bangui a été menée par des « anti-balaka » mais aussi par des membres de l’armée en rupture avec les nouvelles autorités.
« Nous n’allons pas partir dans d’autres quartiers pour nous venger. Nous voulons juste défendre nos familles et les chrétiens d’ici, nous les protégeons », promet Mahamat. Bachir, son aîné, considère que le fond du problème, « c’est que les chrétiens n’acceptent pas, après nous avoir exclus de l’administration, que nous tenions aujourd’hui le pouvoir politique. Nous sommes actuellement les plus forts, mais comme nous ne sommes que 15 % de la population, ils veulent nous exterminer. »

Abacar, un jeune homme posé, intervient alors dans la conversation. Selon lui, « tous ces problèmes ont été causés par des politiciens qui ont transformé une crise politique en crise religieuse ». Pour exprimer cette analyse, l’étudiant en anthropologie préfère garder en main son revolver.

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