Par Dr. Séraphin Prao| LIDER | 29 octobre 2013
Le Dr Séraphin Prao Yao est le Délégué national aux Système monétaire et financier de LIDER
La Côte d’Ivoire a atteint le point d’achèvement de l’initiative pays pauvres très endettés (Ippte) le 26 juin 2012. Le stock de sa dette a été allégé de façon substantielle. C’était une occasion pour les nouvelles autorités de faire entrer le pays dans un cercle vertueux du développement. Mais depuis le 26 juin 2012, le régime Ouattara s’est englué dans un verglas d’endettement sans limite. Le recours sans frein à l’épargne extérieure laisse croire que le régime Ouattara est incapable de mobiliser les ressources internes du pays pour son développement. Et pourtant, alors qu’il était candidat à l’élection présidentielle, comme un médecin au chevet d’une économie malade, il a promis élever le savoir scientifique à la hauteur des conclusions spontanées du bon sens populaire. Après deux années passées au pouvoir, le régime Ouattara a mis le pays sous assistance financière à telle enseigne que le pays a de fortes chances de plonger dans un cercle vicieux du surendettement. Telle est l’idée maîtresse de cette présente réflexion.
L’Etat de l’économie ivoirienne après l’atteinte du point d’achèvement de l’Ippte
A la fin juin 2012, la communauté financière internationale a enfin accordé à la Côte d’Ivoire, l’atteinte du point d’achèvement de l’initiative Ppte. Sur un stock de dette de 6.500 milliards de fcfa, l’allègement global de dette attendu était estimé à 2.500 milliards de fcfa dont 1.500 milliards de fcfa au titre du Ppte et 1.000 milliards de fcfa au titre de l’Initiative d’allègement de la dette multilatérale (Iadm).
Si on exclut les 800 milliards de fcfa d’annulation de dette déjà reçus à travers les dons d’apurement des arriérés octroyés à la Côte d’Ivoire par les bailleurs de fonds multilatéraux (Banque mondiale et la Banque africaine de développement ) et les autres annulations de dette sur la période 2009-2010, alors le bénéfice de l’annulation du solde restant était estimé à 1.700 milliards de fcfa.
Par ailleurs, le service de la dette issu du stock de dette non traité par l’Ippte est estimé à 4.000 milliards de fcfa. Cette dette doit faire l’objet d’un remboursement à bonne date étant donné que la dette est redevenue supportable selon les projections à long terme réalisées conjointement par les équipes du Fonds monétaire international et l’administration ivoirienne.
Avec son partenaire historique, l’annulation de la dette ivoirienne se fait dans le cadre du Contrat de désendettement et de développement (C2d). Ce dernier est une initiative pour l’allègement de la dette contractée au titre de l’aide publique au développement. Mis en œuvre à partir du point d’achèvement de l’initiative Ppte, ce contrat C2d s’ajoute à l’annulation directe de 600 milliards de dette consentie dans le cadre du club de Paris. Avec la France, c’est 1.900 FCFA milliards de fcfa qui sont mis à la disposition de la Côte d’Ivoire pour financer des projets de développement et de réduction de la pauvreté sur une période de 20 ans. Malgré ce coup de pouce de la communauté internationale, les caisses de l’Etat sont régulièrement vides.
L’économie ivoirienne est sous assistante financière
Sous le régime Ouattara, l’économie ivoirienne n’a plus de repères. Cette dernière ne fonctionne qu’avec l’aide de l’argent de l’étranger. C’est comme si l’économie ivoirienne avait une insuffisance respiratoire chronique. Avec une telle altération de la capacité respiratoire, la seule voie est la prescription d’une assistance respiratoire. En clair, l’économie ivoirienne ne peut plus fonctionner correctement sans l’aide extérieure sous le régime Ouattara. Pour la période de 2012 à 2015, c’est 117 milliards fcfa qui sont présentement disponibles dans le cadre de C2d.
Malgré le soutien massif de la communauté internationale, le régime Ouattara peine à trouver l’argent en Côte d’Ivoire pour construire le pays. Pour un kilomètre de route, pour une ampoule d’un bureau, pour payer les fonctionnaires, il lui faut tendre la main à l’étranger pour le financement. Les exemples sont légions.
La Banque islamique de développement (Bid) octroie 84 milliards fcfa à la Côte d’Ivoire pour la région nord-ouest le 23 septembre 2013. Ces accords de prêt portent sur le financement du projet de construction de routes dans la région nord-ouest de la Côte d’Ivoire et du projet de reconstruction post-conflit du lycée professionnel d’Odienné. Pour Mme Kaba Nialé, ministre de l’économie, ces nouveaux accords de prêt portent à 266,5 milliards de francs cfa soit environ 533,2 millions de dollars américains, le concours global de la Banque islamique de développement à travers 23 accords de financement. Début septembre 2013, c’est la Banque ouest-africaine de développement (Boad) qui débloquait la somme de 7,5 milliards de francs cfa pour la réhabilitation d’une voie desservant un quartier populaire de la banlieue abidjanaise.
Si ce n’est pas vers les marchés internationaux qu’il se tourne, c’est vers le marché boursier de l’Uemoa. En effet, depuis que M. Ouattara est aux affaires, son régime a procédé au moins à quatre appels à l’épargne publique régionale sur le marché boursier de l’Uemoa. L’emprunt est couvert par la garantie souveraine de l’État et le remboursement est sécurisé par un compte séquestre ouvert à la Bceao. Décidément, le malheur des Ivoiriens ne prendra pas fin maintenant, car ils crouleront demain sous le poids de la dette.
