Le conflit et l’instabilité ont entraîné une profusion d’armes en Côte d’Ivoire
Aweys Osman Yusuf (Abidjan) – Depuis les agitations qui ont récemment secoué la Côte d’Ivoire — notamment la destitution du président Henri Konan Bédié en 1999, une longue insurrection et des agitations postélectorales meurtrières en 2011 — une profusion d’armes circule dans le pays. Celles-ci alimentent les violations des droits de l’homme, la forte criminalité et l’insécurité omniprésente.
Deux ans après l’arrivée de Laurent Gbagbo au pouvoir, son gouvernement a été confronté à une mutinerie de l’armée qui s’est transformée en une rébellion de grande ampleur. Selon un récent rapport d’Amnesty International, le gouvernement s’est alors lancé dans un « programme frénétique d’acquisition d’armes ».
Selon ce même rapport, l’Angola, la Chine, la Biélorussie, la Bulgarie, l’Ukraine et Israël ont tous vendu des armes au gouvernement ivoirien en 2002 et 2003. D’après Salvatore Sagues, chercheur d’Amnesty International spécialisé dans l’Afrique de l’Ouest, l’embargo des Nations Unies sur les armes de 2004 n’a pas suffi à interrompre l’afflux d’armes dans le pays.
« Des armes ont continué à être fournies aux forces pro-Gbagbo pendant la crise postélectorale de 2011 », a dit M. Sagues à IRIN. « Cela prouve que même un embargo des Nations Unies est insuffisant pour arrêter le commerce illégal d’armes. »
Les armes acquises par les rebelles des Forces Nouvelles, qui ont contrôlé le nord du pays de 2002 à 2009, sont encore plus difficilement traçables, car la plupart ne sont pas enregistrées. Selon Amnesty, on sait cependant que les Forces Nouvelles ont eu recours à des fusils d’assaut chinois, polonais et russes.
Désiré Adjoussou, président de la Commission nationale de lutte contre la circulation illicite d’armes légères et de petit calibre (ComNat), a déclaré qu’il était difficile de connaître le nombre d’armes en circulation en Côte d’Ivoire.
« La détention de ces armes est illégale. Mais elles sont faciles à démonter, cacher et transporter », a dit M. Adjoussou.
Les armes dans la crise de 2011
Lors du conflit postélectoral, qui a fait près de 3 000 morts, des armes ont été volées dans des postes de police et des casernes et ont alimenté le flot d’armes en circulation dans le pays.
Depuis la crise, le pays a été secoué par plusieurs attaques armées qui, selon le gouvernement du président Alassane Ouattara, seraient l’œuvre de sympathisants de son opposant, M. Gbagbo.
Des casernes, des postes de police et d’autres lieux ont été pris pour cible fin 2012 à Abidjan, la capitale commerciale, et dans d’autres régions. Ces attentats, qui auraient été perpétrés par des sympathisants de M. Gbagbo, ont donné lieu à une vague de répression de la part du gouvernement et à des violations présumées des droits de l’homme.
Déchiré par des rivalités politiques d’ordre ethnique et des conflits fonciers insolubles, l’ouest de la Côte d’Ivoire demeure une poudrière. Dans ce contexte, au moins 14 personnes ont été tuées au mois de mars, dans des attaques perpétrées près de la frontière libérienne.
« Dans l’ouest du pays, de nombreuses personnes sont armées, surtout les dangereux Dozos », a dit M. Sagues, en faisant référence aux chasseurs traditionnels qui ont combattu aux côtés des forces de M. Ouattara lors de la crise postélectorale.
« Ils possèdent des armes traditionnelles et des AK-47 fournis par les autorités et ils s’en servent pour opérer des arrestations arbitraires ou extorquer de l’argent », a dit M. Sagues. Dans un rapport publié en février, Amnesty International a décrit les Dozos comme « une milice soutenue par l’État ».
