Libre Opinion
“Il faut sortir de la tyrannie et de la barbarie”, dixit Dramane Ouattara lors de sa visite à Sakassou, le 26 novembre 2013. Et, pour lui autant que pour tous ceux qui se réclament du Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), le tyran et barbare, c’est évidemment Laurent Gbagbo. Il est vrai que celui-ci a commis des erreurs quand il dirigeait le pays. Par exemple, avoir tardé à sanctionner les “grilleurs d’arachides”, n’avoir pas donné au peuple ivoirien l’occasion de se prononcer par voie référendaire sur la candidature d’Alassane Ouattara à l’élection présidentielle, ne l’avoir pas fait arrêter après qu’il eut déclaré qu’il mélangerait le pays et le rendrait ingouvernable si sa candidature était rejetée, s’être contenté de plaindre ceux qui à l’hôtel du Golf se préparaient à tuer les Ivoiriens qui avaient résisté, de 2002 à 2011, au projet de la France de mettre à la tête de la Côte d’Ivoire un valet afin de mieux piller ses richesses comme on le voit actuellement avec les salaires exorbitants versés à n’importe quel va-nu-pieds français embauché comme conseiller dans tel ou tel ministère du pays. Mais, objectivement et sincèrement, peut-on accuser Laurent Gbagbo de tyrannie quand on sait qu’il s’interdit, pendant sa gouvernance, de faire emprisonner les journalistes qui le caricaturaient ou l’injuriaient outrancièrement? Peut-on traiter de barbare celui qui amnistia et nomma ministres des personnes dont la dernière tentative de coup d’État fit plusieurs morts et coupa le pays en deux? Ces sacrifices et d’autres, Gbagbo les fit parce qu’il voulait la paix pour son pays, parce qu’il était persuadé avec le Brésilien Paulo Freire que l’opprimé détient plus que l’oppresseur les cartes de la réconciliation. Non, le tyran et le barbare, ce n’est pas Laurent Gbagbo mais celui qui introduisit la violence et les tueries en Côte d’Ivoire. Une violence qui commença avec l’expédition punitive à la cité universitaire de Yopougon dans la nuit du 17 au 18 mai 1991. Mais qui envoya des militaires contre des étudiants à Yopougon ? Et, l’année suivante, qui fit arrêter et emprisonner les démocrates ivoiriens marchant dans les rues du Plateau pour protester contre le refus par Houphouët de sanctionner les coupables des violences de Yopougon ? Qui, de passage à Bouaké il y a quelques mois, félicita Soro Kigbafori et ses compagnons d’avoir pris les armes, permettant ainsi, selon lui, aux gens du Nord d’avoir leurs papiers ? Qui, tout en se disant disciple d’Houphouët, préféra en avril 2011 l’usage des armes au recomptage des voix par une commission internationale? Qui maintient en exil et en prison dans des conditions inhumaines des centaines d’Ivoiriens dont le seul crime est d’appartenir au groupe BAD (Bété, Attié et Dida), d’avoir voté pour Laurent Gbagbo en 2010 ou d’avoir critiqué son gaspillage et ses nominations tribales? Qui vient d’empêcher Laurent Akoun et Gneba Akpalé Jacob de sortir du pays ? Qui continue de bloquer les comptes d’Aké Ngbo et lui interdit de mettre ses talents au service des étudiants ivoiriens? Qui exécuta les danseuses d’Adjanou et les 60 gendarmes à Bouaké après qu’ils s’étaient rendus? Qui tira sur Désiré Tagro qui brandissait pourtant un drapeau blanc? Qui mit le feu au camp des réfugiés de Nahibly? Qui fit raser des villages entiers dans l’Ouest ivoirien? Qui vola l’argent de la BCEAO à Man, Bouaké et Korhogo? Qui ordonna l’embargo sur les médicaments, la fermeture des banques et le bombardement de la résidence du chef de l’État? Les auteurs de ces crimes: voilà les vrais barbares et il est inutile de vouloir transformer le bourreau en victime et vice-versa!
