Les délégués du CICR visitent les détenus dans tout le pays. Ils aident les autorités ivoiriennes à améliorer les conditions de détention et le traitement de ces détenus en faisant part de leurs observations et recommandations.
Les autorités ivoiriennes sont confrontées à une série de défis majeurs en ce qui concerne la gestion des 10 000 détenus que compte le pays, notamment celui de la surpopulation carcérale. En octobre 2013, une grâce présidentielle concernant la libération de 3 000 détenus a été décrétée pour alléger ce problème.
Quatre personnes nous parlent de l’état des prisons ivoiriennes et des efforts des autorités et du CICR pour l’améliorer.
Un haut fonctionnaire et une déléguée protection
Mohamed Coulibaly [MC] est directeur des affaires pénitentiaires (DAP) au ministère ivoirien de la justice, des droits de l’homme et des libertés publiques. Svetlana Iudina [SI] est la déléguée du CICR en charge du programme détention dans le pays.
Qu’est-il arrivé aux prisons durant le dernier conflit et quel bilan peut-on dresser aujourd’hui ?
MC : Pendant la crise post-électorale, des hommes armés ont ouvert les portes des prisons et les ont vidées de tous leurs pensionnaires. Les installations ont été pillées ou endommagées. Au sortir de la crise, tout était donc à reconstruire. Le conseil des ministres a récemment décidé de la construction de 10 nouveaux établissements à travers le pays, qui seront conformes aux standards internationaux.
Les bâtiments datent principalement de l’époque coloniale. Il s’agit pour la plupart d’infrastructures inadaptées qui n’ont pas été conçues pour l’emprisonnement. L’établissement le plus récent date de 1980, c’est celui de la MACA, la prison d’Abidjan.
La surpopulation carcérale est un problème majeur, comment y répondre ?
MC : Toutes les prisons ont aujourd’hui largement dépassé leur capacité d’accueil. La détention préventive est trop longue – Il faut lutter contre la détention préventive injustifiée – et des détenus vivent dans l’incertitude.
Depuis 1997, le CICR visite les personnes arrêtées et détenues en lien avec les crises successives qu’a traversé le pays. Il a accès aux lieux de détention permanents et transitoires, tels les postes de police et de gendarmerie ou les camps militaires.
Comme ailleurs dans le monde, ces visites ont un caractère strictement humanitaire. Elles ont pour but de garantir que les personnes arrêtées et détenues, quel qu’en soit le motif, soient traitées avec dignité et humanité, conformément aux lois nationales et aux normes internationales.
En fonction de l’urgence, le CICR peut être amené à distribuer des vivres et des articles d’hygiène, et intervient pour que les détenus aient accès aux soins de santé. Il contribue aussi à la remise en état d’infrastructures carcérales, notamment les cuisines et les installations sanitaires.
Il faut avant tout revoir la politique des parquets en la matière. La règle veut que la liberté soit le principe, la détention devant rester une mesure d’exception. La récente nomination de juges d’application des peines (JAP) devrait contribuer à diminuer le nombre de détenus en initiant des procédures de libération conditionnelle.
La grâce présidentielle récemment décrétée par le gouvernement contribuera-t-elle à alléger ce problème ?
MC : Cette mesure exceptionnelle permettra de diminuer significativement le nombre de détenus dans les prisons. Rappelons que le 20 septembre dernier, lors d’un conseil des ministres extraordinaire, le Président Ouattara a décidé d’accorder un grâce collective à 3 000 détenus auteurs d’infractions de droits commun, c’est-à-dire vol simple, escroquerie, abus de confiance etc…
SI : La grâce présidentielle va certainement contribuer à alléger momentanément la charge qui pèse sur les autorités pénitentiaires, mais cela ne suffira pas à résoudre certaines carences d’ordre structurel et organisationnel.
Pouvez-vous nous en dire plus concernant l’atelier organisé en début de mois ?
