En Côte d’Ivoire, une facilitation internationale s’impose (Rinaldo Depagne)

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Rinaldo Depagne

La préparation de la présidentielle de 2015 passe par un dialogue politique

Les partis politiques ivoiriens sont entrés dans une pré-campagne électorale pour la présidentielle de 2015 sans avoir commencé à définir les règles qui devront gouverner cette élection. C’est une erreur. Un consensus sur le futur cadre électoral est nécessaire et la période actuelle est favorable à une telle entente. Les conditions d’un dialogue constructif entre pouvoir et opposition n’ont jamais été aussi favorables qu’actuellement. La classe politique ivoirienne doit saisir cette opportunité pour trouver un accord sur au moins trois volets préalables au bon déroulement de la prochaine élection : la révision des listes électorales ; la mise en place d’une nouvelle commission électorale ; et la définition d’un meilleur statut pour le perdant de l’élection. La communauté internationale doit pousser les dirigeants politiques à dialoguer en dépêchant un facilitateur à Abidjan chargé de stimuler et d’arbitrer un dialogue sincère entre pouvoir et opposition.

Depuis la fin de la crise postélectorale, les deux forces politiques les plus antagonistes du pays, le Rassemblement des républicains (RDR) au pouvoir et le Front populaire ivoirien (FPI), principal parti d’opposition, ne se sont officiellement assis face à face qu’une seule fois, en janvier dernier. Cette rencontre n’a pas débouché sur des décisions concrètes. Mais elle a montré la possibilité d’un dialogue. Comme le note une diplomate : « contrairement à ce qui se déroule dans d’autres pays africains, nous sommes dans une situation où il est envisageable de mettre les leaders politiques face à face ».

La libération en août dernier de quatorze membres du FPI, détenus sans procès depuis la fin de la crise postélectorale de 2011, a ouvert une période de détente. Cette période sera encore plus propice au dialogue si l’un des obstacles majeurs à sa tenue vient à être levé. Jusqu’alors, le FPI a vécu dans l’espoir d’un retour sur la scène de son fondateur, l’ancien président Laurent Gbagbo et, vivant dans cette croyance, a gelé toutes les décisions importantes y compris celle d’engager des négociations sérieuses avec le pouvoir. Cette période devrait prochainement s’achever. Les juges de la Cour pénale internationale ont en effet donné à l’accusation jusqu’au 15 novembre 2013 pour compléter son dossier dans la perspective de son procès. Logiquement, le maintien en détention ou non de Gbagbo devrait donc être prochainement annoncé. S’il est maintenu en détention, le FPI devra alors agir en fonction de ses intérêts propres et non plus en fonction de ceux de son ancien chef.

La rencontre de janvier entre pouvoir et opposition a montré toute l’importance d’une facilitation extérieure dans la construction du dialogue. Elle a été rendue possible par la facilitation du président sénégalais Macky Sall. Depuis la signature de l’Accord politique de Ouagadougou de mars 2007, les phases du dialogue les plus abouties ont été réalisées sous l’égide d’un médiateur. Les différends concernant l’organisation de la présidentielle de fin 2010 ont été aplanis lors de réunions du Cadre permanent de concertation, arbitrées par le président burkinabè Blaise Compaoré, alors facilitateur du processus de sortie de crise. Les efforts effectués par les différents représentants spéciaux du secrétaire général des Nations unies ont débouché sur des rencontres informelles et un renforcement de la confiance entre frères ennemis ivoiriens.

Le retour sur la scène d’un facilitateur extérieur, accepté par l’ensemble des partis, permettrait de stimuler le dialogue et d’arbitrer des réunions où s’expriment trop souvent des rancunes personnelles entre des acteurs politiques qui se fréquentent depuis trois décennies et ont eu, les uns envers les autres, des mots et des actes blessants. Son rôle pourrait aussi consister à aider les Ivoiriens à concentrer leurs efforts sur un ordre du jour pragmatique qui comporterait un objectif simple : organiser pour la première fois en Côte d’Ivoire un scrutin présidentiel inclusif, transparent et pacifique de bout en bout.

Le risque principal aujourd’hui est que les chefs du FPI boycottent l’élection présidentielle s’ils ne se sentent pas suffisamment associés à sa préparation. Un tel boycott se traduira sans doute par une faible participation de nature à fragiliser l’héritage et la légitimité du président Alassane Ouattara et l’ensemble du processus de réconciliation. Pour éviter cela, pouvoir et opposition doivent trouver un terrain d’entente sur plusieurs points précis. La liste électorale tout d’abord : à deux ans de l’échéance, le pays est toujours doté d’un fichier de 5,7 millions d’électeurs qui ne prend pas en compte des centaines de milliers de nouveaux majeurs, ni un nombre inconnu d’électeurs qui avaient échappé aux opérations d’identification effectuées avant l’élection de 2010. Enfin, dans l’hypothèse où des dizaines de milliers d’exilés pro-Gbagbo restent à l’étranger, la question de leur participation au scrutin doit aussi être débattue.

Ensuite, la Côte d’Ivoire a hérité des années de crise d’une commission électorale qui ne correspond plus à la réalité politique actuelle et qui est dominée par la coalition au pouvoir. Cette commission doit être réorganisée dans sa totalité avec un souci d’équilibre entre les partis, ou d’indépendance totale par rapport aux partis, ce qui n’est peut-être pas réaliste dans le contexte de polarisation politique actuelle.

La redéfinition du cadre électoral n’est pas seulement indispensable à l’organisation d’un scrutin pacifique en 2015. Elle sera aussi décisive pour le succès des élections législatives prévues pour décembre 2016. Le retour à une Assemblée nationale équilibrée, où l’opposition est représentée, sera une étape cruciale dans la normalisation de la vie politique. Actualiser le fichier des électeurs et modifier la composition de la commission électorale ne sont pas seulement des questions techniques. Amener toutes les parties à un consensus sur la mise en place de ces réformes, et les impliquer de la même manière à toutes les étapes, sont des démarches essentielles pour arriver à des élections qui feront avancer le pays. C’est aussi pour cela que la présence d’un facilitateur est si importante.

Enfin, dans ce pays, la Constitution, inspirée par celle de la France, donne un pouvoir exorbitant au président élu. Malheureusement, le vainqueur de l’élection présidentielle ne laisse généralement que très peu à ses adversaires. Une réforme constitutionnelle devrait donner plus de place à l’opposition dans la vie politique et dans le partage du financement public des partis. Cette réforme ne sera sans doute pas adoptée avant les élections de 2015. Elle n’en demeure pas moins vitale pour réduire les enjeux de la compétition pour le pouvoir et le prix trop élevé de la défaite électorale. Sans cette réforme, le perdant, par peur de ne plus rien avoir, sera toujours prêt à contester, y compris violemment, le résultat de l’élection.

Rinaldo Depagne

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