La dette est une épée au-dessus de nos têtes
Le fardeau de la dette extérieure demeure l’un des principaux obstacles au développement des pays pauvres en général et de la Côte d’Ivoire en particulier. Celle-ci s’est alourdie au cours de ces deux dernières décennies. Avec la cadence actuelle de l’endettement de la Côte d’Ivoire, le risque de surendettement est grand. Pour J.Sachs (1989), le surendettement est analogue à la situation d’une entreprise insolvable non protégée par les lois de la faillite. Dans ce cas, les créanciers prennent des actions antagoniques pour se servir les premiers sur la valeur restante des actifs, préjudiciables à la survie de l’entreprise. L’auteur démontre, à partir d’un modèle intertemporel à deux périodes, dans lequel le service de la dette agit comme une taxe désincitative à la production. Pour lui, il existe un seuil optimal d’endettement pour lequel tout supplément marginal d’endettement conduit à une réduction importante de l’investissement et le débiteur aurait intérêt à ne pas rembourser la dette.
Le régime Ouattara nous ramènera au péché originel
Selon les projections du Fmi, la Côte d’Ivoire aura une forte croissance économique en 2014 comme elle l’a été en 2013. Mais cette performance est le fait des investissements dans le secteur public, le secteur privé étant à la traine. Pour les pays dont l’endettement extérieur est la seule source de financement de l’économie, la récente crise mondiale les a conduits à recourir massivement aux marchés régionaux et internationaux, notamment pour mener des politiques de relance. Mais le recours à ces fonds n’est pas sans conséquence.
Certes, les bailleurs de fonds prêtent à des taux dits concessionnels, très faibles, mais cet argent prend beaucoup de temps pour être débloqué et nécessite de se soumettre à un programme de suivi. Du coup, le recours aux marchés régionaux semble de plus en plus apprécié, notamment pour sa rapidité, mais les taux d’intérêt pratiqués sont élevés. Les pays africains optent en général pour les marchés régionaux à cause du risque de change qui peut peser très fortement sur les débiteurs, par exemple, lorsque la dette est libellée en dollars et que la monnaie locale s’effondre.
À l’inverse, ces opérations présentent aussi des inconvénients, notamment par rapport aux prêts de bailleurs: les maturités sont courtes, il n’y a pas de période de grâce, les taux d’intérêt sont relativement élevés, ce qui représente une charge plus importante pour les finances publiques. D’autre part, les autorités doivent veiller à calibrer ces émissions de manière à ne pas créer d’effet d’éviction sur les marchés locaux, les banques locales préférant acheter des bons du Trésor plutôt que de financer d’autres acteurs de l’économie réelle. En plus, les conséquences d’une opération mal structurée peuvent peser durablement et lourdement sur les finances publiques, qu’il s’agisse d’un coupon trop élevé ou de protections juridiques insuffisantes.
Mais le recours excessif à l’épargne étrangère est une solution coûteuse, surtout pour des pays à l’équilibre budgétaire fragile. En janvier 2013 déjà, l’Agence française de développement (Afd) tirait la sonnette d’alarme, et la littérature consacrée au rythme inquiétant du ré-endettement de l’Afrique s’est multipliée : Bloomberg Businessweek et le Financial Times s’en sont fait l’écho dans leurs colonnes, évoquant le risque d’un retour au «péché originel». Dans leur ouvrage This Time Is Different, paru en 2008, les chercheurs américains Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff observent que, au cours du processus d’émergence économique, les États sont tout particulièrement susceptibles de subir des crises de dette souveraine. En outre, ils soulignent le caractère quasi inéluctable du ré-endettement. En analysant huit cents ans d’histoire économique, les auteurs affirment que les pays qui ont fait défaut une fois tendent à recommencer de façon répétée par la suite. Ainsi, en Afrique les faibles taux des années 1970 n’ont pas empêché le déclenchement de crises souveraines au cours des années 1980. Avec une telle addiction à l’assistance financière, le régime Ouattara conduira certainement la Côte d’Ivoire vers un Pays Emergent Très Endetté (Pete).
Conclusion
La Côte d’Ivoire, en dépit du franchissement du point d’achèvement de l’initiative Ppte en 2012, est confrontée à des tensions récurrentes sur son financement. Une situation due à l’ampleur de sa dette bancaire intérieure qui nécessite d’être refinancée régulièrement. Au lieu de féliciter les yeux fermés le régime Ouattara, la communauté des bailleurs, dans le cadre de viabilité de la dette, doit surveiller les indicateurs macroéconomiques du pays. Elle doit favoriser une certaine discipline dans le recours à l’endettement souverain. C’est à ce niveau que se situera le problème essentiel. En effet, il faudra faire suffisamment de croissance pour couvrir le service de la dette extérieure et celui de la dette intérieure galopante, depuis que l’Etat se refinance sur le marché des capitaux. Cette dette intérieure a, elle aussi, atteint des niveaux intolérables. Tant que le régime Ouattara endettera le pays pour financer ses grands travaux, eux-mêmes exécutés par les sociétés de ses amis, il pourra toujours emprunter. Tant pis pour les générations futures, à long terme, Ouattara ne sera plus là.
Le Dr Séraphin Prao Yao est le Délégué national aux Système monétaire et financier de LIDER
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