Termes de référence 30 octobre 2013
INTRODUCTION
Depuis une trentaine d’années, la Côte d’Ivoire est en crise. Cette crise, initialement d’ordre économique (1980), a évolué, non maitrisée, en crise sociale avant de dégénérer à partir de 1990 en crise politique, puis militaro-politique. Malgré l’alternance politique d’octobre 2000, la mise en place de ‘’gouvernements d’ouverture’’ et l’organisation d’un Forum pour la Réconciliation Nationale, la rébellion armée de septembre 2002 est intervenue comme pour révéler l’extrême gravité d’une situation qui menace l’existence et l’avenir de l’Etat et de la Nation.
Pour y faire face, de nombreux accords au sommet ont été conclus par les acteurs politiques ivoiriens. De nombreuses résolutions et initiatives ont été prises par les Nations-Unies, considérant que la situation en Côte d’Ivoire menaçait la stabilité de toute la Sous-région et la paix internationale, et agissant en vertu du chapitre VII de sa charte. La Communauté des Etats Ouest-africains (CEDEAO) et l’Union Africaine (UA) n’ont pas ménagé leurs efforts pour accompagner toutes les initiatives de paix.
Tous ont poussé à l’organisation, en Octobre et Novembre 2010, des élections présidentielles, présentées par tous les experts nationaux et internationaux comme la solution définitive à cette crise.
Malheureusement, la proclamation des résultats du second tour de l’élection présidentielle a provoqué une énième crise, une véritable guerre qui a embrasé tout le pays. On a dénombré de nombreuses pertes en vies humaines ; auxquelles il faut ajouter les exactions contre les populations civiles, les arrestations arbitraires, les viols, les exécutions extrajudiciaires, les pillages systématiques des biens privés et publics, les expropriations forcées, l’occupation de force des domiciles privés ; des villages incendiés ou occupés par des combattants armés ; des populations contraintes de vivre plusieurs mois en brousse, exposés aux intempéries, à la faim et à la maladie.
Au plan politico-judiciaire, on a enregistré de nombreuses arrestations dont les principaux dirigeants du Front Populaire Ivoirien (FPI) et de la Majorité Présidentielles (LMP). Le Président Laurent Gbagbo lui-même a été transféré à la Cour Pénale Internationale (CPI) accusé de « crimes de guerre » et de « crimes contre l’humanité ».
Les préjudices et les traumatismes sont énormes et les victimes nombreuses : elles appartiennent à tous les camps et sont de toutes les conditions.
Le pays est divisé et la fracture socio-politique épouse la cartographie des résultats de l’élection présidentielle. Ces graves conséquences politiques, économiques et sociales hypothèquent tous les efforts de restauration et de reconstruction.
Dans ce contexte, la réconciliation nationale constitue une urgence : pour mettre fin aux divisions du passé, pour restaurer l’unité du pays, pour normaliser la vie politique et sociale, pour bâtir le pays dans la paix et dans la stabilité.
Les Nations-Unies nous ont indiqué la nécessité et le chemin de la réconciliation nationale en dépêchant à Abidjan, en mai 2011, Messieurs Kofi Annan, ancien Secrétaire Général de l’ONU et Desmond TUTU qui avait présidé la ‘’Commission Vérité et Réconciliation’’ en Afrique du Sud.
La mise en place par les Autorités ivoiriennes, en juillet 2011, de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation, avait été saluée par l’opinion nationale et internationale.
Deux ans après, la réconciliation nationale est au point mort, le pays reste très divisé pendant que les prochaines élections présidentielles approchent à grands pas. Le dialogue avec le gouvernement réclamé par l’opposition et engagé plusieurs mois plus tard, d’une part, au sein du Cadre Permanent de Dialogue (CDP) avec douze (12) partis politiques d’opposition, et d’autre part directement avec le FPI, piétine et suscite des appréhensions légitimes sur la réconciliation nationale et la paix en Côte d’Ivoire, d’autant que la crise de confiance et la méfiance alimentent toutes sortes de suspicions avec pour conséquences le profond sentiment de persécution et de harcèlement vécu par de nombreux Ivoiriens notamment les opposants politiques.
