La Chronique de Marc Micael
La CDVR (commission dialogue vérité et réconciliation), structure créée par ordonnance N° 2011/167 du 13 juillet 2011, pour « réconcilier les ivoiriens », vient à travers son président Charles Konan Banny, de remettre son rapport à celui qui, hélas, dans ses attributions, devrait normalement être « le garant de l’unité nationale » : Alassane Ouattara. Soit.
La remise du rapport de la CDVR, ce 21 novembre 2013, est – pour nous – une occasion de nous interroger: peut-on affirmer – avec certitude – après deux ans d’existence de cette structure, que les ivoiriens sont enfin réconciliés, ou encore, que la Côte d’Ivoire a fini par se réconcilier avec elle-même ?
Certains, à l’image de Charles Konan Banny, nous répondront : « La réconciliation ne se décrète pas, c’est une œuvre de longue haleine ». Certes. Mais deux ans après, peut-on dire que le processus a avancé de manière significative ou avance efficacement ? Monsieur Banny lui-même, sur un ton empreint d’échec, au cours de son intervention fleuve, du jeudi 21 novembre, avoue : « On a fait ce qu’on a pu ». Avant de leur rappeler qu’ils ont été bien naïfs, ceux qui croyaient, dur comme fer, que la structure qu’il dirige avait pour objectif à atteindre, la réconciliation : « la réconciliation n’est pas un point fixe qu’il faut atteindre ».
Par ailleurs, les propos Charles Konan Banny ne laissent aucun doute sur la culpabilité du régime d’Alassane Ouattara dans l’échec patent de la CDVR ou, disons-le tout net, de la réconciliation en Côte d’Ivoire : « Certains ivoiriens ont l’impression que la justice ivoirienne est sélective (…). Les arrestations compliquent la réconciliation (…) ». Il n’a pas manqué de fustiger l’attitude certains acteurs à s’engager résolument dans le processus de la réconciliation, puis de recommander avec empressement au pouvoir en place de tout mettre en œuvre pour matérialiser les aspirations profondes des ivoiriens, avant de conclure : « Deux ans après la grande crise, nous n’avons pas tiré les leçons de la crise ». Ainsi, monsieur Banny n’est-il pas en train de nous dire que les chances d’atteindre l’objectif de départ fixé à sa structure, sont fortement compromises par les agissements sur le terrain des tenants actuels du pouvoir ? Ça en tout l’air.
Nous sommes donc d’avis avec ceux qui ne cessent d’alerter l’opinion sur le fait que « le processus de réconciliation en Côte d’Ivoire piétine » ou, « qu’il est au point mort ». Le constat est que tous parlent de réconciliation, mais peu sont ceux qui – comme le régime en place – y croient réellement, au point de poser sincèrement des actes qui s’inscrivent dans la droite ligne de ce processus.
La réconciliation – pour la Côte d’Ivoire – est incontournable, voire primordiale. Dès lors, notre question de départ, à savoir si les ivoiriens sont enfin réconciliés prend tout son sens. Si ce pays veut continuer d’exister ; s’il veut être une Nation, au sens propre du terme, s’il veut avancer sereinement vers son développement, l’on doit pouvoir répondre sereinement à cette question qui ne fait que traduire une inquiétude, une préoccupation majeure : celle des ivoiriens. Si deux ans après la guerre que nous avons vécue, nous en sommes encore au stade de belles paroles, sans pour autant avoir progressés d’un seul iota, c’est que, comme le dit monsieur Banny, « nous n’avons pas encore tiré les leçons de la grave crise » qui nous a déshumanisés et plongés dans l’horreur.
Deux ans. Cela peut paraître insuffisant pour un pays qui vit plus de 20 ans de crises à répétitions. Il faut du temps dira-t-on. Mais l’ennui, c’est que les uns et les autres n’ont pas la même perception de cette notion : le temps.
Le temps, un faux prétexte
Le temps sert de prétexte à certains. Notamment à ceux qui prétendent aujourd’hui nous gouverner. Il leur sert de paravent pour dissimuler leur haine pathologique contre les autres ivoiriens qui ne sont pas du même bord qu’eux. Ils se servent de ce prétexte, le temps, pour consolider leur position de domination par la violence, pour masquer leur incompétence, leur incapacité, sinon leur manque de volonté réelle d’aller à une véritable réconciliation. Ils espèrent secrètement que les autres oublient – avec le temps – leurs crimes, leurs forfaits ; que les autres se résignent et abandonnent finalement toute volonté d’en découdre. Ils croient – naïvement – que le temps seul suffira à noyer toutes les frustrations, les rancœurs et les haines accumulées en plus de 20 ans. Ils s’en remettent au temps, espérant ainsi cacher, pour longtemps encore, leur forfaiture de peur que le peuple, soudé et uni autour des principes de la démocratie et déterminé à acquérir enfin sa liberté, ne fasse échec leurs pratiques contre nature. En un mot, ils caressent le secret espoir que le temps jouera en leur faveur. Mais ils se trompent lourdement.
Le temps, un vecteur de réconciliation
Le temps n’est rien en lui-même, si l’on ne le met pas à profit. Il doit plutôt servir de moyen de locomotion pour faire aboutir le processus de réconciliation. Le temps n’a aucune incidence sur les sentiments humains, sur la haine, sur les frustrations. Seul compte ce dont il est fait, à quoi il est utilisé. Si seulement les ivoiriens mettaient à profit le temps qui leur est imparti pour poser des actes de paix ; des actes qui vont dans le sens de la réconciliation, ils auront compris toute l’importance de la seconde chance que leur offre le destin. Mais s’ils passent leur temps à tourner en rond ou dans l’immobilisme le plus absolu, chacun cherchant plutôt à protéger ses intérêts égoïstes, comme c’est le cas actuellement, qu’ils ne soient pas surpris qu’un matin, les armes tonnent à nouveau et qu’ils se remettent à faire d’autres décomptent macabres.
Mais Le pays a retrouvé sa quiétude, les activités ont repris, les ivoiriens se fréquent à nouveau…, nous dira-ton. Hélas, ayons le courage de le reconnaitre, tout cela n’est qu’une triste apparence des choses, un calme précaire, avant une éventuelle tempête ; mais aussi et surtout une volonté acharnée des ivoiriens à survivre malgré tout. Sans plus.
Car personne n’ignore, comme le dit Charles Konan Banny que : « Beaucoup reste à faire (…) La réconciliation requiert un environnement pacifié, l’administration d’une justice équitable, le refus de l’impunité et le rejet de la violence ». En tout état de cause, deux ans après la grave crise post-électorale dont elle peine à se relever – c’est le cas de le dire – la Côte d’Ivoire n’est pas encore réconciliée ou, du moins, n’est pas sur le véritable chemin de la réconciliation. Les vieux démons assoiffés de sang humain, loin de s’en être éloignés, y sont encore durablement enracinés. A qui la faute ?
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