En plus d’exercer un pouvoir totalitaire et sanguinaire, Dramane Ouattara a de gros problèmes avec la vérité. Où sont en effet les milliards et emplois promis ici et là pendant la campagne électorale? La main sur le cœur, n’avait-il pas juré que, si on lui donnait seulement 5 ans, il résoudrait les problèmes des Ivoiriens? Or les 5 années ne sont pas encore épuisées qu’il veut rempiler. Ses adorateurs le disent grand économiste devant l’Éternel mais il est surprenant qu’on n’ait pas encore vu les solutions qu’il propose pour la résorption de la crise économique et financière qui a déjà ruiné le Portugal, l’Espagne et la Grèce et menace de mettre la France à genoux. Les Joseph Tchundang Pouemi , Osendé Afana , Nicolas Agbohou et autres ont écrit des articles et livres sur la monnaie et l’économie africaines mais du “grand économiste”, dont on nous vante les mérites depuis plusieurs années, on n’a encore rien lu. Le “Ouattara, grand économiste” relève donc plus du mythe que de la réalité. Or, quand on ne sait rien, ou bien on se tait ou bien on cherche à apprendre auprès de ceux qui savent au lieu de fanfaronner comme un vulgaire paon. Le prétendu économiste avait assuré qu’il jouerait la carte de la transparence en ce qui concerne l’or noir mais aucune information ne nous est fournie par son gouvernement sur le nombre de barils produits par jour. Il a fallu que je lise Théophile Kouamouo pour apprendre que, “fin juin 2013, la production pétrolière était en baisse de plus de 12%, à un peu plus de 27 000 barils par jour, alors qu’elle était montée à 50 000 barils par jour sous Gbagbo – qui était, ironie de l’histoire, accusé par les actuels dirigeants de minorer les chiffres ”. Dramane Ouattara ne cesse d’affirmer que tout va bien. Il devrait plutôt soutenir que tout va bien pour les entreprises françaises et burkinabè et pour les ressortissants de la CEDEAO puisque l’un d’entre eux, le Sénégalais Abdourahamane Cissé, vient d’être nommé ministre du Budget. Le Guinéen Sydia Touré et le Béninois Pascal Irénée Koupaki avaient bénéficié des mêmes privilèges entre 1989 et 1993. Les faveurs ainsi faites à certains étrangers, alors que les fils et filles du pays sont au chômage, ne risquent-elles pas à la longue d’exaspérer les nationaux et de les monter contre les étrangers? A-t-on déjà oublié 1958? L’idée selon laquelle les Ivoiriens maltraitèrent les Dahoméens cette année-là est juste mais elle n’est juste que partiellement car il faut aussi dire que les Ivoiriens se soulevèrent parce qu’ils ne supportaient plus que les fonctionnaires dahoméens travaillant en Côte d’Ivoire fassent venir leurs compatriotes et n’embauchent que ces derniers dans l’administration ivoirienne. Ce qui arriva hier peut arriver aujourd’hui encore et, si les Ivoiriens se taisent actuellement, cela ne veut pas dire qu’ils ont accepté dans leur majorité le 11 avril 2011 ou qu’ils sont d’accord avec les injustices dont ils sont quotidiennement victimes. Sans jouer les Cassandre, je dirais que ce silence est comme le calme qui précède la tempête. Je ne sais pas quand l’orage éclatera. Je sais seulement que le temps ne sera pas toujours beau pour ceux qui sont présentement au pouvoir et que ceux qui sont en prison ou en exil n’y resteront pas indéfiniment car, comme le dit Héraclite, tout passe et rien ne demeure. L’Histoire nous enseigne que même les dictatures les plus féroces finissent par être balayées. Donc, celle de Dramane Ouattara passera.
Mais elle ne passera pas si nous nous contentons de prier ou de nous plaindre dans nos cases ou salons. Par toutes sortes d’actions (marches, projection de films, conférences, etc.), la diaspora a amené beaucoup d’Occidentaux à comprendre ce qui s’est vraiment passé entre 2000 et 2011 en Côte d’Ivoire et j’ai foi qu’elle continuera à se battre pour que prennent fin la détention arbitraire de Laurent Gbagbo et l’occupation de la Côte d’Ivoire. Les rapports des organisations de défense des droits de l’homme ont permis de découvrir la face hideuse de ce régime. Les Ivoiriens vivant et travaillant en Côte d’Ivoire doivent jouer, eux aussi, leur partition car c’est d’abord sur le terrain qu’il convient de lutter contre ce régime qui est en train de détruire notre pays. Mais certains demanderont comment lutter. Il n’est pas nécessaire de prendre les armes. On peut, en revanche, boycotter les transports publics, refuser de payer l’impôt, l’eau et l’électricité (le Nord l’a fait du temps de Gbagbo). Peut-être d’autres moyens pacifiques existent-ils. En tout état de cause, ce qui importe, c’est de braver la peur et de se mettre ensemble pour voir la meilleure façon d’agir.
Jean-Claude Djéréké
Jcdjereke@yahoo.fr
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