Pour Doumbia Major une élection ne transforme pas celui qui ne l’est pas en démocrate ! (interview)

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Source: Le Nouveau Courrier

Exilé en France où il vit depuis plusieurs années, le Docteur Doumbia S. Major est président du Congrès Panafricain pour le Renouveau (CPR), organisation politique ivoirienne qui se réclame de la social-démocratie.

Se présentant comme une sentinelle défenseur des intérêts du peuple, cet ancien dirigeant de la FESCI a gardé une posture critique vis-à-vis du régime en place qu’il a pourtant appelé à voter en 2010.
Cette posture lui vaut d’être présenté, par les médias proches du régime ivoirien, comme un opposant. à ceux-ci il répond que ses « critiques visent à aider Ouattara afin qu’il mette ses actes en accord avec ses engagements publics ». Accusé de vouloir déstabiliser le régime, il s’en défend en présentant ses accusations comme « un complot visant à le salir dans l’opinion publique afin de préparer celle ci à l’acceptation de son assassinat ». Double Master en communication politique et en ingénierie de projet de développement, Doumbia Major est docteur en science du langage de l’Université Paris-Est. Dans cette interview qu’il accorde au quotidien le nouveau courrier, il porte le regard du spécialiste en analyse automatisée des discours politiques et médiatiques qu’il est, sur quelques questions qui font l’actualité politique et économique de la Côte d’Ivoire.

LNC: Vous avez eu récemment des démêlées avec la DST congolaise. Qu’en est-il exactement ?

Dr Doumbia : J’ai tourné la page de cette affaire, ce qu’il faut retenir c’est que la DST congolaise n’avait rien contre moi, en dépit des accusations diffamatoires qu’on avait fait circuler sur mon compte. Vous en avez pour preuve que je suis sorti libre de ce pays sans qu’aucune charge n’ait été retenue contre moi. Je déplore simplement le fait que j’ai été expulsé de ce pays sans que cela passe par une décision de justice alors que j’y étais en situation régulière, pour gérer mon entreprise. Je ne crois pas que ce type de comportements, à la limite de la régularité, dont j’ai été victime, du fait de certaines autorités congolaises, soit de nature à rendre ce pays attractif pour les investisseurs étrangers !

LNC: Dans cette affaire vos frères ont également été expulsés du sol congolais en direction de la Côte d’Ivoire. Quel sort leur a été réservé ?

Dr Doumbia : Quand les ressortissants d’un pays démocratique sont inquiétés ou que leurs droits sont violés à l’étranger, leur pays d’origine déclenche en leur faveur ce qu’on appelle le droit à la protection diplomatique. Ce droit du citoyen fait partie des responsabilités internationales de l’Etat vis-à-vis de ses nationaux dont il doit veiller au respect des droits partout où ils se trouvent. Je fais le triste constat que notre pays à manqué à cette obligation lorsque mes frères et moi-même avons été arrêtés, maltraités et expulsés du Congo. C’est une défaillance déplorable de la part du régime!

Tout ceci montre que le bien être et le respect des droits de nos compatriotes n’est pas au centre des préoccupations de nos dirigeants, et cette indifférence est pire quand il s’agit de citoyens qui se retrouvent à l’étranger! Quand mes frères sont rentrés au pays, ils ont pu faire l’expérience par eux-mêmes de la défaillance de l’état. Ils se sont rendu compte qu’ils ne pouvaient pas compter sur les pouvoirs publics pour rentrer dans leurs droits qui avaient été arbitrairement bafoués au Congo. C’est regrettable !

LNC: Vous portiez tantôt un doigt accusateur sur le régime Ouattara. Qu’est ce qui justifie selon vous ces accusations.

