Bouaké s’est mise sur ‘’son trente et un’’ pour accueillir le Chef de l’état qui y effectue une visite d’état à partir de ce jour. Les gros trous sur les voies qui accueillaient les visiteurs dès l’entrée de la ville, les vendeurs ambulants, qui avaient envahi toutes les rues, les kiosques qui encombraient tous les trottoirs ont disparu (pour combien de temps ?) et de nombreuses rues ont été bitumées ou redressées. (…)
(…) Ah Bouaké! En 1992, je dirigeais le bureau régional de Fraternité Matin et déjà, à cette époque, je déplorais le manque d’ambition de la seconde ville de notre pays. C’était au temps où l’on parlait des « timbres parallèles ». Certaines personnes à la mairie émettaient des timbres qu’elles vendaient en dehors des circuits officiels. La localité était déjà envahie par les kiosques, les constructions anarchiques autour du marché et un peu partout, les rues se dégradaient à grande vitesse et l’affairisme des édiles avait pris le dessus sur le sens des affaires. La ville déclinait à vue d’œil. J’avais rencontré, à cette époque, le gestionnaire de la piscine de Bouaké, cette mythique piscine qui avait inspiré plus d’un chanteur, et il m’avait raconté avec nostalgie les moments fastes de la capitale du centre. Il se remémorait le temps où Houphouët-Boigny recevait des pairs au bord de cette piscine, le temps où Bouaké faisait plus rêver qu’Abidjan. Il pleurait l’époque du « Vieux Djibo », le premier maire de la ville, son vrai bâtisseur.
Houphouët-Boigny est mort, il y a de cela vingt ans, et l’horrible statue que lui avait construite un successeur du « Vieux Djibo » trône toujours sur la « place de la paix. » Cette œuvre est une insulte, non seulement à l’art, mais aussi au père de la nation ivoirienne.
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts qu’il n’y a pas à Bouaké. La ville a connu la guerre, les pillages, les braquages de banque et l’occupation par les Forces nouvelles. Elle en a souffert. De nombreuses personnes ont vu leurs domiciles occupés ou leurs biens arrachés par des individus dont le seul droit était la force de leurs armes. Le « grand bahut », nom que l’on donnait au lycée des jeunes filles, a été totalement saccagé.
Bouaké a souffert, mais elle n’a pas cédé. Elle se reconstruit, comme le reste du pays. Elle rêve de sa grandeur passée, de l’époque où toutes les communautés vivaient en paix, dans la fraternité. Oui, lorsque Bouaké était Bouaké, chaque « petit Baoulé » avait pour ami intime, pour frère, un « petit Dioula » et vice versa. Bouaké attend du Chef de l’Etat qu’il lui donne les clefs qui lui permettront de retrouver sa splendeur d’antan, cette époque où nous étions tous frères, où personne ne s’interrogeait sur l’origine des uns et des autres. Le Chef de l’Etat trouvera les mots pour apaiser les cœurs qui sont encore lourds de rancœur et donnera certainement le souffle pour un nouveau départ économique de la seconde métropole de notre pays. Son arrivée a déjà permis de réaliser de nombreux travaux d’embellissement de la ville.
Mais à Bouaké, comme ailleurs dans notre pays, la clef du développement de nos cités se trouve entre nos seules mains. Nos villes seront belles, propres, agréables à vivre et attrayantes pour les investisseurs lorsque nous cesserons de les construire anarchiquement, lorsque nous ferons appel à des urbanistes pour les penser et les organiser, lorsque nous cesserons de les salir, lorsque nous y établirons de vrais services de ramassage de nos ordures. Ce n’est pas le Chef de l’Etat qui fera tout cela à notre place. Pour retrouver notre « vivre ensemble » d’antan, il appartient à chacun de puiser, au plus profond de son cœur, la force de pardonner ou de demander pardon.
J’ai visité à Bouaké le quartier de Tollakouadiokro, où les fils électriques, issus de branchements sauvages, pendent par grappes jusqu’à terre, à la portée des enfants qui, m’a-t-on dit, y sont régulièrement électrocutés, dans l’indifférence générale. C’est indigne de la seconde ville de notre pays.
Ah Bouaké ! Une si belle ville dans une si belle région que ses enfants ont laissé péricliter ! Que ses habitants cessent de pleurer sur leur passé. Les sillons de la Côte d’Ivoire nouvelle sont en train d’être tracés par Alassane Ouattara. Il appartient au maire actuel, fils du “ Vieux Djibo”, et à tous les enfants de Bouaké d’y placer leur cité qui regorge de tant d’atouts.
Venance Konan
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