Texte proposé par Dr SERAPHIN PRAO, délégué national au système monétaire et financier à LIDER
De tous les Présidents ivoiriens, Alassane Ouattara est celui qui a obtenu les faveurs des institutions financières internationales. L’atteinte du point d’achèvement de l’initiative PPTE a été un coup de pouce accordé par ces dernières au Président Ouattara. Malgré le soutien massif de la communauté internationale, le président ivoirien peine à trouver des solutions aux problèmes des ivoiriens : la croissance est appauvrissante et stérile, la vie est chère et le chômage est galopant.
1. Un pays aidé et un président qui peine
La Côte d’Ivoire a atteint le point d’achèvement de l’initiative Pays Pauvres Très Endettés (IPPTE) le 26 juin 2012. Sur un stock de 6264 milliards en 2011, l’atteinte du point d’achèvement l’initiative PPTE a permis l’annulation de 80% de la dette ivoirienne actuelle, soit 4080, 90 milliards FCFA. Le stock était de 2283, 86 milliards après l’atteinte du point d’achèvement de l’IPPTE. Le service de la dette est passé de 500 milliards par an à 230 milliards de FCFA. Au niveau des stocks de la dette extérieure sur le PIB, le ratio normal d’un pays est inférieur à 40%. Il est passé en Côte d’Ivoire, de 67% à 18% après l’atteinte du point d’achèvement de l’initiative PPTE. Le stock de la dette extérieure sur l’ensemble des recettes publiques qui devrait être inférieur à 250%, est passé de 351% avant le PPTE, à 99% actuellement. Au niveau de la dette intérieure sur l’exportation qui devait avoir un ratio inférieur à 150%, le ratio est passé de 148% à 36,1%. Le ratio de la dette publique qui ne devait être inférieur qu’à 70%, est passé de 79% à 36,2% après le PPTE.
L’aide de la Banque mondiale à la Côte d’Ivoire illustre bien le soutien qu’apporte la communauté internationale au pays. En effet, l’institution a accompagné tout le processus de sortie de crise de la période 2008-2013 en octroyant 1000 milliards de FCFA à la Côte d’Ivoire pour redynamiser les secteurs clés.
Avec l’atteinte du point d’achèvement de l’IPPTE, c’était une occasion pour les nouvelles autorités de faire entrer le pays dans un cercle vertueux du développement. Mais depuis le 26 juin 2012, le régime Ouattara s’est englué dans un verglas d’endettement sans limite. Le président Ouattara ne tire pas les leçons du passé. Malgré l’aide de ses amis, le président Ouattara peine car il ne trouve pas les solutions aux problèmes des ivoiriens.
2. Les difficultés actuelles du gouvernement
Selon le gouvernement, les taxes sur les produits pétroliers sont en hausse. Ces taxes se sont élevées à 71,4 milliards de FCFA contre 50 milliards en 2012, donc une hausse importante de 40,5%. Les subventions au secteur qui représentaient 2,2 % des recettes fiscales en 2011, ont étés supprimées. Désormais c’est la mise en œuvre du mécanisme de fixation automatique des prix des produits pétroliers qui a permis de réduire de façon significatives les subventions apportées par l’Etat.
Et pourtant, l’Etat n’arrive pas à payer ses fonctionnaires avec ses propres ressources. Le mois passé, il a même fait un emprunt de 100 milliards de FCFA auprès du Congo. Les caisses de l’Etat sont vides. Fin novembre 2013, pour le paiement des intérêts semestriels et pour le remboursement total du capital de son emprunt obligataire dénommé TPCI 6,25% 2010-2013 pour un montant global de plus de 66 milliards FCFA (environ 132 millions de dollars), le gouvernement était obligé de lancer sur le marché financier de l’UEMOA, un emprunt obligataire par appel public à l’épargne dénommé « TPCI 6,30% 2013 – 2018 ». D’un montant indicatif de 91 milliards de francs CFA, cet emprunt est rémunéré au taux d’intérêt de 6,30% l’an sur une durée de 6 ans, net d’impôt pour les résidents de Côte d’Ivoire. Depuis que le Président Ouattara est aux affaires, l’Etat ivoirien a sollicité plus de six fois le marché financier régional pour un montant supérieur à 400 milliards de FCFA. C’est la grande fièvre obligataire sous le président Ouattara. Il s’endette pour rembourser ses dettes. Depuis le début des années 2000, les pays africains optent en général pour les marchés régionaux à cause du risque de change qui peut peser très fortement sur les débiteurs, par exemple, lorsque la dette est libellée en dollars et que la monnaie locale s’effondre. Mais ces opérations présentent aussi des inconvénients, notamment par rapport aux prêts des bailleurs : les maturités sont courtes, il n’y a pas de période de grâce, les taux d’intérêt sont relativement élevés ; ce qui représente une charge plus importante pour les finances publiques.