« Le trafic d’armes et de munitions est extrêmement répandu dans les villes et les villages […], parfois avec la complicité de membres des forces de sécurité », a révélé un récent rapport de la ComNat au sujet de l’ouest de la Côte d’Ivoire.
« Lors de la crise postélectorale, tout le monde cherchait à se protéger et tout le monde était donc armé », explique le rapport. « Les armes sont maintenant facilement disponibles et il est aisé de s’en procurer ».
À Abidjan, une arme à feu coûte entre 30 000 et 50 000 francs CFA (soit entre 60 et 100 dollars). Dans l’ouest du pays, qui est une région plus agitée, un pistolet automatique coûte 10 000 francs CFA (20 dollars) et un AK-47 20 000 francs CFA (40 dollars), selon la ComNat.
« Il règne un climat de peur qui pousse certaines personnes à conserver leurs armes au cas où ils en auraient besoin pour se défendre », a dit à IRIN Rinaldo Depagne, chercheur sur l’Afrique de l’Ouest pour International Crisis Group (ICG).
Désarmement
Noël, un ancien combattant pro-Gbagbo qui n’a révélé que son prénom, a dit à IRIN que de nombreux anciens soldats n’étaient pas prêts à rendre leurs armes par méfiance envers le gouvernement, qui a demandé à plusieurs reprises à la population de déposer les armes.
«Ils doutent [du gouvernement]. Ce sont leurs armes qui les rassurent et ils préfèrent les garder à portée de main », a dit Noël avant d’ajouter qu’il avait enterré ses quatre armes à feu aux alentours de sa maison à Abidjan.
«Beaucoup [d’anciens combattants de M. Gbagbo] disent que s’ils se présentent pour rendre leurs armes, il pourrait leur arriver quelque chose », a-t-il expliqué.
Les efforts déployés en matière de désarmement depuis les violences qui ont suivi les élections ont jusqu’à présent donné peu de résultats. Selon M. Adjoussou, de la ComNat, quelque 2 800 personnes ont rendu leurs armes et environ 1 900 différents types d’armes et 1 850 grenades ont été collectés.
Dans le souci de redonner une impulsion à ces efforts, le gouvernement a remplacé en 2012 six différents organes de désarmement par l’Autorité pour le désarmement, la démobilisation et la réinsertion (ADDR).
Selon le premier ministre Daniel Kablan Duncan, environ 64 500 anciens combattants sont prêts à être désarmés. Le chef de l’opposition, Mamadou Koulibaly, estime quant à lui leur nombre à environ 100 000.
M. Duncan a par ailleurs récemment annoncé que 30 000 anciens combattants seraient démobilisés cette année. La majorité devrait intégrer le secteur privé et d’autres devraient être engagés comme agents des douanes ou gardiens de prison.
Selon M. Adjoussou, certains se sont mis à voler à l’aide de leurs armes pour survivre.
« Le désarmement ne peut fonctionner tant que le problème du chômage ne sera pas résolu », a-t-il dit. Il a également recommandé la levée de l’embargo sur les armes pour permettre au gouvernement de lutter contre l’insécurité. « Comment peut-on défendre la sécurité de la population et des propriétés à mains nues ? »
Dans un rapport du mois de janvier, Doudou Diene, expert indépendant auprès des Nations Unies et spécialiste des droits de l’homme, a lui aussi déclaré que l’insécurité en Côte d’Ivoire justifiait la levée de l’embargo sur les armes.
« La situation sécuritaire fragilisée par la prégnance de la culture de violence et les tentatives répétées de déstabilisation de l’appareil secrétaire d’État justifie la levée urgente de l’embargo et le renforcement technique des institutions sécuritaires de l’État », a-t-il dit dans son rapport.
« Le mécanisme de contrôle des armes visant à réguler les nouvelles importations d’armes en Côte d’Ivoire est toujours faible », a cependant averti M. Depagne, d’ICG.
om/ob-ld/amz
(IRIN)
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