Le présent document décrit les termes de références des instances de Dialogue Direct et des Etats Généraux de la République que propose le Front Populaire Ivoirien pour fonder la réconciliation nationale.
Pour le Front Populaire Ivoirien, le processus de réconciliation nationale ne sera objectif, pertinent et efficace que s’il articule les deux étapes nécessaires suivantes :
– Le dialogue Direct avec le Gouvernement pour assainir les relations entre le pouvoir et l’opposition, dénouer les situations conflictuelles et contentieuses qui les opposent, décrisper et apaiser l’environnement socio-politique ; afin que tous s’engagent dans la sérénité et la confiance réciproque dans les Etats Généraux de la République.
– Les Etats Généraux de la République, à l’effet de réunir toutes les composantes de la nation pour panser les plaies du passé, débattre démocratiquement des questions qui divisent les Ivoiriens, parvenir à des consensus et des solutions durables pour fonder l’unité nationale ; la paix et la stabilité.
Le Dialogue Direct prépare aux Etats Généraux de la République. C’est un dialogue au sommet autour de questions, qui, même si elles ont des implications nationales intéressent et interpellent au premier chef les dirigeants politiques : il s’agit de la libération de tous les prisonniers politiques, du retour des exilés politiques et refugiés, du dégel des comptes des opposants politiques, de la restitution de leurs biens arbitrairement et illégalement confisqués, de la liberté de presse, Liberté d’opinion et d’expression, de la liberté de réunion, des licenciements abusifs des cadres de l’opposition, etc…
Le débat sur les questions fondatrices de l’unité nationale, de la cohésion sociale et de la paix civile, exige un cadre représentatif de toutes les sensibilités du pays, et des modalités qui garantissent son exhaustivité, sa sincérité et la légitimité des décisions qui sont prises et des recommandations qui seront faites. D’où les Etats Généraux de la République.
A. EVOLUTION ET CONTEXTE DE LA CRISE IVOIRIENNE
Etablir un diagnostic objectif des maux dont souffre la Côte d’Ivoire, afin de préconiser les remèdes appropriés, exige de connaitre et de comprendre l’histoire récente de ce pays et les évènements politiques, socio-économiques et militaires qui l’ont marquée. Cette histoire et ces évènements peuvent être déclinés sur trois périodes :
– La crise économique des années 1980 et les conséquences des politiques d’ajustement structurel mises en œuvre en coopération avec les Institutions financières internationales ;
– L’instauration du pluralisme politique (1990), les querelles de succession à Félix Houphouët-Boigny (1993) et le coup d’Etat militaire de 1999 ;
– De l’alternance politique d’Octobre 2000 à la crise post-électorale (2010) et l’impasse politique d’un nouveau contrat social.
I. LA CRISE ECONOMIQUE ET SES DEVELOPPEMENTS SOCIO-POLITIQUES
Alors que la Côte d’Ivoire avait connu une relative stabilité politique et sociale au cours des quinze à vingt premières années de son indépendance, le pays va basculer dans une grave crise économique à partir de la fin des années 1970, début des années 1980, à la suite de profonds bouleversements dans l’environnement économique international. Les effets cumulés des chocs pétroliers des années 1975 et 1978, de l’instabilité du système monétaire international et de la saturation des marchés entrainent la détérioration des termes de l’échange du binôme café-cacao et de la plupart des matières premières, avec comme conséquences le ralentissement de la croissance économique et la dégradation de la situation des finances publiques. Le marasme économique est amplifié d’une part par l’endettement excessif du pays et d’autre part par la grande sécheresse de 1982 qui a impacté négativement les niveaux de production des matières premières et de l’énergie électrique.