En dehors des difficultés liées à la trésorerie de l’Etat, c’est le modèle économique du régime actuel qui est en souffrance.
3. Le président n’a pas de solutions pour l’économie ivoirienne
« ADO SOLUTIONS », c’était le slogan de campagne du Président actuel de notre pays. Aujourd’hui ce slogan est devenu « ADO PROBLEMES ». Celui qui voulait régler nos problèmes a des problèmes.
En premier lieu, la vie chère menace les ivoiriens. Malgré un taux de croissance positif, les ivoiriens vivent difficilement. Abidjan fait partie des villes les plus chères au monde. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette cherté de la vie. Le Port autonome d’Abidjan (PAA) est très cher. Une concurrence pourrait permettre aux consommateurs de bénéficier des prix concurrentiels. Or le gouvernement ne fait rien à ce niveau pour casser les monopoles. Par exemple, la construction et la gestion du deuxième terminal à conteneurs d’Abidjan (TC2) est confié aux mêmes opérateurs que le TC1.
Ce n’est pas une augmentation du SMIG (il est passé de 36 607 FCFA à 60 000 FCFA) qui va résoudre le problème de la cherté de la vie. Cette augmentation du coût du travail amoindrit un peu plus la compétitivité des sociétés ivoiriennes. Les entreprises, et notamment les PME qui emploient la majorité des « smicards », ne sont pas du tout remises de la crise ; elles sont encore très fragiles.
L’impact de cette augmentation du SMIG sur les salaires et sur la demande globale est faible. La revalorisation du Smig con¬cerne uniquement les personnes qui ont un contrat en bonne et due forme, qui sont déclarées à la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS) et qui percevaient un salaire en dessous de 60.000 FCFA. Or, on sait que ce nombre est infime dans notre pays. La plupart des personnes qui ont un salaire en deçà de 60.000 FCFA, œuvrent dans l’informel. Elles n’ont pas de contrat et ne sont pas déclarées à la CNPS. Le secteur privé formel représente à peine 7% de la population active et les travailleurs agricoles représentent environ 66% de la population active.
En second lieu, les jeunes sont au chômage. Le taux de croissance du Président Ouattara n’est pas riche en emplois. C’est une croissance oisive. Les chômeurs représentent la moitié de la population active, estimée à plus de 11 millions d’individus en Côte d’Ivoire. Selon la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS) et la Chambre de Commerce, le taux de chômage en 2012 oscille entre 19% et 21%. Le régime actuel ne fait rien pour relancer les PME ivoiriennes qui représentent 98% des entreprises répertoriées dans le cadre du PND. Selon les estimations du patronat ivoirien, des dommages estimés à plus de 650 milliards de FCFA auraient affectés 1 113 d’entre elles, pour la plupart des petites et moyennes entreprises (PME). Les PME représentent 24 % du PIB et 18% pour le secteur de l’artisanat. Dans ces conditions, l’épineuse question du financement des PME reste actuelle. Pendant ce temps, le gouvernement refuse de payer 356 milliards à ses fournisseurs. En effet, un audit de la dette intérieure contractée sur la période 2000-2010 a rejeté 203 milliards, sur un total de 356 milliards. Avec le rationnement du crédit bancaire, le refus du gouvernement de payer ses dettes et un environnement des affaires peu favorables, les PME ivoiriennes sont loin d’aider à la réduction du taux de chômage.
En troisième lieu, la croissance est uniquement adossée sur les investissements publics.
Le budget 2014, estimé à 4248 milliards de FCFA comparativement à celui de 2013 qui est de 3815 milliards de FCFA, est en hausse de 364,5 milliards de FCFA, c’est-à-dire un taux d’accroissement de 9,4%. Le budget met un accent particulier sur la construction des infrastructures. C’est la raison pour laquelle, les dépenses d’investissements passent à 1258 milliards FCFA, soit 29,8% du budget contre 1016 milliards de FCFA en 2013. Selon le porte-parole du gouvernement, les interventions spécifiques du Programme présidentiel d’urgence (Ppu) vont continuer.
