Par Jean-Antoine Zinsou | 30 novembre 2013
A longueur de commentaires, j’ai essayé de démontrer la responsabilité des hommes politiques dans la crise ivoirienne. Je n’ai eu de cesse de prôner la voie du milieu, en renvoyant dos à dos les familles politiques qui diffèrent en apparence, alors que dans le fond, elles ont la même conception du pouvoir. J’ai dénoncé nos hommes politiques, lorsqu’aveuglés par leurs certitudes qu’ils transforment volontiers en vérité absolue, ils alimentent chez leurs militants la haine du camp adverse. Pour éviter de tomber dans ce travers, je me suis laissé envahir par le doute. Ai-je tort de blâmer les hommes politiques et de de leur faire porter l’entière responsabilité de ce mal insidieux qui s’est emparé d’une partie de la société ivoirienne? Sont-ils vraiment les seuls responsables?
Habité par ce questionnement, je me suis mis à écouter et à lire les propos des uns et des autres. Très vite, je me suis rendu compte que certains d’entre nous sont incapables de commenter sans passion les principaux faits politiques et sociétaux de l’histoire de notre pays. La moindre critique sur le mentor de leur camp provoque une hostilité quasi viscérale vis-à-vis de celui qui l’a formulée. Chez ces extrémistes du verbe, pas la moindre once d’objectivité. Tout ce qui émane de leur camp est parfait, alors que tout acte posé par «les autres» est forcément nul.
A l’analyse ce sont eux les vrais poisons de la société ivoirienne, car tout compte fait, si les politiciens ne les avaient pas comme relais, ils changeraient leur façon de faire de la politique. Ils sont nombreux ceux qui pensent ne pas appartenir à cette catégorie de citoyens. Malheureusement, nombre d’entre eux sont des malades qui s’ignorent, et pour permettre à chacun de poser son diagnostic, voici quelques-uns des symptômes des plus révélateurs :
• Etre incapables de reconnaître que le Fpi ne peut-être le seul responsable de la mal gouvernance des années de refondation, car en ce temps-là, les ministres issus des autres formations politiques ne se sont pas montrés plus vertueux que ceux issus de la majorité présidentielle.
• Ne pas pouvoir admettre qu’on ne peut juger les capacités de gestion des affaires de l’état du Fpi, en analysant la période 2002 – 2010, à cause du contexte imposé par l’apparition d’une rébellion armée et d’une économie parallèle sur une bonne partie du territoire national.
• Ne pas pouvoir reconnaître que le gouvernement actuel fait de gros efforts pour sortir le pays du marasme hérité de dix années de crise politique.
• Ne pas admettre que la corruption a toujours fait partie du paysage politique ivoirien et qu’aucun régime n’a vraiment essayé de s’en débarrasser.
• Etre incapable de voir du positif dans des actes posés ou suggérés par le camp adverse.
Si vous avez au moins deux de ces symptômes, alors votre atteinte fait de vous un potentiel obstacle à la réconciliation. Heureusement il existe un traitement dont l’essentiel consiste à :
• Reconnaître que le soutien le plus intelligent que l’on puisse offrir à sa famille politique, c’est de l’aider à prendre en compte les critiques des autres, sachant qu’en le faisant, on retire une de ses armes à l’adversaire.
• Accepter que s’opposer à une formation politique ne consiste pas à nier ou à détruire les acquis positifs des actes qu’elle a posés.
• Comprendre qu’un débat n’avance vers une solution pérenne que lorsque les protagonistes savent écouter la voix de l’autre et utiliser la force des arguments pour faire bouger les lignes.
• Admettre qu’on n’a pas besoin d’attendre que l’adversaire pose un acte dans le bon sens pour soi-même s’engager dans la bonne direction.
La réconciliation en Côte d’Ivoire ne repose pas uniquement sur les politiques et sur les médias, mais aussi et surtout sur le comportement des uns et des autres. Pour garantir un climat apaisé propice aux affaires qui profiteront à un nombre sans cesse croissant de nos compatriotes, chacun doit apporter sa pierre à l’édifice. On ne s’oppose pas pour détruire, on s’oppose pour améliorer. S’opposer, ce n’est pas faire la guerre à l’autre, mais c’est plutôt le challenger pour l’amener à changer sa façon d’agir. On ne gouverne pas avec des œillères et en restant sourd aux appels d’une partie de ses administrés. Gouverner c’est savoir donner l’impulsion et maintenir sa détermination à travers une démarche inclusive.
On ne pourra pas effacer les cicatrices du passé politique récent de notre pays, mais on peut les atténuer. Par exemple, pourquoi ne pas plonger dans un passé plus lointain et créer un toukpê ou alliance à plaisanterie entre les belligérants d’hier? Pour l’ethnologue Marcel Griaule, qu’on l’appelle toukpê, sinankunya ou rakiré, l’alliance à plaisanterie n’est pas un simple jeu, mais plutôt une alliance cathartique servant à désamorcer de façon transgénérationnelle les tensions entre des groupes qui ont eu à s’opposer sur une base ethnique, religieuse, voire même politique. On peut compter sur la créativité et le sens de l’humour ivoirien pour y arriver et nous permettre enfin de regarde,r sans angoisse, l’échéance électorale de 2015.
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