Dr Doumbia : Accuser tout un régime de m’en vouloir, ne serait tout de même pas sérieux ! Ce serait m’adonner à une accusation indiscriminée qui ne serait pas juste et fondée ! Ce que je constate avec tous les ivoiriens, c’est que ce sont les journaux et sites Internet proches de certaines personnalités du régime qui m’ont accusé à tort de vouloir faire un coup d’état en intelligence avec un certain Commandant Gouanou. J’ai été accusé d’être allé recruter des mercenaires au Congo Kinshasa, alors que je n’ai jamais mis les pieds dans ce pays de toute ma vie. J’étais au Congo Brazzaville et les visas d’entrée contenus dans mon passeport attestent des pays où je suis passé. J’ai été surpris de voir qu’un site appartenant à un proche ami de Soro ait affirmé qu’on avait pris sur moi des clefs USB et un plan d’assassinat de Guillaume ! Il est clair que toutes ces intoxications et diffamations répondent à un dessein politique précis. On préparait l’opinion à l’acceptation de mon assassinat ou au minimum à l’acception de ma détention arbitraire. C’est triste et bas de la part de ceux qui s’adonnent à de telles pratiques.

LNC: La réconciliation en Côte d’Ivoire, y croyez-vous encore ? Même si pour certains la CDVR a failli à sa mission.

Dr Doumbia : Le traitement et la traque dont je suis l’objet est la preuve que la réconciliation n’est qu’un vain mot. On ne peut pas parler de réconciliation avec ses adversaires politiques alors qu’on cherche à éliminer physiquement ceux qui vous ont soutenu au risque de leur vie pour vous porter au pouvoir ! Certains proches du pouvoir actuel ne supportent pas la posture critique que j’ai gardée face à la gestion des affaires publiques ! Le tout n’est pas de crier à la démocratie quand on est dans l’opposition, il faut se comporter aussi en démocrate quand on est au pouvoir !

LNC: Dans un article de Jeune Afrique sur la CI, Ado confiait ne pas vouloir de Laurent Gbagbo s’il bénéficiait d’une liberté provisoire. Auquel cas il serait poursuivi par la justice ivoirienne. Quelle lecture en faites-vous ?

Dr Doumbia : Je n’ai pas lu cet article, je ne peux donc pas rattacher cette phrase au président Ouattara. Ce que je peux dire cependant c’est que l’homme d’état c’est celui qui met l’intérêt de la nation en avant et au dessus de ses sentiments et intérêts personnels. Personne ne refuse la justice en Côte d’ivoire, ce que nous disons c’est qu’elle ne doit ni être partiale ni parcellaire ! Le rapport de la commission d’enquête que le Président attendait lui a été remis ; il serait bon que les ivoiriens le voit tenir l’engagement public qu’il a pris sur la télé française TF1, en présence de la journaliste Laurence Ferrari, à savoir qu’il n’y aura pas d’impunité sous son régime !

LNC: Le Président du FPI est très actif sur le terrain depuis sa sortie de prison. Ce qui n’est pas très apprécié du RHDP. Au point même de brandir des menaces. Et récemment la logistique du FPI a été saccagée avant un meeting du FPI à Oumé. Sans que cela n’émeuve le régime. De telles attitudes ne vous laissent-elles pas craintives quant à 2015 si élection il devrait avoir.

Dr Doumbia : Quand on prétend s’être battu pour la démocratie, on ne reproduit pas les comportements qu’on dit avoir combattus. Ce meeting empêché est une atteinte à un droit politique garanti par la constitution. Nous condamnons ce type de comportement que nous avons déjà dénoncé sous le règne des régimes passés. C’est Rousseau qui, cherchant à montrer qu’il était préférable de diriger les humains par le droit valable pour tous que par la force et la violence, a affirmé que : « le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître ». Il ne faut pas perdre de vue que, quand c’est la force qui fait le droit, dès que les rapports de force changent, la soumission disparaît. Quand on se comporte ainsi, le danger qu’on coure c’est de subir le cycle de la vengeance qu’on entretient par son propre comportement, car celui qui a été soumis pendant un moment peut se venger quand les rapports de force changeront en sa faveur. La roue de l’histoire tourne !

LNC: On sait que l’entente n’est actuellement pas au beau fixe avec Soro Guillaume. Qui confiait d’ailleurs sur un réseau social avoir gardé une dent contre certaines personnes qui l’aurait empêché de briguer un second mandat à la fesci, au nombre de celles-ci LG. Pensez-vous que c’est l’une des raisons de votre discorde ?