SI : Son objectif était de discuter de la mise en œuvre de solutions simples et pratiques pour mieux gérer les établissements pénitentiaires de façon à améliorer les conditions de détention organisé avec le ministère de la Justice, il répondait au besoin de dialogue avec les délégués du CICR exprimé par les régisseurs des prisons et par l’administration pénitentiaire lors d’une précédente rencontre, organisée du 31 janvier au 1 février 2013. Les régisseurs avaient souhaité approfondir leurs connaissances en matière d’élaboration et de gestion des budgets. C’est pourquoi le ministère de l’Économie et des Finances a été impliqué dans l’organisation et le déroulement de cet atelier. Les régisseurs, encadrés par des spécialistes de ce ministère, ont travaillé sur le budget d’une prison fictive avec une population carcérale croissante puis ont présenté ce budget en plénière. Cet exercice pratique a été très apprécié.
MC : Cette rencontre a permis de renforcer les capacités des directeurs d’établissement en matière de surveillance nutritionnelle, maintien de l’hygiène, entretien des infrastructures et élaboration et utilisation du budget d’une prison.
Quels sont les autres problèmes auxquels vous devez faire face ?
MC : La nutrition : il existe un déséquilibre entre les besoins et les budgets alloués, qui sont insuffisants. Comme les détenus ne sont pas nourris correctement, ils tombent malades, ce qui entraîne une certaine mortalité. Il est donc important de faire valoir auprès des autorités la nécessité d’augmenter les budgets.
C’est à nous, ministère de la Justice, d’assurer la santé des détenus, au lieu du Ministère de la Santé, dont c’est habituellement le rôle. Nous devons pour cela débaucher des médecins et des infirmiers du ministère de la Santé. Nous avons néanmoins l’espoir d’une prochaine régularisation d’un document sur la politique de santé en milieu carcéral n’attend que la validation des deux ministres concernés pour entrer en application.
Que fait le CICR pour répondre aux problèmes qui existent dans les prisons en Côte d’Ivoire ?
SI : Depuis le début de l’année, les délégués du CICR ont visité plus de 10 600 détenus dans 60 lieux de détention sur l’ensemble du territoire, au cours de 159 visites au total. Nous suivons en priorité les personnes détenues en lien avec le dernier conflit (la crise post-électorale) ou pour atteinte à la sécurité de l’État, en raison des risques particuliers qu’elles pourraient encourir. Ceci concerne 454 personnes depuis le début de l’année, qui ont été enregistrées et suivies individuellement.
Mais ce sont les conditions de détention de l’ensemble des détenus que nos visites visent à améliorer. Le CICR soutient donc les autorités pénitentiaires pour que les détenus soient mieux pris en charge en matière de santé, d’hygiène, d’alimentation, et d’assainissement des prisons, conformément aux lois nationales et standards internationaux. Les besoins spécifiques des mineurs ou des femmes en détention font également l’objet d’une attention particulière.
Prison du Grand Bassam, Côte d’Ivoire. Cuisine après les travaux de réhabilitation.
Cette année, 10 dispensaires pénitentiaires ont reçu des médicaments et du matériel médical. Le CICR a également facilité l’accès aux soins pour plus de 400 détenus, dont certains pour un traitement contre le béribéri, et pour 226 autres détenus souffrant de malnutrition aiguë. Trois prisons ont bénéficié d’un soutien en vivres.
Le CICR a également procédé à la remise en état partielle de cuisines, d’entrepôts, de réseau d’eau ou de systèmes d’assainissement dans 6 prisons et réalisé 9 campagnes de lutte anti-vectorielle. Enfin, des articles d’hygiène ont été distribués dans 33 lieux de détention permettant à plus de 9 400 détenus de garder un environnement propre et de maintenir une bonne hygiène personnelle.
Que signifie pour vous l’appui du CICR ?
MC : Le personnel du CICR travaille tous les jours dans nos prisons, dans tout le pays. Il est à nos côtés et intervient efficacement à la résolution de crises comme celles dernièrement à Man et à Bouaké (où le CICR a dû intervenir en apportant un soutien alimentaire d’urgence). Le CICR a une compétence avérée sur le plan nutritionnel, de la santé, de l’assainissement, l’hygiène ou la réhabilitation des infrastructures.