Une croissance dopée par la dette n’est pas fertile, elle est stérile. Les sources de cette croissance étant fragiles, elle ne pourra pas conduire le pays au développement. La stérilité réside dans le fait que cette croissance n’est pas féconde, elle ne peut pas se reproduire. Elle n’aboutit à rien. Cette façon de conduire l’économie ivoirienne est suicidaire pour le pays. Le recours exclusif à la dette extérieure pour tout financer est dangereux pour la souveraineté du pays et pour les générations futures.
En quatrième lieu, le régime dilapide les ressources du pays. La bonne gouvernance est censée se traduire par l’obligation pour les gouvernants de rendre compte, par la promotion de l’État de droit et le renforcement de la démocratie, ainsi que par la transparence dans la gestion des ressources publiques et la valorisation de l’éthique. Si le classement de la Côte d’Ivoire sur l’indice de perception de la corruption de Transparency International s’est amélioré (le pays est passé du 154e rang en 2011 sur 182 économies au 130e rang en 2012 sur 176 économies), le régime Ouattara est très corrompu. Le racket continue de plus belle dans notre pays. Une étude récente estime sa valeur totale entre 200 et 290 millions de dollars EU par an, dont environ un quart provient de la circulation des marchandises et le reste du trafic passagers. Le niveau élevé de la corruption en Côte d’Ivoire provoque le détournement d’une partie du trafic régional vers d’autres ports (tels que Lomé et Tema). Sur l’axe Abidjan-Lagos, le pot-de-vin par camion atteint en moyenne 88 dollars EU pour 100 kilomètres sur la section ivoirienne contre 12 dollars EU au Ghana.
Sous le Président Ouattara, plus de 40% des marchés publics sont passés de gré à gré.
Avec cette corruption, les grands travaux pèsent sur le budget de l’Etat. Par exemple, l’échangeur du boulevard VGE sera un scandale financier. Au moment de la signature à Paris, en juin 2012, il coûtait 124 milliards de FCFA. Moins d’un an plus tard, sans les échangeurs, il coûte déjà 180 milliards, pour seulement 1,5 km. Or, cet ouvrage d’une longueur totale de 6,7 kilomètres va relier la commune de Cocody à celle de Marcory. Ce sera au final le pont le plus cher au monde, réalisé dans un pays pauvre.
4. Et pourtant des solutions existent
Le sous-sol ivoirien dispose de richesses évaluées à plus de 3 milliards de tonnes de fer, 390 millions de tonnes de nickel, 1.2 milliard de tonnes de bauxite, 3 millions de tonnes de manganèse et 100 000 carats de diamant. Les perspectives concernant les ressources fossiles (pétrole brut et gaz naturel) sont également prometteuses au regard des récentes découvertes d’hydrocarbures.
Les matières premières minérales, bien que n’entrant actuellement que pour 1% dans le PIB, sont un secteur d’avenir.
Durant la précédente décennie, les taux de transformation au plan local étaient de 2% pour le caoutchouc, 5% pour la noix de cajou, 10% pour le café, 20% pour le coton et 27% pour le cacao.
Quant aux TIC, elles bénéficient d’une demande en constante progression et la présence d’infrastructures adaptées. Ainsi, la contribution de la branche télécommunication au PIB est estimée à environ 6% sur ces cinq dernières années. Les ivoiriens peuvent bien vivre dans leur pays si les gouvernants mettaient en œuvre une bonne politique économique. Il faudra sans doute :
– Réduire l’opacité caractérisant les contrats de partage de production entre le gouvernement et les compagnies pétrolières à travers différentes clauses de confidentialité qui empêchent une gestion transparente des ressources,
– Accélérer les réformes visant l’amélioration de la gouvernance et du climat des affaires, de l’efficience dans les secteurs financiers, de l’énergie et du café-cacao,
– Créer un instrument spécifique de gestion des revenus issus des ressources naturelles, pour qu’ils contribuent à l’effort de financement du développement,
– Ne pas compter que sur les dépenses publiques en infrastructures pour créer la croissance. Car il est impossible de construire un pont chaque année pour soutenir la croissance,
– Accroître la compétitivité des entreprises ivoiriennes en cassant les monopoles et en réduisant les charges de ces dernières. A titre de comparaison, la TVA est de 12% au Ghana, 5% au Nigeria et 18% pour la Côte d’Ivoire. La Côte d’Ivoire n’est pas compétitive par rapport au Ghana et au Nigeria car les produits sont plus chers en Côte d’Ivoire que dans ces pays.
– Sur le plan politique, normaliser les institutions du pays, renforcer le processus démocratique et les progrès en matière de réunification et de réconciliation.
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