Dr Doumbia : Je ne veux pas m’attarder sur Guillaume, pour ne pas donner l’air de lui en vouloir, mais il faut se méfier souvent des autobiographies. C’est un style qui cache souvent certaines vérités et embellit d’autres! Ne dit-on pas que l’autobiographie est d’une mauvaise foi légendaire !
L’autobiographie c’est la vérité de l’individu selon son propre point de vue. Je ne crois pas que Laurent Gbagbo avait le temps et un intérêt à se mêler des petites querelles d’élections d’étudiant s ! J’étais directeur de campagne de Blé et nous avons battu Soro et son candidat à la loyale.
Cela dit si Guillaume lui-même affirme que sa haine contre certaines personnes vient de sa défaite lors de ce congrès de 1998, nous disons que c’est bien dommage de la part de quelqu’un qui pourtant voudrait se présenter publiquement comme démocrate ! Quand on ne supporte pas la défaite qui résulte d’un simple jeu démocratique, au point de garder cela sous forme de rancune, c’est qu’on est loin d’être un démocrate. C’est là l’un des points de discorde entre ce monsieur et moi-même ; et comme il a lui-même rappelé qu’il a gardé une haine contre ceux qui lui ont fait échec à ce congrès, alors allez-y comprendre la psychologie d’un tel personnage et ce qu’il peut ressentir à mon égard.

Vous savez, les gens se dévoilent dans leur discours et vous devez savoir qu’une élection ou une nomination politique ne transforme pas en Démocrate, comme par magie, quelqu’un qui en n’a pas l’éducation ou les dispositions naturelles! C’est Soro lui-même qui avoué qu’en quittant le syndicat étudiant il a voulu y maintenir un individu qui lui était soumis et qu’il aurait voulu manipuler de l’extérieur. Nous avons estimé que ce comportement monarchique n’était pas acceptable au sein d’une association d’étudiants qui avait un fonctionnement démocratique imposé par ses statuts. Nous sommes allés au Congrès et nous avons battu son candidat en question, qui est d’ailleurs venu en troisième position ! Je ne crois pas que ce soit Gbagbo qui ait soutenu celui qui est venu en deuxième position lors de ce congrès qui semble tenir tant à cœur à monsieur Soro, au point qu’il l’évoque comme événement justifiant sa rupture et son aversion pour certaines personnes !

LNC: Alassane Ouattara va contracter une dette de 100 milliards auprès du président du Congo alors que son régime et lui n’ont de cesse de parler d’une économie qui flirte avec les 2 chiffres. Quelles analyses portez-vous ?

Dr Doumbia : J’ai vécu au Congo et donc je sais qu’une gestion démocratique des finances de ce pays ne lui permet pas de faire des prêts à un pays comme la Côte d’Ivoire dont les citoyens vivent relativement mieux que les congolais. Je ne suis pas congolais, je peux en parler par humanisme, mais c’est au congolais d’interpeler leur président sur la gestion de leurs richesses publiques. Je lis, sur les réseaux sociaux, la grogne que cette information suscite chez les congolais, qui s’expliquent difficilement un tel acte de la part de leurs dirigeants, au moment où ils souffrent et qu’ils sont tenaillés par la misère quotidienne. Cela dit La dette en soit n’est pas mauvaise, même si je suis un partisan d’un développement qui s’appuie avant tout sur nos ressources propres.

Le développement qu’il soit à deux ou à trois chiffres, si celui-ci ne se répercute pas de manière visible et concrète dans la vie des populations sous forme d’un mieux être, alors ces chiffres n’ont aucun sens. De mon point de vue, le développement est avant tout le fruit d’une dynamique qu’on insuffle à son peuple. Il doit suivre un rythme qui tient compte des moyens et des ressources disponibles d’un pays. Les dirigeants africains confondent souvent modernisme et développement !