Quelles relations le CICR entretient-il avec les autorités carcérales et les détenus ?
SI : La force du CICR s’inscrit dans la proximité et l’établissement d’une relation de confiance, tant avec les détenus qu’avec les autorités carcérales. Le CICR n’est pas là pour dénoncer publiquement les manquements, mais pour améliorer le traitement des détenus et aider à pallier les éventuels dysfonctionnements.
L’analyse des problèmes qui est faite au cours de nos visites est partagée avec les autorités, en priorité les régisseurs, les procureurs et la direction des affaires pénitentiaires. Il faut que les personnes en charge puissent prendre les mesures qui s’imposent. Des rapports sont régulièrement transmis aux autorités concernées dans le cadre d’un dialogue bilatéral et confidentiel.
« Je m’appelle François Xavier, j’ai sept enfants, dont deux jumelles, mon fils aîné fait un apprentissage comme électricien auto.
J’ai été incarcéré il y a dix mois suite à une dispute foncière dans l’ouest de la Côte d’Ivoire d’où je suis originaire. Comme je suis actuellement en détention préventive, je ne pourrai pas bénéficier de la grâce présidentielle, car cela ne concerne que les condamnés.
Je suis affecté à l’infirmerie de la prison, au « bureau des fiches ». C’est-à-dire que je reçois les nouveaux arrivants à la prison pour la visite médicale, je prends leur taille et leur poids. Ceux qui sont malades, en état de déshydratation ou blessés, sont envoyés chez le médecin. Certains blessés arrivent à l’infirmerie sans rien, sans savon, ni éponge, ni serviette, je dois parfois leur en donner. Comme il manque des draps de lit, il faut leur acheter des pagnes.
Nous n’avons pas suffisamment de produit de nettoyage, trop peu de balais et pas de gants. Nous nettoyons tous les jours tous les recoins de l’infirmerie avec une serpillière et de l’eau de javel. Nous terminons notre service tous les jours à 19 heures, après une journée bien remplie.
Aujourd’hui j’ai aidé au déchargement du camion et à la répartition de l’assistance en produits d’hygiène que nous apporte le CICR. Ce n’est pas vraiment suffisant, mais c’est mieux que rien… »
François Xavier est détenu à la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan.
Le CICR soutient toutes les prisons de Côte d’Ivoire en matériel nécessaire au bon maintien de l’hygiène de base tout en espérant qu’à partir de l’année prochaine les directeurs de prisons pourront disposer d’un budget leur permettant d’acheter eux-mêmes ce matériel. Cette assistance est constituée entre autre de balais, brosses, seaux, des produits d’entretien, du savon, etc. Le 11 octobre dernier, un camion du CICR est venu livrer ce matériel à la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan (MACA), la plus grande prison de Côte d’Ivoire qui compte 4 700 détenus.
Marina Perria, déléguée protection du CICR
Marina Perria visite régulièrement la prison centrale d’Abidjan, la MACA. Elle nous explique un aspect de l’aide que le CICR apporte aux autorités pénitentiaires.
« Environ tous les deux mois, nous amenons un camion chargé de matériel d’hygiène à la plus grande prison de Côte d’Ivoire qui compte aujourd’hui près de 4 700 détenus.
Nous contrôlons tout ce qui est déchargé et remettons aux autorités pénitentiaires les produits d’entretien, les balais, serpillières, pelles, seaux, brouettes, savon, etc. Ces produits sont ensuite répartis dans les différentes sections de la prison.
Lorsque les autorités ont des difficultés à répondre à certains besoins de base des détenus, le CICR peut parfois palier ces besoins. Il faut souligner le caractère exceptionnel de ce type d’intervention, car il est clair que le CICR n’a ni la vocation ni les moyens de se substituer aux autorités pénitentiaires. »
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