Pour redresser la situation économique et financière et résoudre la crise de la dette publique, des mesures d’ajustement structurel sont prises en accord avec le Fonds Monétaire International (FMI) : restructuration du secteur parapublic, réduction drastique des avantages sociaux, restructuration de la Fonction Publique, ralentissement voire remise en cause des investissements publics, etc…
De la mise en application de ce train de mesures d’ajustement, nait progressivement le mécontentement social et la grogne populaire. Ce mécontentement social est exprimé officiellement et publiquement au cours des journées nationales de Dialogue, en Septembre 1989, par les organisations syndicales et socioprofessionnelles. Ces organisations dénoncent les mesures antisociales, en même temps qu’elles critiquent les insuffisances de la gestion politique, économique et sociale du système monolithique du PDCI-RDA. La légitimité des Institutions et des Autorités politiques est mise en question et le pluralisme politique est réclamé.
Parallèlement, une intense activité clandestine est menée par les opposants politiques pour appuyer les revendications en faveur des libertés publiques et de la démocratie
Ces revendications politiques surviennent dans le même temps où, faisant suite à la politique de Perestroïka menée en URSS, le monde entier assiste à la chute du mur de Berlin, à l’effondrement du communisme et à la fin de la guerre froide. Ce vent de liberté venu de l’Est amplifie les mouvements sociopolitiques en Afrique : c’est le temps des conférences nationales pour organiser la transition à la démocratie.
En Côte d’Ivoire, le Président Félix Houphouët-Boigny et le PDCI-RDA, sous la pression de la rue et comme réponse à la grave crise sociopolitique, décident d’appliquer les dispositions de la Constitution qui autorisent la pluralité des partis politiques. Auparavant, il fait appel à Alassane Ouattara alors Gouverneur de la BCEAO pour aider le pays à sortir de la crise économique.
Mal préparé au pluralisme politique et afin de rester maître du jeu politique, le pouvoir multiplie les actes d’intimidation et d’agression des leaders politiques et syndicaux. La propagande et la communication politiques sur le multipartisme sont biaisées. La tribalisation du jeu politique, les mesures d’obstruction à la liberté d’expression, de réunion et d’association, provoquent de nombreux incidents qui culminent en 1992 avec les évènements du 18 février qui conduisent en prison Laurent Gbagbo, alors Secrétaire Général du FPI et de nombreux leaders politiques et syndicaux.
Alassane Ouattara lui-même est l’objet de vives contestations tant à l’intérieur du PDCI-RDA que dans l’opinion nationale. C’est alors qu’apparait en 1991 un document anonyme intitulé ‘’le Grand Nord en marche’’, baptisé par la suite ‘’Charte du Nord’’. Ses rédacteurs tirent argument du retard relatif de développement du nord par rapport au sud et du sentiment de discriminations vécu par certaines populations originaires du nord pour les victimiser et en faire un ressort de mobilisation politique. Les acteurs de la Charte appellent à un « Grand Nord uni, fort, crédible, partenaire à part entière et arbitre des situations futures ». Ils décident de « battre le rappel de tout le Grand Nord en vue d’une action concertée résolument tournée vers une option dont le principe directeur sera : ni à droite, ni à gauche, mais au milieu ». Ils justifient cette option régionaliste et ethniciste par le fait que « …la différence de zone entraine, ipso facto, une différence de compréhension et de comportement et une différence d’intérêts [….] le Grand Nord entend donc s’organiser en fonction de ses intérêts propres ». Ils présentent Alassane Ouattara comme leur champion et pensent que « ….jouer éternellement les seconds rôles n’a absolument rien d’honorable pour les fils du Nord. Se prêter à servir toujours de supports aux autres pour la réalisation de leurs desseins ne peut que déranger l’amour propre et la conscience des uns et des autres, avec les sentiments coupables de notre inaptitude à pouvoir s’entendre, à faire l’union et l’unanimité autour d’un des nôtres. » En conséquence : « prêter main forte à Alassane Ouattara dans le combat, le bras de fer qui l’oppose à la gauche devient une nécessité absolue [….] l’assister de notre concours afin qu’il ne tombe pas dans les pièges que lui tendent certains ténors du régime s’inscrit en bonne place de nos prochaines activités…. ». Pour eux Alassane Ouattara est tout indiqué pour succéder à Félix Houphouët-Boigny, le moment venu « ….car il serait inconcevable qu’il tire les marrons du feu et qu’un autre s’en régale »…
Lire le document intégral en cliquant ici
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