En ce qui concerne la dette, ce qui me pose problème c’est l’usage. Quand on endette le pays pour entretenir le niveau de vie d’une classe dirigeante qui se comporte comme une bourgeoisie locale alors que le pays croupit sous la pauvreté et la misère, je dis que c’est être inhumain et méchant, de la part de ceux qui accumulent ses dettes que le peuple sera obligé de payer.
On demande de l’argent à gauche et à droite au nom du peuple et au nom de nos concitoyens qui ne sont pas même encore nés. Ce qui est regrettable c’est de voir que ceux qui le font utilisent cet argent pour vivre comme des pachas, des bourgeois locaux et des princes de droit divins. Ils s’achètent des avions, des grosses maisons, ils se gonflent les salaires et leurs budgets, pendant que les citoyens ordinaires qui payeront ces dettes et qui n’en profitent pas, n’en verront ni la couleur ni l’odeur. Aujourd’hui le rythme d’endettement du pays et des citoyens fait peur ! Le citoyen Lambda même s’en inquiète au point qu’on entend des phrases comme « il ne faut pas venir mettre un lourd bagage sur notre tête pour t’en aller dêh ! ».

L’autre chose qui dérange dans cet endettement c’est de voir que les travaux pour lesquels ces dettes sont prises, ne profitent qu’aux multinationales occidentales ou aux entreprises gérées par des membres de familles de nos dirigeants qui continuent d’attribuer les marchés des travaux publics de gré à gré, malgré les incessantes interpellations citoyennes sur ce sujet! Ce qui viole le principe d’égalité de chance au niveau des entreprises qui voudraient postuler sur ces marchés, en plus de ne pas permettre une redistribution de l’argent au niveau des citoyens ordinaires qui ne profitent pas de la circulation de l’argent qui ne se fait qu’entre les mains de personnes appartenant à un clan. J’ai vu que pour calmer le peuple, de manière anticipée, on a inventé une nouvelle théorie que je qualifierai plutôt de « Sourate économique », selon laquelle l’argent qui travaille est invisible ! Mais ce n’est pas avec des formules qu’on apaise la faim d’un peuple !

LNC : Le procès des ex-barons de la filière café-cacao vient de s’achever. Quel commentaire faites-vous du verdict.

Dr Doumbia : Je constate que dans cette affaire il y a des gros bonnets qui n’ont même pas daignés se présenter à la convocation de la justice et qui jusqu’ici restent non inquiétés. Je crois que c’est un verdict symbolique de la part d’une justice qui ne s’attaque qu’aux seconds couteaux. Il faut avoir le courage de dire que nos juges ne se sont pas encore affranchis du pouvoir politique ! ils font semblant de travailler pour justifier leurs salaires, en s’attaquant à des menus fretins qui ne peuvent pas les inquiéter, ou en ne s’attaquant sélectivement qu’à des personnes qui ne sont pas dans une situation où elles peuvent s’adosser au pouvoir pour les inquiéter. C’est cela le visage de la justice de chez nous, qui est une justice dont l’indépendance est de façade. Chez nous les dirigeants ou ceux qui bénéficient de leur protection sont au dessus de la loi ! Et c’est bien dommage. On a vu récemment un reportage dans lequel des individus bien connus ont fait étalage de biens mal acquis, mais leur sommeil n’est jusqu’ici nullement troublé par la justice. La corruption, les surfacturations et les vols au sommet de l’état tendent à se banaliser, au point qu’aujourd’hui ce sont ceux qui refusent de voler des biens publics qu’on regarde de manière suspecte. Tout ceci fait partie des choses que nous voulons voir changer ! Nous voyons notre pays autrement et c’est ce désir ardent de changement qui motive notre engagement politique que seule la mort pourra arrêter !

Pour finir, je dirai que ce que chaque ivoirien doit garder à l’esprit, c’est que quand un mal est structurel ou systémique, il ne sert à rien de ne s’attaquer qu’à ses simples manifestations circonstancielles ou à ses effets conjoncturels visibles : quand l’impunité, la justice partiale, la corruption et les vols de deniers publics s’adossent à un régime pour se perpétrer et se perpétuer, c’est le régime qui en est la cause et qui les autorise qu’il faut changer. C’est aussi simple que 2 et 2 font 4.

Propos recueillis par Hermann Djéa , Le nouveau Courrier

NB Le titre et le chapeau sont de la rédaction
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